Les possibilités de paix entre Biden et Poutine
Prévu à Genève le 16 juin, le sommet entre les présidents américain Joe Biden et russe Vladimir Poutine ne s’annonce pas facile. Selon le spécialiste du GCSPLien externe Marc Finaud, il offre une occasion unique de réduire les tensions, relancer le désarmement et faciliter la coopération face aux menaces auxquelles le monde est confronté.
Genève, ville de la paix, accueille de nouveau les dirigeants des États-Unis et de la Russie. Si l’on regarde dans le rétroviseur, l’optimisme pourrait s’imposer. En effet, les précédents sommets genevois avaient débouché sur d’importants accords. Celui de 1955 entre Eisenhower et Khrouchtchev n’avait pas pu régler la réunification de l’Allemagne dont l’Union soviétique demandait le retrait de l’OTAN, mais il avait ouvert la voie à la création, conjointement avec la France et la Grande-Bretagne, du Comité des Dix Puissances sur le Désarmement, lequel deviendra plus tard la Conférence du désarmementLien externe qui existe toujours à Genève.
Le sommet de 1985 entre Reagan et Gorbatchev s’ouvrait aussi sur fond de tensions. Le dirigeant soviétique devait confier plus tard: « Nous envisagions la rencontre de Genève avec réalisme, sans attentes démesurées, mais nous espérions poser les bases d’un dialogue sérieux pour l’avenir ». La principale pomme de discorde, l’ambitieux programme américain de « Guerre des étoiles »Lien externe redouté par les Soviétiques, ne permit pas de conclure d’accord immédiat, mais donna un élan à la négociation − qui piétinait à Genève depuis 1980 − du Traité sur les Forces nucléaires à portée intermédiaireLien externe (FNI), signé deux ans plus tard.
La montée des tensions
La rencontre de 2021 entre Joe Biden et son homologue russe Vladimir Poutine ne s’ouvre certes pas sous les meilleurs auspices : les motifs de désaccord se sont accumulés entre les deux pays. Engagée dans la guerre civile en Syrie aux côtés du régime d’Assad, la Russie a combattu les alliés des États-Unis et des Européens. Elle a annexé la Crimée et continue d’exercer sa pression militaire sur l’Ukraine et ses voisins membres de l’OTAN (pays baltes, Pologne). Elle a été accusée de s’ingérer dans les élections américaines et dans certains pays européens et Biden a menacé le Kremlin de sanctions si l’opposant Navalny disparaissait. Poutine a lancé de spectaculaires programmes d’armementsLien externe perçus par les Américains comme offensifs et déstabilisants. En fait, Moscou mène une politique à la fois opportuniste − profitant du retrait américain du Moyen-Orient sous Trump − et asymétrique − investissant dans un budget militaire demeurant inférieur à 10 % de celui du Pentagone, mais permettant de compenser la suprématie américaine.
Si le réalisme l’emporte de part et d’autre, les deux dirigeants devraient saisir l’occasion non pas de régler tous leurs différends, mais de renouer le dialogue et la négociation pour des accords ‘gagnant-gagnant’. Sur les questions de non-prolifération et de contrôle des armements, on peut déjà se féliciter de deux avancées: le retour annoncé des États-Unis dans l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPOALien externe) et la levée consécutive des sanctions américaines contre l’Iran, qui devrait permettre le rétablissement des contraintes sur le programme iranien, et, à moyen terme, des pourparlers régionaux sur la sécurité, les missiles balistiques et les interventions dans les conflits au Moyen-Orient. Autre motif de satisfaction : la prorogation pour cinq ans, décidée conjointement au début de l’année, du Traité New STARTLien externe de 2010 sur les armements nucléaires offensifs. Ce délai devrait être mis à profit pour lancer une nouvelle négociation (à Genève ?) sur le successeur de ce traité. Lors du sommet, les présidents devraient l’annoncer et en mentionner l’ordre du jour. L’exercice n’est certes pas aisé : les Russes entendent inclure les systèmes non déployés et surtout les systèmes défensifs, ce à quoi les Américains sont réticents. Ces derniers pourraient exiger, pour la première fois, que soient discutées non seulement les armes stratégiques (tirées de chaque pays et visant l’autre), mais aussi les armes dites tactiques en Europe, que la Russie conserve en nombre bien supérieur (près de 3 000) à celui des armes américaines (une centaine). La disparition du Traité INF provoquée par Trump redonne toute son importance à cette catégorie, qui abaisse le seuil d’emploi de l’arme nucléaire. S’ils ont leur mot à dire, les Européens ne pourraient qu’encourager une telle négociation et le retrait des armes américaines en échange du retrait ou du démantèlement des systèmes russes.
