Les thérapies géniques à un tournant décisif

Les thérapies géniques visant à traiter diverses maladies héréditaires graves représentent une révolution en médecine. Pourtant, ces dernières années, les entreprises qui les développent ont essuyé plusieurs revers. Que faire pour que ces traitements parviennent à tenir leurs promesses?
Il y a cinq ans, les entreprises spécialisées dans la thérapie génique croulaient sous les investissements. En 2020, les financementsLien externe dans le domaine des thérapies cellulaires et géniques ont atteint 19,9 milliards de dollars (17,6 milliards de francs suisses), soit le double des 9,8 milliards récoltés l’année précédente via les introductions en bourse, le capital-risque et d’autres formes de financement.
Aujourd’hui, le paysage a bien changé. Les ambitions du secteur ont été freinées par les inquiétudes relatives à la sécurité, le scepticisme de la patientèle, les coûts astronomiques et une succession de difficultés industrielles. En 2022 et 2023, les investissements sont retombés sous la barre des 13 milliards de dollars. Une légère reprise a été observée en 2024, portée par quelques autorisations positives et un regain d’essais cliniques en Europe.
Face à la pénurie de capitaux, plusieurs petites entreprises de thérapie génique, autrefois coqueluches des investisseurs, ont été contraintes de réduire leurs effectifsLien externe, de mettre la clé sous la porte ou de se retirer complètement de certains marchés. La situation a donné lieu à des articles alarmistes faisant état d’une criseLien externe de la branche des thérapies géniques.
«Dès qu’un médicament obtient de bons résultats, on pense que la bataille est gagnée et que l’on a tout compris», souligne Rodolphe Renac, expert en innovation dans la santé et président de la filiale américaine du cabinet de conseil Alcimed. «Alors que, même si certaines thérapies géniques donnent des résultats spectaculaires, des améliorations restent nécessaires.»
Les entreprises suisses comme Roche et Novartis continuent d’investir dans ce domaine, et les scientifiques sont toujours optimistes quant au potentiel de guérison de certaines maladies offert par les thérapies géniques. Mais il est difficile de les rendre accessibles à la patientèle et, face à ce constat, les appels à réformer les modèles de tarification, de remboursement et la communication auprès du grand public se multiplient.
Les thérapies cellulaires et géniques sont souvent regroupées, car les deux méthodes visent à traiter, prévenir, voire complètement guérir certaines maladies en agissant directement au niveau cellulaire ou génétique.
La thérapie cellulaire consiste à introduire des cellules (parfois modifiées génétiquement) dans l’organisme d’une personne malade pour restaurer une fonction ou combattre une maladie.
La thérapie génique, quant à elle, repose sur l’introduction d’un gène fonctionnel ou sur la correction d’un gène défectueux afin de rétablir le bon fonctionnement des cellules. Pour ajouter ou remplacer un gène, de nombreuses thérapies utilisent un vecteur viral afin d’acheminer le matériel génétique jusqu’aux cellules. La technologie CRISPR-Cas9, quant à elle, est employée pour l’édition génomique précise.
Prendre en compte le coût réel
Les thérapies géniques sont communément considérées comme un changement de paradigme en médecine. En modifiant des gènes, en les remplaçant ou encore en altérant leur expression, ces traitements offrent l’espoir non seulement de soigner, mais aussi de guérir certaines maladies héréditaires mortelles – souvent en une seule perfusion.
L’un des plus grands défis auxquels font face ces thérapies reste toutefois leur tarification et leur mode de remboursement. En janvier, la thérapie génique Hemgenix, commercialisée par l’entreprise américaine CSL Behring pour traiter l’hémophilie B, est devenue le traitement unique le plus cher jamais pris en charge par les assurances en Suisse. Son prix: 2,7 millions de francs suisses (3 millions de dollars).
La plupart des thérapies géniques actuellement sur le marché ciblent des maladies rares, soit des pathologies qui ne touchent qu’une faible portion de la population (dans certains pays, 1 personne sur 2000). Les entreprises justifient leurs prix, qui se chiffrent souvent en millions pour une personne traitée, par la nécessité de compenser les très faibles volumes.
Mais à mesure que ces traitements se multiplient, les entités qui assument les remboursements – qu’il s’agisse d’assurances privées ou d’autorités sanitaires nationales – s’inquiètent de plus en plus de leur capacité à suivre financièrement. Dans plusieurs pays, notamment en Europe et en Amérique latine, certaines ont commencé à s’opposer à ces tarifsLien externe, allant jusqu’à refuser de rembourser certains traitements ou à négocier les prix à la baisse.
