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La crise vue de Hong Kong, avec regards sur la Chine

SG Fafalen and Co

Alors que la crise balaie la planète, swissinfo recueille en cette fin d'année les témoignages – constats, analyse et espoirs - de Suisses expatriés sur les 5 continents. Aujourd'hui, Serge Fafalen, avocat, Hong Kong.

Depuis 2004, le Genevois a installé l’essentiel de son cabinet d’avocats à Hong Kong, où il vit désormais.

swissinfo: Votre cadre de vie en quelques mots…

Serge Fafalen: Je vis comme un expatrié. A Hong Kong, les expatriés sont généralement installés dans certaines régions bien définies de Hong Kong Island, de la péninsule de Kowloon ou des Nouveaux Territoires. Ils résident dans des appartements généralement inaccessibles pour la population locale.

swissinfo: La crise fait la une des journaux depuis des mois. Pouvez-vous en observer les effets concrets dans la région où vous habitez?

S.F.: La crise affecte directement les endroits où vivent les expatriés. Elle touche les sociétés, qui mettent les gens à la porte et résilient les contrats. Dans ces cas-là, les expatriés ne restent généralement pas sur place. Les sociétés de déménagement sont très occupées et des appartements se libèrent.

Plus largement, Hong Kong souffre du fait que les exportations en provenance de Chine vers l’Amérique ou l’Europe régressent. Une grosse partie de Hong Kong travaille dans les investissements et dans les sociétés de manufacture de produits au sud de la Chine. Les deux domaines étant très affectés, Hong Kong souffre fortement – le marché immobilier, la bourse et la confiance des gens sont en baisse.

swissinfo: Vous travaillez en tant qu’avocat sur place, qu’est-ce qui a changé dans votre environnement professionnel au cours de l’année 2008?

S.F.: Le métier est sous pression, car en tant qu’avocats, nous accompagnons les investissements et les porteurs de projets. Quand survient une crise, les projets diminuent, les opportunités régressent. Conséquence: des métiers comme le mien souffrent ou vont souffrir.

Depuis août-septembre, moment du véritable déclenchement de la crise, toutes les études d’avocats sur place ont commencé à redouter des effets sur leurs revenus. Des études américaines ont fait faillite.

Dans le cadre d’une stratégie définie qui n’a rien à voir avec la crise, je suis en train de fusionner mon étude avec la plus grosse étude de Chine [King&Wood, 1200 collaborateurs dont 650 avocats]. Au final, je serai partenaire de cette étude, ce qui est une première pour un Européen.

Pour nous, la crise tombe à pic. Nous sommes extrêmement bien placés pour tirer parti d’opportunités en train de se créer – dans le domaine des investissements chinois à l’extérieur et des investissements extérieurs en Chine.

Si on part de l’idée que la Chine sera le moteur du retour sur les rails de l’économie, il est extrêmement important de travailler avec des Chinois dans un environnement chinois. Nous pourrons offrir des prestations que les études anglo-saxonnes ou européennes auront de la peine à proposer.

swissinfo: Citation: «Il paraît que la crise rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. Je ne vois pas en quoi c’est une crise. Depuis que je suis petit, c’est comme ça» disait Coluche dans le sketch «Le chômeur». Votre réaction?

S.F.: C’est moyennement vrai, cette fois-ci. Dans la crise actuelle, les riches ont énormément perdu, dans la mesure où ils étaient tous investis en bourse. Et les bourses ont fortement chuté depuis six mois.

En Russie, les oligarques, très endettés, ont perdu des masses d’argent. A Hong Kong, les milliardaires sont investis dans l’immobilier ou le marché d’actions et leurs résultats sont très négatifs sur l’année. A l’occasion de cette crise, personne ne s’enrichit, à part un ou deux fonds spéculatifs américains qui savent jouer le marché dans le bon sens.

Si les pauvres deviennent plus pauvres, c’est essentiellement parce qu’ils se sont aventurés sur les marchés d’actions ou d’instruments financiers. Nous avons un gros problème à Hong Kong avec la crise des minibonds – des produits dérivés structurés par Lehman Brothers [en faillite] et vendus à des gens qui n’y connaissaient rien, avec des promesses de retours importants.

Les gens touchés ont en moyenne plus de 65 ans, ils ont mis toutes leurs économies de retraite dans ce genre de produits. Ces gens-là ont tout perdu. A Hong Kong, le problème prend une dimension sociale, étant donnée l’absence d’assurance vieillesse et de protection sociale. On observe de grandes manifestations, de l’agitation sociale.

