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L’éclairante saga des Suisses de Marseille

Marseille
Le vallon des Auffes depuis la corniche Kennedy. swissinfo.ch/fb

L'histoire de la diaspora suisse est encore méconnue. Pour y remédier, swissinfo est parti à Marseille sur les traces des émigrés suisses.

Le grand port méditerranéen abrite une colonie suisse depuis des siècles. Une communauté surtout protestante, organisée et prospère.

Petite hier, encore plus qu’aujourd’hui, la Suisse voit tout au long de son histoire partir ses habitants pauvres ou en quête de débouchés prometteurs. Un thème abordé par les historiens, mais peu connu du grand public.

Point de passage obligé vers le vaste monde, Marseille accueille dès le 16e siècle, mais surtout au 19e et au début du 20e siècle, des milliers de Suissesses (un temps majoritaires) et de Suisses en quête d’emplois.

«Dans les familles bourgeoises au 19e siècle, les domestiques suisses faisaient figure de cartes de visite», relève Renée Lopez-Théry, auteur en 1986 d’une thèseLien externe de doctorat sur les Suisses de Marseille.

Selon la chercheuse marseillaise, de nombreux Suisses sont également employés dans l’hôtellerie, la restauration, le négoce ou la banque.

Des pauvres très qualifiés

«Ces migrants étaient réputés pour leurs qualifications. Ils parlaient plusieurs langues ou maitrisaient la sténographie, concurrençant fortement la main-d’œuvre française», ajoute Renée Lopez-Théry.

De fait, au début du 19e siècle, les Suisses constituent la 2e communauté étrangère de Marseille derrière les Italiens. «Nombre de Suisses débarquaient ici avec la ferme intention de réussir et de faire carrière», souligne Renée Lopez-Théry.

Et de citer quelques exemples d’implantation réussie comme la Maison Sigrist (chapeaux et casques coloniaux), la Maison Berger (absinthe), l’entreprise Sigg (huilerie), la brasserie Phénix ou les horlogers Beuchat, Chopard, Bornand et Wuillemier.

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Didier Sigrist devant le Vieux Port de Marseille.

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Les Suisses contribuent également à asseoir la réputation gastronomique de Marseille. La cité phocéenne et sa voisine Aix-en-Provence sont en effet des haut-lieux de la confiserie et les Suisses – Linder, Semadini, Castelmuro – se taillent une solide réputation en y adaptant leur savoir-faire originaire le plus souvent des Grisons. Les fameux Calissons sont ainsi une création suisse.

Un canal swiss made

Et c’est également à un Suisse – Franz Mayor de Montricher – que Marseille doit en 1849 son canal de Provence. Ce qui permet à la ville et sa région d’assurer son approvisionnement en eau potable. L’ingénieur suisse contribue également à la modernisation urbanistique de la ville.

A l’époque de Montricher, Marseille, premier port de France, jouit d’une économie florissante, tirée par la croissance d’un commerce déjà globalisé et la colonisation de peuplement de l’Algérie menée sabre sanglant au clair par le roi Louis-Philippe d’Orléans dès 1830.

Porte d’entrée et de sortie privilégiée du commerce helvétique, le grand port méditerranéen abrite déjà une prospère communauté de marchands suisses en tête des négociants étrangers (171 sur 489) au 17e siècle. L’histoire locale a retenu le nom des Solicoffre, une riche et puissante famille protestante originaire de Saint-Gall (Zollikoffer).

Une réputation à préserver

Au 19e siècle, les descendants de ces notables suisses voient donc débarquer à Marseille de plus en plus de compatriotes en quête de pain et d’emploi. «Ils étaient à la fois effrayés et apitoyés de voir arriver tant de gens de Suisse», relève Renée Lopez-Théry.

Pour leur venir en aide et maintenir la bonne image de la communauté suisse, le consulat – le deuxième créé par la Suisse – les notables du Cercle helvétique et l’Eglise protestante (aux mains des Suisses) prennent en charge ces nouveaux arrivants. Ce qui aboutira à la création, en 1840, d’une Société suisse de bienfaisance. Les futures domestiques, elles, sont logées dans un home protestant, avant qu’elles ne trouvent un employeur.

Toujours sous l’égide du Cercle helvétique, les Suisses lancent une Harmonie en 1880, un Cercle commercial en 1904 (pour former et placer les employés venus de Suisse) et un club sportif, le Stade helvétique de Marseille qui prend son indépendance en 1907 (3 fois champion de France) et en 1931 un Foyer helvétique pour personnes âgées.

Quelques voix discordantes

La plupart des migrants acceptent et demandent même ce contrôle social, selon Renée Lopez-Théry. La plupart d’entre eux s’installent d’ailleurs dans les quartiers où il y a le moins d’étrangers (centre et sud de la ville).

L’historienne signale tout-de-même la création en 1870 du Grütli, une association plus familiale et populaire que le select Cercle helvétique guère enchanté par la venue de cette nouvelle association.

Les archives départementales citées par l’historienne signalent aussi la présence de quelques anarchistes, tel Charles Hotz dit Edouard RothenLien externe, un Vaudois sous-chef du contentieux à la Compagnie des tramways de Marseille, critique artistique pour le Pavé marseillais et auteur d’une vaste littérature révolutionnaire.

swissinfo, Frédéric Burnand, de retour de Marseille

Aujourd’hui subsiste encore nombre d’institutions créées par les Suisses dès le 19e siècle, comme le foyer pour personnes âgées, la Société de bienfaisance ou la Chambre de commerce suisse.

La Société suisse de Marseille, la Fondation Helvetia Massilia et la Société immobilière de la maison suisse s’occupent aussi de la communauté helvétique et d’un parc immobilier constitué par l’immeuble qui abrite, entre autre, le consulat et la propriété de 3,5 hectares où se trouve le Foyer helvétique pour personnes âgées.

Le consulat général de Marseille joue également un rôle très actif au sein de la communauté. Il vient par exemple d’ouvrir un espace culturel permettant d’exposer les artistes suisses installés dans la région.

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Une association sportive suisse, la Société de gymnastique, apparaît dès le 19e siècle. Mais il faut attendre 1907, lorsque les «Jeunes» quittent le giron du Cercle helvétique, pour que le stade helvétique soit déclaré à la préfecture.

Prévu pour pratiquer la gymnastique, le football, la natation et la course à pied, il connaît des heures de gloire en football. L’équipe est championne de France en 1909, 1910, 1911 et 1913, devançant nettement l’Olympique de Marseille qui embauchera après la Première Guerre mondiale des joueurs helvétiques comme Scheibenstock.

Les Suisses apparaissent donc comme les précurseurs du football à Marseille et même en Corse où ils font connaître ce sport à partir de Bastia.

Les attitudes des autorités cantonales ont été très variées selon les régions et les périodes, couvrant un large spectre allant de l’émigration tacitement tolérée à l’interdit; de l’intervention positive de l’Etat avec aide à l’émigration à l’expulsion forcée des pauvres que certains cantons appliquent sur une grande échelle et qui a parfois pris, à l’instar de ce qui se pratiquait dans d’autres pays européens, la forme d’une déportation.

Le cumul d’un certain nombre de dysfonctionnements et d’abus dans la politique migratoire et dans celle des agences d’émigration a eu pour effet la création d’un article constitutionnel en 1874, qui a donné au gouvernement fédéral la compétence d’intervenir en cas de nécessité et d’une loi fédérale en 1880 qui a confié la surveillance des agences d’émigration à la Confédération.

(Tiré du DictionnaireLien externe historique de la Suisse)

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