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L’optimisme lucide d’un Suisse de Paris

Daniel Burgi

Alors que la crise balaie la planète, swissinfo recueille en cette fin d'année les témoignages – constats, analyse et espoirs - de Suisses expatriés sur les cinq continents. Etape française avec Stéphane Calmeyn, rédacteur en chef de l'édition française du Reader's digest.

swissinfo: La crise fait la une des journaux depuis des mois. Pouvez-vous en observer les effets concrets à Paris?

Stéphane Calmeyn: Evidemment. Cette crise est un accélérateur d’angoisse et de pauvreté. Des associations comme le Secours Populaire ou les Restos du Cœur ne l’ont pas attendue pour aider les plus démunis. Mais depuis le mois d’octobre, elles accueillent des personnes issues de couches de la population jusque là épargnées.

La pauvreté a toujours été visible dans les rues de Paris. Mais depuis le début de la crise, cette précarité prend de plus en plus d’ampleur, comme en témoigne les personnes retrouvées mortes récemment dans leur abri de fortune au cœur du bois de Vincennes.

Et le reste de la population qui ne prêtait pas ou peu d’attention à cette misère prend conscience du problème et s’identifie à ces laissés-pour-compte en se disant: nul n’est plus à l’abri.

swissinfo: Qu’est-ce qui a changé dans votre environnement professionnel au cours de l’année 2008?

S.C.: L’univers de la presse et des biens culturels dans lequel je travaille est l’un des premiers secteurs touchés par la crise. C’est en effet les dépenses dans ce domaine qu’on coupe en premier dans le budget d’un ménage.

swissinfo: Etes-vous plutôt du genre à penser que le monde s’enfonce dans le gouffre ou qu’une crise n’est qu’un mauvais moment à passer?

S.C.: Ni l’un ni l’autre. Il ne s’agit pas d’attendre un retour à la situation d’avant la crise. Elle doit au contraire nous pousser à réinventer une nouvelle forme de vie en commun.

Elle peut aussi accélérer le virage écologique de nos sociétés. En tous les cas, la crise a déjà aiguillonné l’Union européenne et ses dirigeants. Pour une fois, ils ont été capables de prendre rapidement des décisions. L’Europe s’est réveillée.

swissinfo: Vous croyez donc aux retombées positives de cette crise?

S.C.: Sur le long terme, du moins. Quand je vois que Barack Obama met l’écologie au cœur de la relance de l’économie américaine, que le gouvernement français a initié avec le Grenelle de l’Environnent une prise de conscience générale renforcée par le travail de fond des ONG, je suis optimiste.

swissinfo: Que faites-vous des crispations et des tensions consécutives à ce genre de crise?

S.C.: Il faudrait être bien angélique pour penser que ces mutations se feront sans crispation. Mais de toute manière, les tensions sont là. Les jeunes – et pas seulement ceux issus de l’immigration – ont déjà commencé à manifester leur révolte. Et ce n’est pas fini. Mais au final, je suis confiant dans notre capacité à surmonter cette crise.

swissinfo: De quoi la France a-t-elle le plus besoin, selon vous, pour sortir de ses difficultés actuelles?

S.C.: La France est bien armée intellectuellement. C’est déjà beaucoup. Les réflexions et les propositions jaillissent de partout. La France est un pays où les idées ont une grande valeur.

Mais cette richesse a son revers. Les Français passent leur temps à discuter et à tergiverser avant d’agir. Il manque à ce pays la capacité de penser et d’agir ensemble. Les Français aiment les idées jusqu’à en devenir dogmatiques. Chacun y défend sa chapelle. Les consensus sont difficiles, voire impossibles à obtenir. Tout passe par la confrontation.

La « paix du travail » instaurée en Suisse il y a plus de 70 ans est inimaginable ici.

Je constate aussi que c’est un parti conservateur – l’UMP – qui fait bouger les lignes. Mais il le fait bien sûr avec des méthodes de droite. Je regrette vraiment l’absence en France d’une opposition constructive qui ne soit pas maladivement centrée sur elle-même.

Interview swissinfo, Frédéric Burnand

Né à Bruxelles en 1960, Stéphane Calmeyn a grandi dans le canton du Jura, avant de s’installer à Lausanne comme enseignant et apprenti-chanteur.

En 1982, Stéphane Calmeyn monte à Paris pour suivre les premiers cours dispensés par le Studio des Variétés et y tenter une carrière de chanteur.

Après un passage de quatre ans à la Radio Suisse Romande, il rejoint en 1998 la rédaction française du mensuel américain Reader’s Digest comme grand reporter pour en devenir par la suite le rédacteur-en-chef.

Marié et père de 2 enfants, Stéphane Calmeyn habite sur la colline de Ménilmontant dans le 20e arrondissement, «juste en face de l’endroit où Maurice Chevalier a passé son enfance», se plaît-il à relever.

Stéphane Calmeyn parle d’un quartier populaire en phase de «gentrification» (embourgeoisement): «Les plus pauvres y côtoient de nouveaux habitants aisés, voire très riches. Un mélange qui touche l’ensemble des quartiers populaires de Paris.»

Ses passions: la chansons française, la guitare, les spectacles, les balades dans Paris, l’engagement en faveur des exclus, la politique, les rencontres au coin du zinc et les amis.

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