Les risques de l’aide humanitaire à grand spectacle
L'aide humanitaire vient chaque année en aide à des milliers de personnes. Pour attirer l'attention des médias et des donateurs, les organisations se livrent toutefois à une compétition parfois dangereuse.
L’exposition «Grand prix de la catastrophe», au Musée de la Croix-Rouge à Genève, invite le public à s’interroger sur l’importance mais aussi, sur les débordements de certaines interventions.
Une petite exposition pour soulever de grandes questions: parfois, quelques mots et des images, suffisent pour interpeller et poser un regard différent sur la réalité.
C’est ce que démontre le Musée international de la Croix-Rouge de Genève (MICR) avec sa première exposition entièrement consacrée aux catastrophes naturelles. L’événement met en scène la grande course contre la montre engagée par les organisations humanitaires pour répondre à la détresse dans l’urgence et aux tragédies collectives qui frappent la planète.
«Nous voulons inciter le public à réfléchir au rôle de l’aide humanitaire en cas de catastrophe naturelle, à comprendre sa valeur mais aussi, à penser au développement et aux perspectives de cette action», explique Roger Mayou, directeur du MICR.
Augmentation inquiétante
L’exposition emmène le visiteur à suivre le déroulement «naturel» de la tragédie: annonce de la catastrophe par les radios et les télévisions, appels à la solidarité lancés à la communauté internationale, afflux de dons, aide urgente prodiguée pour sauver le plus grande nombre de vies possible, envoi d’experts chargés d’évaluer l’ampleur du drame et transport de matériel sanitaire: vivres, tentes et autres couvertures.
Une course effrénée, qui se déroule sous nos yeux, à des intervalles de plus en plus rapprochés. En 1976, par exemple, on a enregistré 280 catastrophes naturelles d’une certaine importance: inondations, ouragans, tremblements de terre, éboulements et éruptions volcaniques.
Depuis, leur nombre a grimpé de manière exponentielle. En 2006, on est passé à 850 catastrophes, qui ont touché 134 millions d’être humains. Ces chiffres risquent d’augmenter encore au cours des années à venir. «Les changements climatiques ont déclenché des phénomènes naturels qui menacent de nombreuses populations aux quatre coins du monde», précise Robert Mayou.
Pour permettre au public d’expérimenter la puissance de ces phénomènes, un simulateur sismique a été installé au cœur de l’exposition. Il s’agit d’un tapis roulant qui dégage des secousses semblables à celles provoquées par les tremblements de terre survenus en France, en Algérie et en Turquie.
Trop d’aide tue l’aide
Un phénomène naturel, rappelle le MICR, n’est pas une catastrophe en soi. Il le devient lorsqu’il frappe une population vulnérable, qui ne dispose pas des ressources nécessaires pour surmonter l’épreuve.
Nécessaire et légitime du point de vue éthique et pratique, l’intervention humanitaire s’est muée en une sorte de «Grand prix de la catastrophe», comme le laisse entendre le titre de l’exposition. Les organisations humanitaires sont toujours plus absorbées par ce que l’on pourrait appeler une compétition globale visant à augmenter leur visibilité, à capter l’attention des médias et à stimuler la générosité des donateurs.
Du coup, l’action humanitaire ressemble parfois à un grand débarquement international de moyens et de projecteurs de l’actualité, avec le risque de reléguer les véritables besoins des victimes au second plan. Plus la couverture médiatique est importante et plus l’argent afflue. Mais cette abondance de moyens et d’acteurs mobilisés peut aussi entraîner des problèmes de coordination.
«De tels dysfonctionnements sont notamment apparus après le tsunami de 2004. Pour des questions, entre autre, liées à l’intérêt médiatique, toutes les organisations ont voulu être présentes sur place et ce, même lorsqu’elle ne disposaient pas de l’expérience et des compétences nécessaires pour affronter ce type de sitution», ajoute Roger Mayou.
Ainsi, l’exposition rappelle que 60% des médicaments expédiés dans les pays d’Asie frappés par le raz de marrée ne correspondaient pas aux besoins de la population. C’est ainsi que des centaines de tonnes de médicaments ont dû êtres incinérées: une catastrophe logistique.
Professionnalisme à l’excès
Pour les professionnels de l’aide humanitaire, les mots «compassion», «empathie», «générosité» et «solidarité» ont désormais cédé le pas à une nouvelle terminologie, répondant à une logique plus technique: «recherche de fonds», «rechute en terme d’image» ou encore, «controlling».
Certaines organisations sont même allées jusqu’à demander aux victimes du tsunami, de remplir des formulaires de «feedback», afin de sonder leur degré de satisfaction par rapport aux services dont elles ont bénéficié suite à la catastrophe.
L’apparition de telles méthodes laisse songeur et démontre une fois encore combien, face à la tragédie, tous les habitants de la planète Terre ne sont pas égaux.
«Entre le tsunami spectacle et le tsunami silencieux, vécu notamment, par trois millions d’enfants qui meurent chaque année de la malaria dans les pays pauvres, la compassion humaine se reporte massivement et aveuglement sur le premier», déplore le philosophe Jean-Pierre Dupuy.
Armando Mombelli, swissinfo.ch
(Traduction de l’italien: Nicole Della Pietra)
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a été fondé en 1863, comme organisation neutre et indépendante, par le Genevois Henry Dunant (Prix Nobel de la Paix en 1901).
Le CICR est la plus ancienne organisation humanitaire existante à ce jour. Il est à l’origine de la création du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, de même que du droit humanitaire ancré dans les Conventions de Genève.
Le droit international définit le mandat du CICR, qui s’occupe en particulier de l’aide aux populations civiles et aux blessés lors de conflits armés, des prisonniers détenus durant les guerres ou emprisonnés pour des motifs politiques.
L’organisation humanitaire basée à Genève n’intervient généralement pas dans le cadre de catastrophes naturelles. Elle peut cependant assumer un rôle de coordination des activités déployées par les sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Cela avait notamment été le cas après le tsunami de 2004.
Le Musée international de la Croix-Rouge a été inauguré en 1998. Depuis son ouverture, plus de 1,5 millions de personnes l’ont visité.
Le Musée propose une exposition permanente qui retrace la naissance et l’histoire de l’aide humanitaire, de la bataille de Solferino aux guerres mondiales du 20e siècle, des Conventions de Genève aux activités actuelles du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
L’exposition temporaire «Grand prix de la catastrophe» est à voir jusqu’au 27 janvier 2008.
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