Quand le coton sera bio, durable… et sexy
Lundi s'est ouvert à Interlaken la première Conférence internationale sur le coton biologique, qui réunit durant une semaine quelque 400 acteurs de toute la filière mondiale. Objectif: encourager des partenariats.
«From Fashion to Sustainability», c’est le titre ambitieux de ce congrès organisé par l’œuvre d’entraide suisse Helvetas pour marquer la première Année internationale des fibres naturelles.
«C’est le premier grand congrès ‘global’ sur le coton biologique et équitable avec des participants du monde entier et de toute la chaîne de production, transformation et distribution», explique Frank Eyhorn, responsable du Centre de Compétence Bio et Equitables d’Helvetas (OFTCC).
Jusqu’à vendredi, le programme propose une trentaine de débats et ateliers portant sur le développement de partenariats, l’intégrité de la filière, les concepts de marketing et de communication ainsi que les tendances et politiques.
Des paillettes sur le macramé
Mais aussi un «market place» et un défilé de mode orchestré par Yannick Aellen, une des étoiles suisses de ce genre d’événement «glamour», histoire de faire une place au coton biologique sur les podiums.
Mardi, le défilé a présenté des modèles signés Peter Ingwersen (label «Noir»), Marina Spadafora et Davide Grazioli («Banuq»), ainsi que Imane Ayissi (Cameroun) et Kofi Ansah (Ghana). Le tout en coton bio, comme il se doit.
Commercialement, le défi consiste à faire sortir le bio de sa «niche», terme d’usage pour ces habits éthiquement corrects mais aux airs «écolo baba cool» sans forme ni sexe, faits de tissus rêches et beigeâtres cousus à l’aiguille à tricoter.
C’est là qu’interviennent les technologies de pointe en matière de filature, de tissage, de coloration et de traitement des tissus. Ainsi, les coupes et les couleurs des t-shirts de la marque suisse Switcher ont atteint des standards très compétitifs.
Au point d’intéresser des marques de luxe comme Armani, Hermès, mais aussi Lacoste, Levi’s ou Replay, ou encore la Britannique Stella MacCartney, qui investissent de plus en plus dans la production écologique de fibres naturelles.
Le monde de la mode bouge
Le cas de Peter Ingwersen est exemplaire: cet ex-designer chez Levi’s s’est détourné peu à peu des conditions de travail de ce monde impitoyable pour créer son propre label en 2005. Il utilise uniquement du coton ougandais cultivé sans pesticides et à des prix équitables pour les producteurs. Une partie des gains finance les frais médicaux et de formation de la communauté locale.
«Le monde de la mode bouge, mais il y a aussi des grandes chaînes comme C&A ou H&M, ou encore Migros et Coop en Suisse, qui essaient d’intégrer le coton bio dans une gamme de produits plus vaste et qui investissent dans des pays producteurs du Sud», poursuit Frank Eyhorn.
«Si la Suisse a réussi à atteindre l’objectif de 5% de coton biologique sans produits chimiques ni OGM en 2008, c’est en partie grâce à Coop et Migros», ajoute-t-il.
Avec son assortiment Naturaline, Coop se proclame «le plus grand distributeur de textiles équitables en coton bio du monde». Depuis 1995, il pratique des primes au bio et l’interdiction du travail des enfants. Aujourd’hui, le distributeur suisse offre plus de 400 produits dans ses 133 supermarchés.
De même, Migros, partenaire depuis 2001 d’Helvetas, a signé cet été la «Better Cotton Initiative», qui regroupe 50 organisations (y compris le Secrétariat d’Etat suisse à l’économie) dans le monde «dans le but de promouvoir des méthodes de culture cotonnière ménageant l’environnement et garantissant aux cultivateurs un revenu stable».
Crise et spéculation
«Depuis plusieurs années, la spéculation sur les matières premières a fait chuter les prix, si bien que les producteurs du Sud ne gagnent plus rien, d’autant qu’ils ne reçoivent pas de subventions comme ceux du Nord», explique Georg Felber, chef du projet d’Helvetas au Burkina Faso.
Pour compenser ce déséquilibre, l’idéal serait de pratiquer des prix équitables. Le problème, c’est le coût: le coton bio coûte déjà 15 à 20% plus cher que le conventionnel, mais le «bio-équitable» coûte encore près du double en plus.
«Au Burkina Faso, confirme M. Felber, le kilo de graines de coton bio coûte 165 francs CFA et celui de bio-équitable 272, plus une taxe de 34 francs qui va à la communauté des exploitants.»
Et de reconnaître que, dans le Nord, les ménages doivent payer le coton plus cher. «C’est déjà une très bonne chose pour le consommateur final si le simple coton bio sort de sa niche grâce au fait qu’il est abordable.» A condition que la «ligne écolo» ne devienne pas un prétexte pour gonfler les marges.
En 2008, le marché mondial s’est effondré et n’absorbe plus la production qu’il faut stocker. «Avec la crise actuelle, ajoute l’expert d’Helvetas, il y a un effet d’engorgement dû à la baisse de la demande alors que les producteurs sont prêts.»
Pour conquérir durablement l’industrie de la mode et le grand public (surtout les jeunes), il est donc décisif que des partenariats se créent entre tous les maillons de la chaîne. Si un véritable marché se crée, alors les multinationales entreront dans le jeu. C’est l’espoir avoué de ceux qui sont réunis cette semaine à Interlaken pour faire le point.
Isabelle Eichenberger, swissinfo.ch
Conférence internationale organisée du 21-25 Septembre à Interlaken (Berne) par Helvetas, en collaboration avec Organic Exchange, International Trade Centre (ITC), Institute for Market Ecology (IMO) et le Secrétariat d’Etat à l’Economie (SECO) pour l’Année Internationale des Fibres Naturelles 2009.
La première organisation privée suisse de coopération au développement a été fondée en 1955. Basé à Zurich, son secrétariat central compte une soixantaine de personnes.
Apolitique et non confessionnelle, l’association compte 38’000 membres, plus de 40’000 donateurs et 15 groupes bénévoles actifs en Suisse.
Activité: projets de développement dans 18 pays conduits par environ 42 experts suisses et 600 collaborateurs locaux.
Membre d’Alliance Sud avec les 5 autres grandes organisations de développement suisses: Swissaid, Action de Carême, Pain pour le prochain, Caritas et Eper.
Sur une production mondiale de fibres végétales de 30 millions de tonnes par an (pour près de 40 milliards de dollars), le coton pèse les trois-quarts.
Il occupe environ 30 millions de personnes dans plus de 60 pays.
Il est cultivé sur moins de 3% des terres cultivables à l’échelle mondiale mais absorbe 25% de l’ensemble des pesticides utilisés dans l’agriculture.
En 2007, la production du coton bio (cultivé sans pesticides ni OGM, fabriqué et transformé dans le respect des normes écologiques et sociales) a atteint 58’000 tonnes sur 26 millions au total.
En 2006, les subventions d’Etat à la production cotonnière ont atteint 5,9 milliards de dollars, dont les deux tiers aux Etats-Unis et rien à l’Afrique.
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