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Le secteur suisse des matières premières résiste aux turbulences du coronavirus

Freshly roasted coffee beans
Les origines du négoce de matières premières en Suisse remontent à des pionniers comme Henri Nestlé au début du 19e siècle. Keystone

L'importance stratégique des produits de base et l'expérience acquise dans la gestion des fluctuations ont aidé les entreprises de ce secteur à mieux résister à la tempête du coronavirus que la plupart des autres secteurs de l’économie. Entretien avec la nouvelle responsable du lobby des matières premières en Suisse.

L’Association suisse de négoce de matières premières et du transport maritime (Swiss Trading and Shipping Association/STSALien externe) englobe les trois associations régionales et totalise plus de 190 compagnies et institutions membres, ainsi qu’une centaine d’experts impliqués dans les divers groupes de travail de l’association. Cette activité économique est l’une des plus importantes de Suisse, représentant environ 3,8% de son PIB et employant environ 35’000 professionnels dans le pays.

Florence Schurch
Florence Schurch est devenue secrétaire générale de l’Association suisse de négoce de matières premières et du transport maritime (STSA) en février 2020. Originaire de Genève, elle est titulaire d’un master en sciences politiques de l’Université de Genève et d’un master en relations internationales et sécurité de l’Université de Georgetown (Washington DC). Florence Schurch a commencé sa carrière en travaillant pour la police fédérale à Berne. Avant d’occuper son poste actuel, elle était déléguée aux questions fédérales pour le canton de Genève. STSA

swissinfo.ch a rencontré Florence Schurch, nouvelle secrétaire générale de l’association faîtière pour comprendre comment le secteur des matières premières gère le coup d’arrêt de l’économie mondiale et pour en savoir plus sur le rôle de ce secteur en Suisse.

swissinfo.ch: Quel est l’impact pour la Suisse de la crise sanitaire sur le commerce des matières premières et l’activité maritime?

Florence Schurch: La pandémie mondiale de coronavirus a un impact important sur l’économie mondiale. Le commerce des matières premières et l’activité de transport maritime sont en première ligne, étant donné la nature mondiale des chaînes d’approvisionnement en matières premières. Les mesures mises en place par différents pays pour contenir la propagation du coronavirus perturbent le flux normal de la chaîne d’approvisionnement.

Toutefois, la circulation des marchandises n’est pas visée par ces restrictions, afin de ne pas rompre les chaînes d’approvisionnement. Le transport de marchandises reste donc autorisé. Mais certaines dispositions et mesures spécifiques prises par les pays ont un impact direct sur les capacités de fret, les tarifs, la rapidité des opérations de traitement, le délai de livraison.

Tous les ports d’origine et de destination fonctionnent actuellement, mais l’activité a considérablement diminué et aucun d’entre eux ne fonctionne à plein rendement en raison des restrictions et limitations. Des retards se produiront, mais les cargaisons seront libérées même si elles le sont à un stade ultérieur.

Comment les compagnies maritimes suisses et les négociants en matières premières s’adaptent-ils à cette crise sanitaire mondiale?

La nécessité de maintenir la chaîne d’approvisionnement devient de plus en plus impérieuse dans un contexte d’incertitude mondiale, afin de garantir que les pays disposent des stocks nécessaires à leurs besoins quotidiens. Par exemple, les sociétés suisses de commerce de matières premières travaillent en étroite collaboration avec les torréfacteurs et les chocolatiers pour assurer l’approvisionnement en biens de consommation essentiels pour la Suisse, conformément aux politiques du gouvernement suisse visant à garantir le maintien des réserves fédérales de café et de cacao. En outre, certaines sociétés commerciales actives dans les matières premières dures [ressources naturelles qui doivent être exploitées ou extraites] participent désormais aux efforts de production d’éthanol, qui peut être utilisé dans les hôpitaux pour la désinfection, et pour la fabrication de gel désinfectant. En outre, des masques, des seringues et des gants en plastique sont produits à partir de produits pétrochimiques.

Les commerçants sont parfois dépeints comme de mauvaises personnes gagnant beaucoup d’argent sur le dos des autres. En réalité, aujourd’hui, ils travaillent dur pour que tout le monde puisse continuer à vivre aussi normalement que possible. Et continuer à boire du café et à manger de l’ananas ou du kiwi tous les matins.

La Suisse est l’une des plus grandes plateformes du négoce du pétrole brut, des métaux, des minéraux et des produits agricoles au monde.

