Les douleurs des personnes âgées entre stoïcisme et communication
(Keystone-ATS) Pour une personne âgée, parler de ses douleurs chroniques peut avoir de lourdes conséquences en termes d’indépendance, de qualité de vie, voire de discrimination ou d’exclusion. Les taire est tout autant à double tranchant, selon une étude lausannoise.
L’équipe de Pascal Singy, au Service de psychiatrie de liaison du CHUV de Lausanne, a tenté d’y voir plus clair dans cette problématique complexe. Les chercheurs ont réalisé 49 entretiens avec des personnes âgées de plus de 75 ans et souffrant de douleurs chroniques.
Les participants ont été interrogés deux fois à dix jours d’intervalle – pour éviter le risque de fatigue – au travers d’un protocole de type récit de vie, a indiqué le Pr Singy à Keystone-ATS.
Ensuite, différents acteurs-clés du domaine ont été sondés au travers de groupes-cibles homogènes: médecins somaticiens, personnel paramédical, proches aidants, psychothérapeutes, ainsi que des responsables institutionnels ou d’associations.
Il en ressort que c’est dans le cercle familial que les douleurs chroniques sont le plus souvent abordées, particulièrement avec les parents directs: le ou la partenaire et les enfants, plus spécialement les filles. Cette préférence est tempérée par des enjeux d’autonomie, par exemple lorsque les aînés craignent de perdre leur pouvoir de décision dans la vie quotidienne.
Facteurs limitatifs avec les soignants
L’entourage amical joue également un rôle. Les aînés y voient un contexte particulièrement favorable, ayant le sentiment d’être écoutés et reconnus. Les amis intimes ne sont toutefois pas légions et leur nombre va décroissant l’âge avançant.
Les corps médical et paramédical constituent en toute logique des interlocuteurs de première importance. Mais avec trois grands facteurs limitatifs, par exemple le recours répété à des échelles d’évaluation de la douleur, qui peuvent être une source d’incompréhension et de frustration.
La deuxième limitation est une forme de banalisation ressentie par certains des répondants dans les propos de leurs cliniciens, qui considèrent les douleurs comme « naturelles » à un âge avancé. A partir de 75 ans, jusqu’à quatre personnes sur cinq souffrent de douleurs chroniques, selon diverses études.
S’y ajoute parfois le recours à « des formules désespérantes », stigmatisantes et infantilisantes, relève Pascal Singy. Comme par exemple: « Comment vont ces bobos aujourd’hui? » ou « A votre âge, il ne faut pas rêver ». Un troisième frein est naturellement la peur d’être hospitalisés ou placés en institution.
Autoprotection et stoïcisme
L’analyse menée avec les acteurs-clés a permis de mettre en évidence plusieurs axes de réflexion, précise Pascal Singy. Le premier questionne la thématisation des douleurs. Ainsi, parler de ses douleurs chroniques ne paraît pas toujours souhaitable.
Les taire est parfois signe d’une sensibilité relationnelle salutaire (éviter d’impacter ses relations sociales), d’un mécanisme d’autoprotection (moins on en parle, moins on y pense), voire d’un tout aussi salutaire stoïcisme (souffrir en silence), soulignent les chercheurs.
Néanmoins, dans certaines situations, cliniques en particulier, pouvoir décrire ses douleurs est fondamental. Les acteurs-clés se rejoignent pour souligner l’importance de développer chez les professionnels de la santé des stratégies pour la pratique, notamment un vocabulaire partagé de la douleur.
Sentiments d’impuissance
L’étude souligne les sentiments d’impuissance de tous les acteurs impliqués en raison de « l’incapacité à fournir des solutions thérapeutiques efficaces », note le Pr Singy.
Concrètement, les auteurs suggèrent des approches partenariales et un décloisonnement permettant l’intervention de ressources cliniques alternatives, comme l’hypnose, la câlinothérapie ou l’ostéopathie. Il s’agit aussi de permettre au patient de reprendre du pouvoir en s’impliquant dans les choix thérapeutiques.
Par ailleurs, la place des proches aidants dans les dispositifs de prise en charge est jugée encore insuffisante, en termes de reconnaissance statutaire (badges, formation à des gestes techniques) et financière.
Au final, les acteurs-clés se retrouvent pour souligner que la qualité de vie des aînés souffrant de douleurs chroniques dépend en dernière analyse de pouvoir jouir des petits plaisirs du quotidien et de leur maintien dans le tissu social.
Ne pas banaliser
Conclusions: pour les auteurs, il y a lieu de mettre en lumière comme problématiques les idéologies qui banalisent les douleurs chez la personne âgée. Il s’agit également de questionner ou de valoriser – selon qu’il est contraint ou choisi – une certaine forme de stoïcisme en tant que ressource permettant de mieux vivre avec ses douleurs.
Les cliniciens quant à eux sont invités à éviter certains réflexes âgistes, notamment le « papy talk » ou langage infantilisant sur le modèle du « baby talk ». De manière plus générale, le débat sur l’âgisme – la stigmatisation de la vieillesse – devrait être renforcé dans la société civile « de manière décidée ».
Enfin, il importe que la gérontologie soit revalorisée au sein des filières médicale et infirmière en tant que domaine d’avenir, conclut Pascal Singy. Ces travaux, soutenus par le Fonds national suisse (FNS), ont fait l’objet de publications dans différentes revues scientifiques, BMC Geriatrics et Frontiers in Public Health notamment.