L’autre problème, c’est le chômage. A Hong Kong, le marché du travail est très volatile. Les entreprises n’ont aucun problème à liquider leur personnel en temps de crise et la protection sociale n’existe pas. Des gens vont se retrouver à la rue. Les problèmes individuels et sociaux sont programmés.

swissinfo: Etes-vous plutôt du genre à penser que le monde s’enfonce dans le gouffre ou qu’une crise n’est qu’un mauvais moment à passer?

S.F.: Les gens sont relativement pessimistes, voire très pessimistes. Il est souvent fait référence à la grande dépression des années 30 aux Etats-Unis. Personne ne peut prédire la durée ni la profondeur de cette crise, mais personnellement, je la vois durer longtemps.

Cette crise va placer le monde dans un état de tensions qui changera la donne géopolitique. La Chine prendra une importance primordiale. Non seulement parce qu’elle détient une grosse partie de la dette américaine, mais aussi en raison de ses besoins domestiques. L’Europe, je ne sais pas où elle va. Mais je suis très pessimiste.

swissinfo: Croyez-vous au fait que de cette crise pourrait émerger un monde plus sain? Et en quoi le serait-il?

S.F.: Les excès ne sont jamais sains et nous payons aujourd’hui les excès financiers des dix dernières années. Nous reviendrons à des manières de faire beaucoup plus terre à terre, loin de l’argent facile.

Plus largement, sous l’angle des populations, le communisme est mort dans les années nonante et la crise actuelle marque la fin du capitalisme en tant que tel. C’est sans doute positif, car les deux systèmes étaient porteurs d’excès. Ce sera difficile pour un certain nombre de personnes qui ont largement vécu de ces excès – une minorité absolue – mais l’autre grosse partie du monde en tirera bénéfice.

swissinfo: Le monde politico-économique vit depuis longtemps dans la théorie et le culte de la «croissance». Réalisme, idéalisme ou mensonge selon vous?

S.F.: La croissance, le capitalisme: s’agit-il d’un schéma éternel ou d’une boule de neige qui a atteint le bas de la pente? Je ne sais pas. Mais en termes de consommation, il arrive un moment où l’argent manque. Un moment où les besoins sont assouvis. Pour moi, pousser à l’excès de consommation – à fortiori par un endettement à bon marché – n’est pas un modèle économique viable. Nous assistons à la fin du capitalisme tel que nous l’avons connu jusqu’ici.

swissinfo: Pour conclure… de quoi le pays où vous vivez a-t-il le plus besoin, selon vous, pour sortir de ses difficultés actuelles?

S.F.: La vraie réponse à votre question est: de la Chine. Hong Kong fait partie de la Chine et c’est elle qui va la sauver. D’où les avantages de Hong Kong par rapport à d’autres pays ou juridictions.

Sur le plan microéconomique, la flexibilité des gens d’ici sauvera Hong Kong. Ces gens sont des survivants – ils ont traversé des crises extrêmement importantes, les dernières étant la crise asiatique en 1997 et celle du SARS en 2003.

Les Hongkongais ont une capacité à se réinventer qu’on ne connaît plus en Europe. Du village de pêcheurs, Hong Kong est devenu une manufacture de produits puis un centre de services. Cette capacité à se réinventer permettra aux Hongkongais de sortir la tête de l’eau beaucoup plus rapidement que la majorité des autres populations.

Interview swissinfo, Pierre-François Besson

Le Genevois a fondé en 1986 un bureau d’avocats qui compte aujourd’hui plus d’une centaine de collaborateurs et qui travaille en huit langues, dont le cantonais, le mandarin et le russe.

Diplômé en droit de l’Université de Genève et avocat genevois, inscrit aux barreaux de Genève, de Hong Kong et d’Angleterre, Serge Fafalen a aussi décroché des mastères en finance et en gestion de la technologie.

Il préside la chambre de commerce suisse à Hong Kong, siège au comité « services » de la promotion économique de Hong Kong (HKTDC), co-préside le comité « europe » de la chambre de commerce générale (HKGCC), est avocat honoraire de l’association des exportateurs de Hong Kong (HKEA), représente les promotions de Fribourg et Genève en Chine et est membre du comité consultatif de la chambre de commerce française.

Région administrative spéciale et ultramoderne de la Chine, l’ex-colonie britannique est située dans le sud maritime du pays. Très densément peuplée, elle compte un peu plus de 7 millions d’habitants, dont la grande majorité des 3000 résidents suisses de Chine.

Hong Kong est la ville la plus riche du pays et son économie – très libérale – est avant tout axée sur les services. Dans la région, elle est concurrencée en tant que centre financier mondial par Singapour et Shanghai.

Hong Kong sert de porte d’entrée pour les exportations suisses vers la Chine continentale et de nombreuses banques suisses y sont installées depuis les années soixante.

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