La difficulté pour Biden résulte de son réexamen de la doctrine stratégique et de la posture nucléaire américaine, notamment pour se démarquer de son prédécesseur. Les négociations internes aux États-Unis, dans lesquelles le Pentagone, le Congrès et le lobby militaro-industriel jouent un rôle déterminant, ne seront pas achevées lors du sommet et la marge de manœuvre du président américain face à Poutine sera limitée. On sait que Biden est tenté de faire évoluer la doctrine des États-Unis vers le «non-emploi en premier», qui réduirait encore le risque de guerre nucléaire. Tout au plus pourra-t-il sonder la réaction du président russe pour convaincre le cas échéant les opposants à ce concept au sein de l’appareil de sécurité américain et chez les alliés.
Réduire le risque d’escalade
Les autres aspects de la relation stratégique américano-russe (espace, nouvelles technologies, rôle de la Chine, etc.) sont évidemment complexes, de même que la question des violations des droits humains que Biden entend soulever. Mais la priorité devrait consister à réduire le risque d’escalade à partir d’un conflit classique. Celui-ci peut éclater à tout moment dans la zone de contact OTAN-Russie. Il importe donc de développer les mesures de confiance et de transparence adoptées au sein de l’OSCELien externe et de relancer le Traité sur les Forces conventionnelles en EuropeLien externe (CFE) toujours suspendu à cause des conflits en Moldavie, Géorgie et Ukraine. Des experts américains, européens et russes ont formulé des recommandationsLien externe à cet égard. Il est grand temps que les deux dirigeants les mettent en application, à l’heure où la Russie annonceLien externe des renforcements de forces sur sa frontière occidentale. D’autre part, il est regrettable que les deux pays, à l’initiative de Trump, se soient retirés du Traité « Ciel Ouvert »Lien externe, dont le concept avait été lancé par Eisenhower lors du sommet de 1955. Revenir sur cette décision à Genève serait plus que symbolique.
Les discussions entre Biden et Poutine ne seront pas facilitées par la défiance qui caractérise leurs relations personnelles. En tant que vice-président, Biden avait déclaré que Poutine «n’avait pas Lien externed’âmeLien externe». Devenu président, il a qualifié son homologue de «tueurLien externe», faisant référence aux empoisonnements d’opposants imputés au Kremlin. Mais Reagan avait traité l’URSS d’« empire du mal », George W. Bush avait qualifié Poutine de « mec froid », et son Secrétaire à la Défense Robert Gates l’avait nommé «tueur froid comme une pierre». Ces épithètes n’avaient pas empêché les relations entre les dirigeants de se poursuivre avec leurs hauts et leurs bas. Après tout, l’objectif affichéLien externe par Biden est réaliste et atteignable moyennant des efforts de part et d’autre: «bâtir une relation stable et prévisible avec la Russie conformément aux intérêts américains».
Les intérêts communs
Les domaines potentiels de coopération ne manquent pas : de la lutte pour le développement durable et contre le terrorisme à l’action contre le dérèglement climatique en passant par le traitement de la pandémie ou le processus de paix au Moyen-Orient. Face à ces défis globaux, le meilleur résultat du sommet bilatéral serait la décision de renforcer la collaboration des deux pays dans le cadre multilatéral qui redonnerait à Genève son rôle prépondérant.
L’article reflète l’opinion de son auteur, qui n’est pas nécessairement celle de la rédaction de swissinfo.ch
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