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Le cadre se met dans tous ses états à la Collection de l’Art Brut

Michel Thevoz, ancien directeur de la Collection de l'Art Brut, est lui-même le commissaire de la nouvelle exposition "L'Art Brut s'encadre" à voir du 11 décembre au 25 avril. Keystone/JEAN-CHRISTOPHE BOTT sda-ats

(Keystone-ATS) La Collection de l’Art Brut à Lausanne a donné carte blanche à son ancien directeur Michel Thévoz pour monter une exposition temporaire. Celui qui a dirigé le musée de 1976 à 2001 a choisi le thème du cadre et l’usage anormal qu’en font les artistes de l’art brut.

« L’Art brut s’encadre », c’est le titre de cette exposition visible dès vendredi jusqu’au 25 avril 2021 au dernier étage de l’établissement. « Michel Thévoz a eu pour seule contrainte de devoir choisir des oeuvres appartenant exclusivement au fond du musée », a expliqué devant la presse la directrice de la Collection de l’Art Brut Sarah Lombardi.

Quelque 200 oeuvres de 46 artistes

Une collection que le fondateur et l’ancien conservateur du musée connaît par coeur. Il a sélectionné 200 oeuvres – sur les 70’000 que compte le musée – de 46 artistes suisses et d’autres pays pour aborder cette nouvelle thématique en « contrepoids et provocation » s’agissant d’artistes créant « hors du cadre » conventionnel et culturel. Le titre de l’expo se veut d’ailleurs à la fois équivoque et ironique dans sa sonorité: l’art s’encadre ou l’art sans cadre.

« C’est une manière de redécouvrir et revisiter la Collection sous un autre angle », souligne Mme Lombardi. « J’ai voulu mettre l’accent à la fois sur la pluralité et la singularité de l’usage anormal du cadre que font les artistes de l’art brut », relève pour sa part M. Thévoz.

L’exposition est divisée en plusieurs « familles d’encadrement »: la cellule originaire, le modèle orthogonal, le cadre incarcérateur, la revanche du cadre, cadres gigognes, dehors et/ou dedans, allergie à l’angle droit, illimitation, le cadre comme ostensoir et cadres scripturaires.

« Dérèglement révélateur »

Parmi les artistes bien connus de la Collection, les oeuvres sélectionnées d’Adolf Wölfli et d’Aloïse Corbaz se font par exemple face dans la partie « Illimitation ». A la quête éperdue de cadres du premier, orphelin, répond l’absence de cadre et de délimitation de la seconde.

« Pris dans sa plus large extension, le cadre a une fonction originaire et fondamentale dans le psychisme humain. Il détermine aussi bien un espace imaginaire, narcissique, ludique, social, environnemental ou esthétique », notent les responsables.

« Il est devenu à ce point coextensif à notre sensibilité et à notre entendement que nous n’avons plus le recul qui nous permettrait d’en prendre conscience – sinon par l’incidence de l’art brut, qui intervient à cet égard comme un dérèglement révélateur », soulignent-ils.

Est-ce le pathologique qui éclaire le normal ou l’inverse, est-ce l’anomalie qui fait ressortir une névrose collective?, questionnent les oeuvres exposées. Le visiteur encadre à sa manière les tableaux de son regard tout en étant lui-même sujet à réflexion sur son propre encadrement (normatif, social, bourgeois, etc) du point de vue des artistes. Cette réversibilité passionnante du thème impreigne toute la visite.

Catalogue d’exposition original

L’exposition met par ailleurs en évidence un traitement singulier et déconcertant du cadre: centripète ou centrifuge, protecteur ou invasif, médiateur ou discriminant, sublimateur ou parodique, marginal ou nucléaire.

Les auteurs d’art brut conçoivent leurs œuvres en marge du champ institutionnel de l’art et, par définition, ils ne sont pas assujettis à nos conventions culturelles, ils ignorent toute règle ou norme en la matière. « Ne pas respecter les cadres qui leur sont imposés, c’est résister à l’enculturation, et c’est bien de cela qu’il s’agit dans l’art brut », rappelle M. Thévoz.

L’exposition est accompagnée d’un « catalogue d’exposition » inhabituel puisqu’il s’agit d’un ouvrage de 160 pages signé Michel Thévoz aux célèbres éditions parisiennes Les Editions de Minuit. Fait rare voire unique pour elles, le texte, intitulé « Pathologie du cadre – Quand l’art brut s’éclate », est illustré, enrichi en effet des images des oeuvres de l’exposition.

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