Maurice Bavaud retrouve son honneur
Il y a 70 ans, le 9 novembre 1938, ce Suisse tentait d'assassiner Adolf Hitler à Munich. Il est guillotiné en 1941. Aujourd'hui, le président Pascal Couchepin reconnaît que la Suisse n'a pas suffisamment défendu Maurice Bavaud.
Pour la première fois, le gouvernement suisse marque l’anniversaire de la tentative d’assassinat perpétré par Maurice Bavaud contre Adolf Hitler en publiant une déclaration.
Il aura ainsi fallu soixante-sept ans à la famille et aux amis de ce jeune homme exécuté à 25 ans pour obtenir que son pays lui rende hommage et honneur. C’est aujourd’hui chose faite officiellement par Pascal Couchepin.
«Maurice Bavaud a motivé sa tentative d’assassinat par le fait que Hitler était un danger pour l’humanité, pour l’indépendance de la Suisse et pour les Eglises. Il avait pressenti les effets funestes que Hitler allait avoir sur le monde. A cet égard, il mérite notre reconnaissance et une place dans nos mémoires», a notamment déclaré le président de la Confédération.
L’histoire de ce théologien neuchâtelois a longtemps été un quasi secret d’Etat. Parti pour l’Allemagne en octobre 1938 armé d’un pistolet, il suit pendant un mois les déplacements du «Führer». Le 9 novembre, l’occasion se présente lors d’une marche commémorative du Parti nazi. Mais, gêné par les bras levés par la foule pour le salut hitlérien, Maurice Bavaud renonce.
Du psychopathe au héros
Lors de son retour en Suisse, sans titre de transport, il est arrêté, interrogé par la Gestapo et incarcéré. Condamné à mort par le Tribunal du peuple le 18 décembre 1938, il est décapité à Berlin le 14 mai 1941.
Traité de «fanatique psychopathe» par les uns, de «héros» par les autres, les motivations de ce théologien ont suscité controverses et analyses durant ces 70 dernières années. En décidant de le «réhabiliter» symboliquement (Bavaud n’a pas été condamné par la justice helvétique), le gouvernement suisse opte pour la thèse du héros.
«Avec le recul, on peut dire aujourd’hui que les autorités suisses de l’époque, qui avaient renoncé à intervenir auprès des autorités allemandes, ne se sont pas suffisamment engagées en faveur du condamné», a encore déclaré Pascal Couchepin.
Les documents et les livres publiés sur «l’affaire Bavaud» rappellent que l’ambassade de Suisse à Berlin n’a pas visité le condamné, ni ne l’a aidé en aucune façon, estimant que celui-ci avait mis en danger les intérêts de son pays. Berne refusa même de l’échanger contre un espion allemand.
Certains, comme le dramaturge Rolf Hochhuth en 1976, ont vu en lui un nouveau Guillaume Tell. Ironie de l’Histoire: Adolf Hitler avait été lui-même un admirateur de l’homme à l’arbalète à la lecture du texte de Schiller. Jusqu’à la tentative d’assassinat du jeune Suisse en 1938. Dès lors, le dictateur allemand accuse Tell d’anarchisme et de subversion.
Fin d’une longue bataille
La déclaration officielle de ce vendredi est l’aboutissement d’une motion parlementaire déposée début octobre par Paul Rechsteiner. Le même député socialiste avait déjà présenté une demande analogue en 1998. Alors sans succès.
Réaction de Paul Rechsteiner: «C’est une honte que les autorités suisses n’aient pas été capables de rendre un honneur mérité à Bavaud. A l’époque, elles ont qualifié son acte de ‘détestable’ et n’ont pas levé le petit doigt pour sauver sa vie.»
Pour le député, l’attitude de Berne était un manque de courage. Et de rappeler l’affaire de Paul Grüniger, le policier st-gallois condamné pour avoir fait entrer des juifs en Suisse pendant la guerre, et qui a dû atteindre 1995 pour être réhabilité.
La deuxième tentative de Paul Rechsteiner aura donc été la bonne. Comparée à la réponse de 1998, la déclaration de ce vendredi vise à marquer l’anniversaire de cette «tragédie», a précisé le porte-parole du gouvernement Oswald Sigg. «C’est l’occasion pour le Conseil fédéral de rappeler que ce Suisse a été le premier à chercher à tuer Adolf Hitler.»
Une étape de plus
En rendant hommage à Maurice Bavaud, la Suisse officielle franchit une étape de plus dans son travail de mémoire sur son attitude durant la 2e Guerre mondiale.
Ce processus a commencé au milieu des années 1990 avec l’affaire des avoirs en déshérence de victimes de l’Holocauste, puis avec la réhabilitation de Paul Grüninger.
Cette reconnaissance a donné le coup d’envoi en 2004 à une loi pour la réhabilitation de passeurs de réfugiés en Suisse lors du nazisme. Par la suite, plus de 120 personnes – suisses et étrangères – avaient été réhabilitées et leurs condamnations annulées.
swissinfo et les agences
Né en 1916 à Neuchâtel, il fait des études de théologie pour devenir missionnaire.
En octobre 1938, armé d’un pistolet, il se rend en Allemagne où il tente vainement d’approcher Hitler pour l’assassiner.
Arrêté à son retour vers la Suisse sans billet, il est remis à la Gestapo et avoue son projet, car il considère Hitler comme un danger pour l’humanité.
Condamné à mort, il est guillotiné en 1941. Resté inconnu, son geste est célébré en 1976 par le dramaturge Rolf Hochhuth, qui a vu en lui un nouveau Guillaume Tell.
En 1980, Niklaus Meienberg consacre un film et un livre à l’affaire.
En 1989 et en 1998, le Conseil fédéral reconnaît que les autorités suisses ne l’avaient pas suffisamment défendu.
Le 7 novembre 2008, le président de la Confédération Pascal Couchepin lui rend «une place dans nos mémoires».
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