Même après avoir obtenu l’autorisation de mise sur le marché de trois thérapies géniques aux États-Unis, l’entreprise Bluebird Bio, basée à Boston, s’est retirée du marché européen faute d’avoir pu conclure des accords de remboursement avec les gouvernements. Ces traitements étaient proposés aux États-Unis à un tarif compris entre 2,8 et 3,1 millions de dollars par personne.
«Je pense que le marché a compris aujourd’hui qu’un paiement unique se chiffrant à plusieurs millions pour une thérapie administrée une seule fois, ce n’est pas possible», indique par e-mail Daniel Parle, consultant en contrats pharmaceutiques chez Lyfegen, une société bâloise spécialisée dans les solutions de gestion des prix des médicaments.
Les laboratoires font valoir que les thérapies géniques permettent non seulement de sauver des vies, mais aussi d’éviter aux familles et aux systèmes de santé des années de traitements coûteux. Cependant, «il reste difficile d’évaluer avec précision la valeur réelle d’une thérapie génique, car les décideurs, les budgets et les méthodes de suivi des dépenses varient», souligne Daniel Parle.
Cette valeur doit aussi prendre en compte les coûts additionnels liés à la mise en œuvre des traitements. Les multiples tests de dépistage, le contrôle de l’environnement de perfusion ou encore le suivi médical renforcé par du personnel spécialement formé sont autant d’éléments qui alourdissent la facture.
À cela s’ajoutent les coûts de fabrication élevés assumés par les laboratoires. Il n’existe pas une méthode universelle pour produire les vecteurs viraux servant à transporter le matériel génétique dans les cellules. Le cabinet de conseil Roland Berger estimeLien externe que le coût de production d’une seule dose pourrait être compris entre 1 et 2 millions de dollars.
Peser les risques et les bénéfices
Les incertitudes quant aux bénéfices réels et aux risques associés à ces traitements restent en outre nombreuses.
Certaines thérapies ont effectivement déjà changé des vies. C’est notamment le cas du Zolgensma, produit par le groupe suisse Novartis pour traiter l’amyotrophie spinale, une maladie neuromusculaire rare. Ou de la société américaine MeiraGTx, qui a annoncé en février que sa thérapie géniqueLien externe avait permis à 11 enfants nés aveugles de recouvrer la vue.
Mais tous les patients et patientes n’en retirent pas autant de bénéfices. Les enfants ayant reçu le Zolgensma avant l’apparition des premiers symptômes obtiennent de bien meilleurs résultats que ceux traités plus tard. Par ailleurs, des effets secondaires graves, dont des cas d’insuffisance hépatique aiguë, ont été signalés.
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Bien que la sécurité des thérapies géniques se soit améliorée, des progrès restent nécessaires, estime Rodolphe Renac. «D’autres traitements innovants comportent également des risques, mais les enjeux sont plus élevés pour les thérapies géniques au vu de leur coût», pointe-t-il. Si les investisseurs ont massivement parié sur ces traitements, c’est parce qu’ils misent sur leur capacité à guérir des maladies, mais cela doit être pondéré par les risques.
Certaines thérapies géniques reposent sur la technologie CRISPR-Cas9, qui consiste à couper l’ADN à un endroit précis pour corriger ou insérer un nouveau gène. Selon les spécialistes, cette approche pourrait offrir des bénéfices plus durables aux malades. Mais elle peut aussi entraîner des modifications génétiques involontaires. À ce jour, une seule thérapie basée sur CRISPR a été approuvée par les autorités de santé américaines et européennes. Il s’agit du Casgevy, utilisé contre la drépanocytose.
La durée des effets reste également incertaine. Les dernières donnéesLien externe concernant le Zolgensma montrent que beaucoup d’enfants bénéficiaient toujours du traitement plus de dix ans après avoir reçu l’injection. Néanmoins, certains scientifiques estiment que ces effets pourraient s’atténuer à mesure que les cellules se renouvellent, ce qui pourrait nécessiter une nouvelle administration.
Face à ces incertitudes, la patientèle et le corps médical n’adhèrent pas unanimement à cette technologie. Pour certaines maladies, l’hémophilie par exemple, des traitements éprouvés existent déjà: plus simples à administrer, moins chers à court terme et bénéficiant d’un recul clinique solide.
