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Le Conseil des Etats dépoussière la notion de viol

Malgré plusieurs actions en faveur du "oui c'est oui", les sénateurs ont opté pour la variante "non c'est non" (archives). KEYSTONE/PETER KLAUNZER sda-ats

(Keystone-ATS) Toute forme de pénétration, quel que soit le sexe de la victime, doit être considérée comme un viol. Les sénateurs ont accepté mardi de moderniser le droit pénal. Ils n’ont toutefois pas été aussi loin que le voulaient les milieux féministes.

Juridique, le dossier est aussi intime et émotionnel. Le viol est actuellement défini de manière restrictive. Seule la pénétration vaginale non consentie d’une femme par un homme est considérée comme tel. Et la victime doit avoir démontré une certaine résistance.

Une révision du droit pénal est nécessaire, a estimé le Conseil des Etats. A l’avenir, toute pénétration non consentie, qu’elle soit orale, vaginale ou anale, effectuée sur un homme ou une femme doit être considérée comme un viol. Une personne qui oblige un tiers à violer quelqu’un sera également considérée comme une violeuse.

Refus vs consentement

La notion de contrainte doit également être abandonnée. Ces deux points n’ont pas été combattus. Les sénateurs ont avant tout discuté de la meilleure manière de respecter la volonté de chaque partenaire. La commission proposait de se baser sur l’expression du refus, à savoir la variante « non c’est non ».

Avec cette version, « il existe un risque non négligeable qu’une partie des viols ne soient pas couverts », a critiqué Lisa Mazzone (Vert-e-s/GE). Une étude suédoise a démontré que 70% des victimes sexuelles ont subi une « immobilité tonique ». En état de sidération, elles n’ont pas pu exprimer leur opposition verbalement ou physiquement. Elles ont subi leur agression sans réaction.

Le consentement doit être explicitement donné, a jugé la Genevoise. La variante « oui c’est oui » est la seule qui puisse assurer l’autodétermination sexuelle. « Face à un doute ou à la non participation de sa partenaire, l’initiateur d’un acte sexuel doit s’informer de son consentement. »

Dans de nombreux cas, il y a un déséquilibre entre les partenaires. Une femme peut ne pas oser exprimer un refus par crainte d’aggraver sa situation, par incertitude ou en raison d’une différence importante d’âge, de formation ou de culture, ont noté plusieurs orateurs de gauche comme de droite. « Un rééquilibrage est nécessaire », a plaidé Matthias Michel (PLR/ZG).

Criminalisation de la sexualité

La majorité du camp bourgeois n’a cependant pas suivi. La variante du « oui » mènerait à « une criminalisation de la sexualité », a dénoncé Beat Rieder (C/VS). L’option du refus est « une vision plus positive de la sexualité, fondamentalement voulue par les deux partenaires. »

Avec la version du consentement, le fardeau de la preuve serait en outre inversé, a-t-il continué. Le modèle du « oui est un oui » ne porte pas sur les preuves d’un viol, mais les éléments constitutifs de l’infraction, a opposé Elisabeth Baume-Schneider (PS/JU).

« Il ne faut pas confondre la présomption d’innocence et la présomption de consentement. Le doute continuera de profiter à l’accusé », a ajouté Isabelle Chassot (C/FR). Sans succès.

Accompagnement nécessaire

Andrea Gmür-Schönenberger (C/LU) a quant à elle proposé une troisième option. Il y a viol si l’auteur passe outre le refus verbal ou non verbal de sa victime. « C’est une version plus réaliste et plus claire qui prend également en compte une possible immobilité tonique », a expliqué la Lucernoise. Une vision contestée à gauche, mais qui a failli passer. Les sénateurs lui ont préféré la version de commission par seulement 23 voix contre 10 et 10 abstentions.

Si elle salue la réforme, la ministre de la justice a aussi rappelé qu’elle ne résoudra pas tous les problèmes. Qu’elle qu’eût été la variante d’ailleurs. Les victimes devront toujours apporter la preuve de leur viol. Karin Keller-Sutter entend donc lancer un projet pour mieux accompagner et conseiller les victimes, identifier les « best practices » des cantons et mieux former les policiers.

Gradation des infractions

Le projet introduit en outre une gradation des infractions: sans contrainte, avec contrainte et avec cruauté ou en utilisant des armes dangereuses. Les peines augmenteraient avec la gravité de l’infraction. Pour un viol sans contrainte, la peine minimale serait une amende et celle maximale serait cinq ans de prison.

Un viol avec contrainte serait puni entre plus de deux ans et dix ans de prison. Une proposition bourgeoise a passé la rampe de justesse par 23 voix contre 20.

« Quiconque utilise la violence doit être enfermé », a plaidé Stefan Engler (C/GR). Et ce n’est possible qu’avec une peine supérieure à deux ans d’emprisonnement, car elle ne peut alors être prononcée qu’avec un sursis partiel. « Une telle sévérité n’existe même pas pour le crime passionnel, où il y a mort d’homme et très souvent de femme », a tenté d’opposer le rapporteur de commission Carlo Sommaruga (PS/GE).

Un viol avec cruauté serait lui sanctionné d’au moins trois ans de prison. Aucun plafond n’étant mentionné, la peine maximale pourrait aller jusqu’à 20 ans d’emprisonnement. Werner Salzmman (UDC/BE) a quant à lui tenté de supprimer les amendes et augmenter les peines de prison. Il n’a pas eu gain de cause.

Débats interrompus

Faute de temps, les sénateurs n’ont pas pu examiner le projet dans sa totalité. Ils ont toutefois encore fixé, par 26 voix contre 17, la peine plancher pour des actes sexuels sur un enfant de moins de 12 ans à un an de prison. Le Conseil continuera son examen du projet lundi prochain.

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