Les Suisses alémaniques saliveront devant Titeuf
La star BD aux dix millions d’albums vendus passe de la cour de récré aux timbres-poste suisses. Zep a imaginé quatre historiettes pour animer cartes et enveloppes.
Les malicieux y verront une façon élégante de passer le message en Suisse alémanique, où Titeuf doit encore se faire des amis.
C’est l’histoire d’un bonhomme de neige dont le nez en carotte a migré vers le bas, devant un Titeuf hilare… Zep n’a pas trahi son héros fétiche en signant avec La Poste.
Ses timbres ont l’impertinence comique et l’ingénuité qui font le succès du gosse à la mèche blonde. Assez en tout cas pour faire saliver dans les foyers.
Officiellement, Zep se situe toutefois à mille lieues de toute considération marketing. Ce qui le guide avant tout, c’est le plaisir, assure son agent, Jean-Claude Camano.
S’attaquer à une série de timbres revenait à s’immerger dans la philatélie, un monde souvent fantasmé par les enfants. Reste que par voie postale, Titeuf pourrait bien encore accroître sa popularité.
«Pour nous, il est clair que le timbre a un impact intéressant en termes institutionnels, indique Jean-Brice Roux, des Editions Glénat à Paris. C’est un bon support».
Haro sur la Suisse alémanique
Un fort impact n’est pas forcément attendu en Suisse romande, où comme ailleurs en francophonie, le gamin cartonne sans s’essouffler. Mais plutôt dans les autres régions linguistiques du pays.
Au Tessin, Titeuf est inexistant, puisqu’il n’a pas encore été traduit en italien. Par contre, une version de plusieurs albums existe en allemand. On les doit à l’éditeur hambourgeois Carlsen Verlag.
«Contrairement à l’Allemagne, nos ventes sont bonnes et plutôt stables en Suisse alémanique, indique Stefanie Schrader, porte-parole de Carlsen. Mais elles sont sans commune mesure avec celles enregistrées en France».
On n’en saura pas plus du côté de Carlsen. Au magasin de BD «Comics Shop» à Zurich, Romain Menes et ses collègues estiment que la BD se taille un joli succès dans sa version francophone.
Les Suisses alémaniques aussi préfèrent la lire en VO et représentent même un quart des acquéreurs de cette version chez Comics Shop.
«La traduction en allemand n’est pas fabuleuse, explique Romain Menes. C’est une adaptation pour les Allemands d’Allemagne, qui passe moyennement chez les Suisses alémaniques».
Une question de statut
Quoi qu’il en soit, on ne peut pas parler de phénomène Titeuf en Suisse alémanique. A cela, plusieurs explications.
«A l’image de la Belgique et de la France, un véritable marché de la bande dessinée existe en Suisse romande, explique Jean-Brice Roux. En Suisse alémanique comme en Allemagne, la BD n’a pas le même statut d’œuvre littéraire».
C’est si vrai qu’en France, un best seller correspond à 100’000 exemplaires vendus. En Allemagne, c’est dix fois moins (hormis Astérix ou Tintin, on parle alors des mangas et autres BD japonaises).
A Zurich, Edition moderne prévoyait la publication de Titeuf en allemand. Mais David Basler s’est fait brûler la politesse par Carlsen Verlag.
«Il faut envisager le marché du livre et de la bande dessinée en termes de zone linguistique, pas de frontière nationale, indique l’éditeur. Or, Titeuf vit beaucoup par le langage, dont l’humour est difficile à transposer en allemand».
L’humour s’exporte mal
«L’humour est un des biens les plus difficilement exportables, confirme Jean-Claude Camano. Titeuf n’est pas une BD régionaliste. Elle revendique la part d’enfance, pas la spécificité suisse. Mais les différences culturelles subsistent».
Le monde de l’édition offre peu d’exemples de succès mondial massif. Harry Potter bien sûr, et quelques autres. Tous appuyés par une solide politique audiovisuelle et marketing que seuls les pays anglo-saxons savent développer.
«C’est une question de moyens et de volonté, estime Jean-Claude Camano. Pour sa part, Zep ne cherche pas à devenir le maître du monde, mais à faire ce qu’il a envie, avec la plus grande sincérité».
Reste quand même la Suisse alémanique, à un jet de pierre de la cour de récré de Titeuf. Si proche même, qu’on pourrait bientôt le voir apparaître dans l’un ou l’autre quotidien d’outre-Sarine.
swissinfo, Pierre-François Besson
La poste sort quatre timbres à 85 centimes consacrés à Titeuf.
Zep les consacre à l’évocation du cycle des saisons.
Leur tirage est gardé secret afin d’éviter la spéculation.
Ils seront disponibles dès le 9 mars aux guichets de poste et sur Internet.
– Titeuf naît en 1992, sur un carnet de croquis, alors que le Genevois Zep, allias Philippe Chappuis, se replonge dans ses souvenirs d’enfance. Epaulé par les Editions Glénat, le succès est relativement rapide. Puis phénoménal (dès 1995), au départ de la Suisse, vers toute la francophonie.
– Agé de 36 ans, Zep a obtenu moult récompenses internationales. Mais la plus grande est sans doute le statut de phénomène de l’édition gagné par son héros. En France comme en Suisse romande, il figure depuis plusieurs années en tête des ventes de livres, tous secteurs confondus.
– Commercialisé à 10 millions d’exemplaires en français (sans compter 900’000 unités pour «Le guide du zizi sexuel»), Titeuf enregistre des tirages en explosion. Le dernier album sorti (le 9e) a été lancé à 1,4 million d’exemplaires. Ont suivi plusieurs réimpressions de quelques centaines de milliers d’unités chacune.
– Titeuf est sorti du seul monde francophone. La BD, traduite en 14 langues, est notamment publiée en Chine, à Taiwan, en Corée, en Grèce, en Allemagne, en Scandinavie, en Espagne, dans l’ex-Europe de l’Est, et bientôt en Russie.
– Au-delà de la collection de bandes dessinées «Tchô! La collec…», Titeuf est au centre du magazine «Tchô!», de supports audiovisuels variés et de toute une gamme de produits dérivés.
– Zep avait déjà vu ses créations apparaître sur des timbres suisses en 1992. Et il devrait en signer d’autres en France dès 2005. Récemment, Zep a aussi conçu la pochette du dernier disque de Jean-Jacques Goldman, autre phénomène culturel francophone, dans la variété française, celui-là.
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