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Le Mali, le pays le moins francophone d’Afrique

Au marché de Bamako, on ne peut rien acheter en français AFP

Les Maliens sont très fiers de parler le Bambara. Moins de 10% de la population maîtrise bien le français, considéré comme la langue du colonisateur. Pourtant, les termes français fleurissent dans les langues locales. Explications du linguiste Denis Douyon.

«Toutes les enquêtes montrent que le Mali est le pays le moins francophone de l’Afrique de l’Ouest», explique le linguiste malien Denis Douyon, qui fait des études sur le français en Afrique et particulièrement au Mali depuis 1998. Il cite comme exemple le marché de Bamako (la capitale malienne), «où on ne peut rien acheter en français».

Ce professeur de l’Ecole normale supérieure et de l’Université de Bamako estime que moins de 10% de la population malienne maîtrise bien le français, la langue réservée aux élites intellectuelles. Le français est pourtant la seule langue officielle du Mali, mais elle s’est imposée avec beaucoup de violence, constate Denis Douyon.

Une forte résistance

Selon le linguiste et spécialiste en tradition orale, ceci est lié à l’histoire coloniale. Les rois bambaras ont opposé une forte résistance et n’ont pas admis la domination française. A ce jour, la ville de Ségou (ancienne capitale du royaume bambara) constitue la limite géographique du français au Mali. Les peuples du Nord (zone sahélienne à faible densité de population) parlent mieux le français que ceux du Sud.

Le bambara est parlé par plus de trois quarts des Maliens, qui maîtrisent souvent plusieurs langues nationales: bambara, bobo, bozo, dogon, peul, soninké, songhay, sénoufo-minianka, tamasheq, arabe ou khassonké.

Question de fierté

«Au Mali, les gens sont très orgueilleux et tellement fiers de parler le bambara. Mais c’est aussi considéré comme une honte de faire des fautes, alors ils préfèrent ne pas parler le français», explique le linguiste. Quant aux intellectuels maliens, ils apprennent le français académique. «Mais lorsqu’on le parle en France, on se moque de nous.»

Denis Douyon se souvient qu’à son arrivée à Paris en 1989 pour sa thèse en ethnolinguistique, les Français ne le comprenaient pas. Pour se faire intégrer, les étudiants maliens adoptent souvent l’accent parisien. Ce qui provoque bien des surprises lorsque, suite à un rendez-vous téléphonique, un Noir se présente à l’interview pour un travail.

Résistance au français

A côté des quelques étudiants, il y a une importante communauté malienne en France, estimée à 120’000 personnes, qui, même après plusieurs années de séjour, n’apprennent pas forcément le français, ou du moins refusent de le parler lorsqu’ils reviennent au Mali.

Lui-même se rappelle qu’à son retour au Mali en 1995, ses concitoyens l’attendaient au passage pour voir s’il «coroko» le français (parler comme un Français). «Je faisais très attention aux R», explique le linguiste en roulant ses R avec un parfait accent malien, qui ne trahit en rien son séjour parisien.

Denis Douyon souligne que «le Mali n’est pas en règle avec sa langue officielle». Le français devrait être la seule langue parlée à l’Assemblée nationale, dans l’administration ou dans les écoles. Mais dans la pratique, les débats se font le plus souvent dans les langues nationales.

Ecole en langue nationale

En tant que professeur à Ecole normale supérieure, Denis Douyon est bien placé pour savoir que les maîtres d’école ne parlent souvent pas la langue de Molière. Alors que la méthode d’enseignement classique préconise de donner tous les cours en français dès la première année primaire.

Parallèlement, une méthode d’enseignement convergente est actuellement testée. L’idée est de commencer les classes dans les langues nationales et d’introduire le français à partir de la sixième année. Pour le linguiste, l’expérience risque fort de se solder par un échec, car elle a été lancée sans études préliminaires et sans aucun suivi.

Emprunts au français

Un autre problème est que nombre de termes spécifiques, ainsi que les noms de certains produits importés de l’Occident n’existent pas en bambara, ni dans les autres langues nationales. Ce qui se reflète autant à l’école que dans la rue, où les emprunts au français sont fréquents dans la langue parlée. Certains chercheurs, apôtres des langues locales, s’attèlent à la création de nouveaux mots correspondants en bambara .

Et la radio nationale met ses auditeurs à l’épreuve dans son émission hebdomadaire avec le titre évocateur «O tè anw ka kan yè» (ça ne fait pas partie de notre langue). Dans ce jeu-concours interactif très populaire, un animateur essaye de piéger les participants qui sont éliminés à leur premier mot de français. Les rares qui réussissent à relever le défit de ne parler que bambara durant cinq minutes reçoivent un cadeau.

Octobre. Du 22 au 24 octobre 2010 (année du 40ème anniversaire de l’OIF), la Suisse accueille à Montreux le 13e Sommet de la Francophonie.

Election. A cette occasion, les chefs d’Etat et de gouvernement adopteront une déclaration sur les thématiques abordées et éliront les Secrétaire-général de l’OIF (Abdou Diouf est parvenu au terme de son 2e mandat; il s’est déclaré disponible pour un nouveau mandat).

Dogon. Né vers 1958 dans un village du Pays Dogon, connu pour ses maisons pittoresques accrochées à la falaise. Il va à l’école de la mission catholique à Bandiagara, puis fait des études à Bamako.

Paris. Il est enseignant durant six années avant de faire des études d’ethnolinguistique à l’Institut national des langues et civilisations orientales de Paris de 1989 à 1995.

Bamako. Denis Douyon est responsable du département des lettres à l’Ecole normale supérieure de Bamako et enseigne la linguistique et la tradition orale à l’Université de Bamako.

Dourouni. il va faire ses études linguistiques dans les «dourounis» (minibus). «J’écoute les gens qui me prennent pour un Béninois à cause de mon habillement.»

Langues. Il parle le français, le dogon, le bambara et un peu de songhay, de peul et de russe.

Marié et père de famille, il préfère garder la discrétion sur sa vie privée.

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