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Les eaux du Léman attendent un brassage complet depuis une décennie

Cet hiver, pour la dixième année consécutive, les eaux du lac Léman n'ont pas connu de brassage profond. (Image d'illustration) KEYSTONE/SALVATORE DI NOLFI sda-ats

(Keystone-ATS) Pour le dixième hiver consécutif, les eaux du Léman n’ont pas connu de brassage complet, à savoir un mélange des eaux de surface avec celles du fond du lac. Cette situation pourrait avoir un impact néfaste sur la santé du lac.

« En hiver, la différence de température entre la surface et le fond du lac situé à 309 mètres de profondeur, est au plus bas, écrit la Commission internationale pour la protection des eaux du Léman (CIPEL), lundi dans un communiqué. C’est uniquement à cette période de l’année que les eaux de surface et les eaux profondes peuvent se mélanger sous l’effet du froid et du vent. »

La profondeur du « brassage hivernal », qui peut varier d’année en année, sépare la « couche de surface mélangée » et la « couche du fond » qui ne s’est pas mélangée avec les eaux de surface. Plus l’hiver est rigoureux, plus les chances sont fortes que le brassage atteigne le fond du lac.

« Cet hiver, la profondeur de brassage a été estimée à 130 m, ce qui signifie que les eaux situées entre 130m de profondeur et le fond du lac à 309 m, ne se sont pas mélangées avec les eaux de surface », poursuit la CIPEL. Le dernier brassage complet remonte à l’hiver 2011-2012, soit il y a dix ans.

Un degré de plus au fond du lac

La répétition des brassages incomplets n’est pas sans conséquence pour le Léman. D’une part, la température du fond du lac, qui n’a pas été refroidie pendant 10 ans par les eaux de surface, a augmenté de 1,1 degré depuis 2012.

« Cette température avoisine aujourd’hui les 6 degrés, précise la Secrétaire générale de la CIPEL, Audrey Klein, contactée par Keystone-ATS. Dans l’esprit humain, une augmentation d’un degré peut paraître dérisoire, mais à l’échelle d’un écosystème, c’est colossal. Il faut prendre conscience de cela », insiste-t-elle.

D’autre part, privé de la réoxygénation garantie par un brassage complet, le fond du lac a vu la teneur en oxygène de ses eaux diminuer, à tel point qu’une « zone pauvre en oxygène », (moins de 2 milligrammes par litre), s’y est formée.

« C’est un problème pour l’oxygénation des oeufs de poissons déposés au fond du lac, pour certains vers de sédiments qui font partie de la chaîne alimentaire, pour des poissons d’eaux profondes comme les lottes, qui ne sont pas faites pour vivre à des profondeurs moindres, et encore pour les bactéries qui décomposent la matière organique, liste en vrac Audrey Klein. S’il n’y a plus d’oxygène, il n’y a plus de vie possible. »

Limiter les apports en phosphore

En outre, l’accumulation du phosphore dans le fond du lac, qui résulte elle aussi du déficit en oxygène, pourrait causer de mauvaises surprises lors du prochain brassage complet.

Dans ce cas de figure, « le phosphore serait remobilisé en surface et favoriserait la prolifération des algues, ce qui pourrait nuire à la baignade et à l’alimentation en eau potable en raison des toxines que produisent certaines algues », pointe la Secrétaire générale de la CIPEL.

La Commission internationale pour la protection des eaux du Léman exhorte donc à « continuer à diminuer nos apports en phosphore au lac » et invite aussi à « poursuivre les efforts effectués depuis plus de 50 ans dans le domaine de l’assainissement » des eaux.

Les apports en phosphore au lac proviennent essentiellement des déjections humaines. « Actuellement les stations d’épuration parviennent à retenir 90% du phosphore contenu dans les eaux usées. Sauf qu’avec l’augmentation de la population, les quantités de phosphore vont, elles aussi, augmenter », observe Audrey Klein.

Inquiétudes pour le futur

« Il faut essayer de rectifier la situation du mieux que l’on peut, souligne la secrétaire générale. La dégradation est progressive, mais un retour en arrière est très long. » Un hypothétique brassage artificiel ne constitue pas une option, le lac étant « beaucoup trop profond » et les écosystèmes devant pouvoir se régénérer par eux-mêmes.

L’état de santé du lac, dont la profondeur de brassage a oscillé entre 110 et 150m cette dernière décennie, a de quoi susciter des inquiétudes. « Sans vouloir faire d’alarmisme, on se trouve face à un lac qui brasse sur moins de la moitié de sa profondeur. Tout ce qu’il y a en dessous stagne, fait remarquer Audrey Klein. Jusqu’à 200 mètres il y a encore de l’oxygène, mais à 309 mètres, on est clairement en manque. »

Son pronostic est sans appel. « Du point de vue de l’écosystème, c’est un lac qui, par manque d’oxygène, va mourir petit à petit. »

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