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Les Conventions de Genève, un héritage bien plus qu’occidental

Keystone-SDA

(Keystone-ATS) Les Conventions de Genève régissent le droit de la guerre depuis 75 ans. Souvent considérées comme un effort des Occidentaux, elles reflètent des traditions bien plus anciennes d’autres régions du monde. Une retenue dans les conflits bien avant la colonisation.

« Le droit international humanitaire (DIH) a existé avant les Conventions de Genève », affirme la chercheuse australienne d’origine somalienne, Ayan Abdirashid Ali, de l’Université d’Adelaïde. « C’est frustrant » de voir que les Occidentaux pensent le contraire, dit-elle dans un entretien à Keystone-ATS.

« Certains voient même dans le DIH une poursuite de la colonisation. Ce n’est pas utile pour oeuvrer sur le terrain », ajoute-t-elle toutefois. Le mouvement de la décolonisation dans les institutions occidentales a contribué à ouvrir la discussion. « J’apprécie le fait de pouvoir en parler librement ici », explique la jeune femme après un débat mercredi soir au siège du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

L’organisation a elle-même montré depuis de nombreuses années que les règles dans les conflits étaient anciennes et non occidentales. Dans de nombreuses sociétés, « il y a toujours eu un besoin de retenue et d’atténuation des effets des conflits », glisse de son côté Mme Ali.

Dans la Somalie du 15e siècle, des combattants refusaient déjà d’utiliser des flèches empoisonnées, contrairement à ce qui était fait en Ethiopie, selon les témoignages d’un observateur yéménite de l’époque relayés par la chercheuse. Des restrictions au mode opératoire de la guerre, bien avant celles établies dès le milieu du 19e siècle par des acteurs européens puis en 1949 dans les Conventions de Genève.

Charia avant les Conventions

Autre retenue, les couteaux de boucher n’étaient pas utilisés parce que la tradition somalienne prévoit de ne pouvoir tuer un être humain avec un outil qui peut achever une bête.

Plus largement, alors que certains se réclament de la religion pour justifier des conflits, celle-ci offre aussi des approches universelles similaires à celles du DIH. « Pour les musulmans, la charia vient avant les Conventions de Genève », explique Mme Ali. Et elle prévoit une protection des civils et une proportionnalité.

Les groupes terroristes ou radicaux, comme les talibans en Afghanistan, « ne comprennent pas » ces textes ou « choisissent ce qu’ils veulent », insiste la jeune femme. Selon elle, la jurisprudence islamique va même plus loin que les Conventions de Genève sur certaines questions.

Et dès le 7e siècle, des musulmans ont fait des prisonniers de guerre pour la première fois à la bataille de Badr. Alors, ils lancent ce qui va devenir les trois conditions d’une libération, les grâces attribuées par générosité, les rançons ou les autorisations de fuites en échange d’un effort pour la communauté.

Aujourd’hui, les Conventions de Genève ont été ratifiées par tous les Etats. « Chacun d’entre nous a d’une manière ou d’une autre un lien avec un conflit », estime le directeur général du CICR Pierre Krahenbühl.

Doubles standards

Des pays du Sud étaient déjà parmi ceux qui ont participé à l’établissement du DIH, fait remarquer de son côté le chercheur Giovanni Mantilla. Et ils ont poussé pour associer la protection des civils aux règles entre combattants. « Sans eux, cela aurait pris probablement 30 ans supplémentaires », dit le chercheur.

En 2019, le CICR a identifié au total dix anciennes traditions africaines de la guerre qui se retrouvent dans les Conventions. Parmi celles-ci, les combattants portaient de quoi être différenciés des civils, les biens indispensables et culturels étaient protégés, tout comme les guerriers hors de combat et les dépouilles d’ennemis. Et les affrontements avaient lieu hors des villages, les actes cruels et les pillages étaient interdits et les blessés étaient pris en charge.

Actuellement, le CICR réfléchit aussi à des moyens innovants ou artistiques pour parler du DIH aux populations. Il est important d’adapter le discours aux conflits où ils ont lieu, d’autant plus que des acteurs dénoncent un double standard des Occidentaux par rapport à l’application de ce droit. Les Conventions de Genève « s’appliquent à toutes les victimes de tous les conflits », rétorque le CICR.

Le nouveau directeur exécutif du Centre pour les civils dans les conflits (CIVIC), Hichem Khadhraoui, a dialogué par le passé avec de nombreux groupes armés. Certains demandent « Qui est ce Henry Dunant ? Où est ce village de Genève ? », explique-t-il. « Il faut parler leur langage » en considérant leurs traditions et leurs habitudes, dit-il.

Une précédente recherche du CICR en 2009 avait déjà montré que les pratiques dans les populations du Pacifique imposaient des limites. Gardienne des Conventions, l’organisation oeuvre désormais activement à mettre en avant ces liens.

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