Les Justes de Suisse sont pleinement reconnus
A Genève, une cérémonie a rendu un hommage national aux Justes de Suisse, ces plus de 60 personnes qui ont sauvé des milliers de Juifs de la machine de mort nazie.
Reconnus dès la fin des années 90 par Israël, les Justes de Suisse ont su dire non à la barbarie. Un modèle, selon le président de la Confédération Pascal Couchepin.
«C’est assez tard. Mais c’est bien qu’on y pense», lâche August Bohny à propos de l’hommage rendu lundi soir à Genève à lui-même et à l’ensemble des Suisses qui ont sauvé des milliers de Juifs durant la Seconde Guerre mondiale, ces Justes qui ont souvent agi au péril de leur vie.
«C’est tard, juge également l’ancienne présidente de la Confédération Ruth Dreifuss. Parce qu’il y avait un besoin pour les personnes sauvées par les Justes de dire leur reconnaissance et par les Justes de voir leur courage reconnu.»
«A la fin de la guerre et pendant 20 ou 30 ans, personne ne voulait parler de cette histoire, même à l’intérieur des familles», témoigne August Bohny.
Une vie consacrée aux autres
Cet ancien instituteur bâlois, dont la vie entière a été consacrée aux défavorisés, est arrivé le 6 mai 1941 en France pour diriger une maison pour enfants handicapés, avant de rejoindre 5 mois plus tard le Chambon-sur-Lignon, un village d’Auvergne.
Durant toute la durée de la guerre, il réussira à ouvrir cinq maisons où sont accueillis environ 600 enfants, dont plus de 120 Juifs qui ont ainsi pu échapper aux nazis et à la police de la France de Vichy.
«Quand la police venait, la population du village nous aidait à cacher les enfants de confession israélite. C’était extraordinaire», se rappelle August Bohny âgé aujourd’hui de 88 ans. De retour en Suisse en 1945, l’instituteur bâlois recueille 300 enfants rescapés du camp de concentration de Buchenwald.
C’est en 1990 que le Mémorial de Yad Vashem (un institut basé à Jérusalem qui entretient la mémoire des victimes de la Shoah et de ceux qui les ont aidées) décerne au Bâlois le titre de Juste parmi les Nations, tout comme au village de Chambon-sur-Lignon dont les habitants ont pu sauver de la mort entre 3000 et 5000 Juifs.
«C’était mon destin», lance August Bohny pour expliquer son attitude durant la guerre, un choix qui pouvait conduire à la mort. Avant d’ajouter: «De condition modeste, mes parents étaient toujours prêts à aider les autres. Je leur suis très reconnaissant de m’avoir transmis ce don.»
Un devoir d’humanité
Présente lundi soir à la cérémonie organisée par la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD), Ruth Dreifuss souligne la force du message qui se dégage des Justes et de leur choix de vie.
«Ce sont des individus qui ont agi en tant qu’individus, souligne Ruth Dreifuss. Ils nous disent au travers de leurs actes: suivez votre conscience, secourez les gens que vous pouvez sauver et, s’il le faut, en bravant les lois qui iraient à l’encontre de ce devoir d’humanité.»
Un regard que partage l’actuel président de la Confédération Pascal Couchepin dont la présence à Genève a conféré à la cérémonie de lundi une dimension nationale.
«Ces Justes sont des modèles pour notre génération et celles qui suivront. Ces personnes ont simplement dit non à la barbarie. Ils ont eu le courage et la force intérieure de dire non. La dignité humaine dépend d’actes comme ceux-là», relève Pascal Couchepin.
Revenant sur l’affaire des fonds en déshérence qui a poussé la Suisse à revisiter son histoire durant la Seconde Guerre mondiale, Pascal Couchepin souligne: «Ce regard sur cette réalité et ses aspects les moins glorieux était important. Aujourd’hui, cet hommage aux Justes délivre un message plus positif, où nous disons notre volonté de faire prévaloir les valeurs de la conscience morale sur les circonstances particulières.»
L’actualité du message
Tout en rappelant que la Suisse ne peut pas se dédouaner de son attitude durant la Seconde Guerre mondiale en mettant en avant ses Justes, Ruth Dreifuss tire un parallèle avec la situation présente des migrants qui tentent de venir en Suisse.
«Bien sûr, l’histoire est différente et il faut l’analyser dans sa spécificité. Mais je pense que parmi les gens qui se sont engagés à aider des personnes en danger dans leur propre pays, et ce même en violant la loi sur les étrangers, certaines ont agi en suivant leur propre conscience. Qui sommes-nous pour juger cette conscience?»
swissinfo, Frédéric Burnand à Genève
La cérémonie de Genève a eu lieu à l’occasion de la Journée internationale de commémoration des victimes de l’Holocauste, décrétée par l’ONU en 2005.
L’hommage a été l’occasion d’annoncer la sortie du livre «Les Justes suisses», écrit par François Wisard, chef du service historique du ministère suisse des Affaires étrangères. Cet ouvrage de synthèse sera mis à disposition gratuitement aux écoles de Suisse romande.
A New York, l’Organisation des Nations unies consacre une exposition au Suisse Carl Lutz, diplomate en poste à Budapest de 1942 à 1945, dont l’engagement a permis de sauver plus de 60’000 Juifs.
Le «Juste parmi les Nations» est un titre décerné par le mémorial Yad Vashem de Jérusalem qui a tenu à honorer les personnes non juives qui ont sauvé des Juifs durant la Shoah, au péril de leur vie et de manière désintéressée.
Plus de 21’000 personnes ont reçu le titre de Juste parmi les Nations, dont une soixantaine en Suisse.
Une commission du Parlement suisse est chargée de réhabiliter les Suisses condamnés par la justice pour avoir aidé des réfugiés, le plus souvent juifs, durant la Seconde Guerre mondiale. Un acte contraire aux mesures et aux lois adoptées à l’époque par la Confédération, qui voulait se prémunir contre l’arrivée d’un grand nombre de réfugiés et ménager l’Allemagne nazie. Plus de 100 personnes ont ainsi pu être réhabilitées.
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