«Il existe une certaine réticence à l’égard des nouveaux traitements uniques», a déclaré Monika Paule, directrice générale de la biotech Caszyme spécialisée dans la technologie CRISPR, lors du Sachs CEO Life Sciences Forum à Zurich en février. «D’autant plus lorsqu’il existe déjà un traitement continu qui permet aux patients de mener une vie normale. Les patients choisissent souvent cette option, car il s’agit de celle qui leur est le plus familière.»
Les patientes et patients doivent aussi garder en tête que s’ils reçoiventune thérapie génique, il leur sera généralement impossible d’avoir accès à d’autres traitements, même si elle échoue. «Il est plus difficile de convaincre les patients des intérêts de la thérapie génique qu’on ne le pensait», reconnaît Rodolphe Renac, du cabinet de conseil Alcimed.
«Certaines grandes entreprises pharmaceutiques ont lancé ces traitements comme n’importe quel autre médicament, alors que la thérapie génique requiert une approche très différente en matière de communication et de relation avec la patientèle et le corps médical.»
Vers de nouvelles solutions
Confrontées à ces obstacles, certaines entreprises ont choisi de se retirer du secteur. En février, la firme américaine Pfizer a annoncé l’abandon de sa thérapie génique contre l’hémophilie B, Beqvez, pourtant déjà autorisée aux États-Unis. Le portefeuille du groupe ne compte désormais plus aucun programme actif dans ce domaine.
Du côté suisse, Roche a également cessé de travailler sur au moins trois thérapies géniques au cours des dernières années. Début avril, le groupe et les régulateurs européens ont suspendu les essaisLien externe d’un traitement contre la myopathie de Duchenne après le décès par insuffisance hépatique aiguë d’un adolescent de 16 ans qui recevait le traitement.
En 2023, Teresa Graham, directrice de la division pharmaceutique de Roche, le reconnaissait devant la presseLien externe: «développer des thérapies géniques est extraordinairement difficile». Elle ajoutait qu’il était encore complexe de «concevoir un traitement d’un impact et d’une durabilité maximum».
Le groupe bâlois poursuit toutefois ses investissements dans le domaine, mais de manière plus ciblée. En octobre dernier, Roche a signé un partenariat avec Dyno Therapeutics, visant à utiliser l’intelligence artificielle pour améliorer l’acheminement des thérapies géniques vers leurs cibles. L’accord prévoit que Roche verse à Dyno 50 millions de dollars dans un premier temps, ainsi que plus d’un milliard en paiements conditionnels si les traitements franchissent les étapes clés et atteignent le marché.
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Roche mise sur les maladies largement répandues
L’an dernier, l’entreprise suisse Novartis a également annoncé l’acquisition de Kate Therapeutics, une start-up de biotechnologie fondée il y a quatre ans, qui développe deux thérapies géniques encore à un stade précoce. Ces dernières sont destinées à traiter des troubles musculaires génétiques rares. La transaction pourrait peser au total 1,1 milliard de dollars.
Alors que la recherche et les fabricants travaillent à rendre les thérapies géniques plus sûres et plus efficaces, des solutions commencent à émerger pour répondre aux défis du marché. Selon un rapportLien externe publié en mars par le cabinet de conseil Lyfegen, la plupart des pays et des assurances ont recours à des mécanismes de partage des risques pour le remboursement des thérapies géniques. Dans certains cas, les assurances ne prennent en charge la thérapie que si des résultats précis sont obtenus chez la personne traitée.
Daniel Parle, de Lyfegen, indique que les outils de suivi de données et d’analyse, ainsi que l’intelligence artificielle, aideront à l’avenir à mieux évaluer l’impact total d’un traitement sur l’ensemble du système de santé. Parallèlement, davantage d’attention est portée à la communication avec la patientèle et les professionnels de santé, afin de mieux comprendre et répondre à leurs craintes et à leurs interrogationsLien externe.
«Les thérapies géniques peuvent produire des résultats remarquables pour les patients», reconnaît Rodolphe Renac. «Mais elles restent, à ce stade, très innovantes, très disruptives, et encore risquées.»
Texte relu et vérifié par Virginie Mangin/ts, traduit de l’anglais par Pauline Turuban à l’aide d’un outil de traduction automatique

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