Elle est le leader mondial du commerce du sucre, du coton, des oléagineux et des céréales. L’industrie suisse du négoce des matières premières emploie environ 35 000 personnes et génère 3,8% du produit intérieur brut.

La Suisse compte au total quelque 550 sociétés de négoce de matières premières dont la plupart se trouvent dans les régions de Genève, Zoug et Lugano. Parmi les acteurs les plus importants du secteur figurent des entreprises telles que Glencore, Trafigura, Mercuria, Gunvor et Vitol.

Source : DFAELien externe

Certains négociants sont-ils confrontés à des défis particuliers?

Cela dépend du pays. Le Honduras a mis en place un verrouillage complet depuis le 19 mars, de sorte que les sociétés commerciales ne peuvent pas acheter de café ou de cacao en provenance de ce pays. En raison de la fermeture du pays, l’agriculture est au point mort. Il semble que le Pérou envisage également de mettre en place des mesures de confinement. Mais, à ce jour, il n’a pas encore pris de décision.

Pour les compagnies pétrolières, le coronavirus n’est pas le seul problème. Il y a aussi la guerre économique que se livrent des puissances pétrolières comme l’Arabie saoudite, la Russie et les États-Unis. Ces deux dynamiques ont provoqué une réaction inhabituelle du marché. Tout dépend de la capacité des entreprises à disposer de liquidités suffisantes pour acheter du gaz et du pétrole lorsque le marché est à la baisse et de leur capacité de stockage. Aujourd’hui, le baril est à son prix le plus bas depuis 17 ans. Les compagnies pétrolières sont en première ligne dans ce marché imprévisible. Ce sont elles qui prennent des risques dans cette turbulence.

Si vous pensez à la vie quotidienne, les gens se déplacent moins aujourd’hui, de sorte qu’il n’y a plus besoin de carburant pour les avions et que la demande baisse pour les voitures et les transports publics.

Peut-on s’attendre à des pertes d’emplois dans ce secteur?

J’ai eu des contacts avec des négociants de cacao, de café, de céréales, de pétrole, de gaz et d’électricité. Les affaires ont ralenti pour tous. Ils ont encore du travail, mais il est difficile de dire aujourd’hui ce qui se passera à la fin de la crise du coronavirus. C’est un choc, mais le secteur se porte bien.

Pourtant, on ne peut jamais être sûr de rien. Si cela dure deux mois comme en Chine, nous ne savons pas comment les petites entreprises pourront supporter cela. Cela dépend de la santé de l’entreprise avant la crise. Parmi nos plus de 180 membres, nous avons beaucoup de petites entreprises. Pour elles, les problèmes de trésorerie peuvent être particulièrement aigus. Elles auront certainement besoin de bénéficier des différents plans économiques que le gouvernement suisse offre aux PME (petites et moyennes entreprises). Nous espérons vraiment que personne ne fera faillite, mais on ne sait jamais.

La contribution du secteur des matières premières à la croissance du PIB suisse sera-t-elle moins importante en 2020?

C’est difficile à dire. Il est certain qu’elle diminuera un peu parce que l’activité commerciale ralentit et qu’il faudra un certain temps pour revenir à la normale. La contribution de chaque secteur au PIB va beaucoup diminuer. Il suffit de penser au tourisme ou aux restaurants, hôtels et magasins, qui resteront fermés pendant au moins un mois, peut-être plus. Peut-être que la part du commerce et des matières premières dans le PIB fera un énorme bond en avant dans ce contexte. Ce qui ne signifiera pas une croissance de nos activités, mais des difficultés plus importantes dans d’autres secteurs de l’économie.

Quelles mesures peut adopter le gouvernement suisse pour atténuer les retombées économiques de cette crise sanitaire dans le secteur des matières premières?

Nous vivons en effet une période difficile et perturbatrice. Cependant, le secteur du commerce et du transport maritime des matières premières est habitué à faire face à des marchés turbulents. Il se maintiendra pour remplir son rôle économique essentiel. Les réponses des autorités cantonales et fédérales suisses sont cruciales pour assurer une bonne gestion des impacts économiques et pour soutenir le monde des affaires.

La STSA considère que les mesures liées à la fiscalité peuvent devenir importantes pour atténuer efficacement les impacts économiques et pour aider les entreprises à disposer des liquidités nécessaires à leurs activités. La possibilité de reporter le paiement de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) et des cotisations de sécurité sociale et de retraite des employés aiderait vraiment à conserver des liquidités.

Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand

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