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L’ONU fâche Pékin en parlant de possibles crimes contre l’humanité

La Haute commissaire de l'ONU aux droits de l'homme Michelle Bachelet aura attendu les dernières minutes de son mandat pour publier le rapport très attendu sur le Xinjiang (archives). KEYSTONE/SALVATORE DI NOLFI sda-ats

(Keystone-ATS) L’ONU dénonce de possibles crimes contre l’humanité au Xinjiang dans un rapport très attendu publié à Genève. La Suisse salue la publication et Pékin, qui avait rejeté par avance le document, est furieuse et cible à nouveau une attitude orchestrée par les Etats-Unis.

Plus d’un million d’Ouïghours et d’autres membres de minorités musulmanes sont retenus dans des camps d’internement dans la région chinoise, selon des sources convergentes. La Chine affirme lutter contre le terrorisme, alors que certains pays, dont les Etats-Unis, l’accusent de “génocide”.

Un terme que le bureau de la désormais ex-Haute commissaire de l’ONU aux droits de l’homme Michelle Bachelet ne reprend pas dans son rapport publié mercredi soir, à quelques minutes de la fin du mandat de quatre ans de la Chilienne. “La dimension de la détention arbitraire et discriminatoire de membres de la communauté ouïghoure et d’autres groupes à majorité musulmane (…) peut équivaloir à des crimes internationaux, en particulier des crimes contre l’humanité”, dit le Haut-Commissariat.

Selon son rapport, les accusations de torture, de soins contraints, de violences sexuelles dans les centres de détention ou encore de contrôle forcé des naissances “semblent crédibles”. Le Haut-Commissariat estime que ces violations sont largement répandues contre ces minorités.

Il demande à Pékin de libérer les détenus politiques et de cesser d’intimider les Ouïghours et les autres minorités. Chaque violation de droits humains doit faire l’objet d’une investigation, estime-t-il.

Rapport souhaité par la Suisse

La Chine, qui avait reçu les conclusions en avance comme le veut la coutume, aura tenté jusqu’au bout de s’opposer au dévoilement de ce rapport. Depuis plusieurs semaines, elle dénonçait une “farce” orchestrée par les Etats-Unis. Jeudi, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Wang Wenbin, y a vu une “complicité” de Washington.

La Suisse faisait partie de ceux qui souhaitaient la publication de ce rapport, aux côtés de dizaines d’Etats dont les Etats-Unis et la Grande-Bretagne parmi les plus pressants. Elle a dénoncé à plusieurs reprises la situation dans ces sites contrôlés par les autorités chinoises.

“La Suisse attend de la Chine qu’elle mette pleinement en œuvre les recommandations”, a affirmé à Keystone-ATS le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Notamment la fin des détentions arbitraires et “discriminatoires” contre les membres des minorités au Xinjiang.

Parmi les autres réactions, l’UE appelle à une “surveillance étroite” de la situation. Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a appelé la Chine à “suivre les recommandations” du rapport. Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a salué la publication. Il a exigé que Pékin rende des comptes sur ce “génocide”.

Côté ONG, Human Rights Watch (HRW), qui avait affirmé à plusieurs reprises que l’héritage de Mme Bachelet serait entaché si elle renonçait à publier son rapport, a salué un rapport qui pose un “jalon”.

Le Conseil des droits de l’homme, qui se réunit dans une dizaine de jours pour une session qui s’annonce très tendue, doit désormais lancer une investigation internationale, selon elle. Et de demander des sanctions contre les principaux responsables et des interdictions de produits fabriqués par le travail forcé.

“Ces conclusions accablantes expliquent pourquoi Pékin a lutté pour empêcher la publication du rapport”, a estimé la responsable régionale de HRW, Sophie Richardson. De son côté, Amnesty Internationale partage les revendications d’un mécanisme international indépendant pour mener des investigations.

Bachelet visée à nouveau par les ONG

L’ONG en profite pour s’en prendre à nouveau à l’attitude de Mme Bachelet “Le retard inexcusable pris dans la publication de ce rapport entache le bilan du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, mais cela ne doit pas faire oublier son importance”, affirme la secrétaire générale Agnès Callamard.

Un avis largement partagé par les observateurs qui estimaient que la Chilienne, qui avait annoncé ne pas céder aux pressions des deux camps, ne pouvait s’en aller en laissant ce dossier ouvert. D’autant plus que la visite récente en Chine, notamment au Xinjiang, de la Haute commissaire avait été largement critiquée. Celle-ci avait été accusée d’avoir été instrumentalisée par les autorités, ce à quoi elle a répondu ne pas être allée mener une investigation dans ce pays.

Ces dernières années, Mme Bachelet s’en est prise aux Etats-Unis, notamment au moment du décès de l’Afro-Américain George Floyd, et à la Russie pour l’arrestation de l’opposant Alexï Navalny et la guerre en Ukraine. Mais elle était considérée par de nombreux acteurs comme trop tendre sur la Chine, même si elle avait condamné la répression à Hong Kong.

Mme Bachelet, 70 ans et deux fois présidente du Chili, achevait mercredi son mandat de Haute commissaire et ne souhaitait pas poursuivre. Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres n’a pas encore nommé son successeur, alors que le Conseil des droits de l’homme va se réunir à Genève.

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