Sur la piste des fraudeurs à l’aide sociale
La plupart des grandes villes de Suisse disposent désormais d'enquêteurs de l'aide sociale. Mises en place suite à des cas d'abus qui ont défrayé la chronique, ces mini-brigades ont pour mission de traquer les fraudeurs. Reportage à Lausanne.
«Bonjour Madame. Ville de Lausanne. Connaissez-vous votre voisin du dessous? Savez-vous par hasard s’il vit seul?». Enquêtrice sociale, Marie P.* est en filature.
Cette fois, la piste qu’elle suit l’a menée dans un immeuble bon chic bon genre proche des beaux quartiers de Lausanne.
On répond à ses questions avec aménité. Mais tous les renseignements obtenus figuraient déjà dans son «journal de filature» où elle consigne les étapes de la trentaine d’enquêtes dont elle s’occupe. Au passage, elle note le numéro de plaque d’une voiture stationnée devant l’immeuble. Peut-être une piste.
Avant de s’y lancer téléphone en main, elle préfère aller faire une autre vérification de terrain. Cette fois-ci à proximité d’un quartier nettement moins souriant de l’ouest lausannois. Dans un immeuble défraîchi, les noms des boîtes aux lettres forment un bréviaire de la mondialisation.
Malgré les couloirs aux couleurs criardes et l’exotisme des odeurs de cuisine, on devine un quotidien qui ne donne pas dans le rose. Habituée à subir le sort des vendeurs d’encyclopédie, sonnant aux portes en vain quand on ne les lui claque pas au nez, Marie P. n’apprendra là non plus rien de décisif.
Pression politique
Sur 130’000 Lausannois, 8000 touchent l’aide sociale ou le «revenu d’insertion» (RI), comme on l’appelle dans le canton de Vaud. C’est donc 8,5% de la population active lausannoise qui en vit. Atteignant 1110 francs pour un célibataire et 2375 francs pour une famille avec deux enfants, le RI est complété par un forfait loyer. Les primes maladie sont entièrement prises en charge.
De quoi donner des idées à certains tributaires. Dissimulation de fortune ou de revenus, dissimulation dans la composition du ménage, sous-location d’appartements, les fraudes sont multiples et varient quant à leur gravité. De quelques milliers à plusieurs dizaines de milliers de francs.
Face au phénomène, les pouvoirs publics serrent désormais la vis afin de ne pas prêter le flanc à la critique. Depuis que l’Union démocratique du centre (UDC, droite nationaliste) s’est emparée de la problématique, la pression politique s’est en effet accrue.
Statistiques à l’appui, les grandes villes de Suisse – où résident la majorité des bénéficiaires – communiquent désormais sur les résultats de la lutte anti-fraude qu’elles mènent. La plupart ont en outre mis en place des entités comparables à celle où travaille Marie P.
Augmentation des enquêtes
Avec ses trois collègues exclusivement chargés de pister les fraudeurs, ils ont découvert 2,6 millions de francs d’indus suite aux enquêtes demandées cette année. Ceci pour des versements à titre de l’aide sociale qui se montent à près de 90 millions aujourd’hui, contre 10 millions en 1990.
C’est dans ce contexte marqué par l’explosion des coûts sociaux que le problème des perceptions indues a émergé. «C’est quelque chose que la société ne tolère pas volontiers», reconnaît Michel Cornut, chef du service social de Lausanne, qui estime que les indus atteignent entre 2 et 4% de l’aide versée.
Parlant d’un dispositif de prévention et de répression «proportionné, adapté au besoin et sévère», il juge néanmoins qu’aller plus loin dans la surveillance risquerait de porter atteinte aux intérêts des bénéficiaires honnêtes.
Lesquels constituent la majorité, Marie P. elle aussi tient à le souligner. Même si, comme chacun de ses collègues, elle n’a affaire qu’à des dossiers de personnes soupçonnées d’avoir triché, la jeune femme garde foi dans le système social suisse.
«Il ne faut pas voir notre groupe d’enquête comme un système de répression. Notre rôle est plutôt de faire en sorte que l’argent de l’aide sociale aille à ceux qui en ont réellement besoin et pas à ceux qui arrivent à se débrouiller. Ce serait triste de devoir être plus restrictif et plus méfiant dans l’octroi des aides à cause des fraudeurs», explique-t-elle.
Reste que les dénonciations de la part de privés et les demandes d’enquête adressées par les assistants sociaux lorsqu’ils soupçonnent un cas d’abus ne cessent de progresser. En 1999, première année de fonctionnement où seul une enquêtrice s’occupait de cette tâche, 32 investigations avaient été menées, contre 295 à fin novembre 2008.
Une nouvelle arme
Et la nouvelle arme dont dispose Marie P. et ses collègues ne risque pas d’inverser la tendance. Introduite par l’Etat de Vaud au début 2008, la procuration générale les autorise à se renseigner auprès des organes de l’Etat, des employeurs et surtout des banques afin de détecter d’éventuels comptes non déclarés.
Utilisée uniquement en cas de doute sur la probité d’un bénéficiaire, cet instrument a considérablement élargi les possibilités des enquêteurs. Au 50% de leur temps passé sur le terrain en filatures et surveillances s’ajoute donc une autre moitié consacrée à des coups de fil, des envois de courrier et à la rédaction de rapports.
Policière dans l’âme, Marie P. ? Les épais dossiers et les photos passeports de mauvaise qualité qui parsèment son bureau pourraient le laisser penser. Pour sa part, comme les autres enquêteurs, elle préfère être comparée à un détective. Une histoire de discrétion.
swissinfo, Carole Wälti
* Identité fictive.
En Suisse, l’application de l’aide sociale relève de la compétence des cantons.
Le plus souvent, ces derniers délèguent son organisation aux communes.
La mise en œuvre de l’aide sociale peut s’avérer dès lors très différente d’un canton à l’autre, voire d’une commune à l’autre.
Au niveau du financement, cantons et communes se partagent généralement les charges.
Ces dernières années, la pression politique, orchestrée en particulier par l’Union démocratique du centre (UCD, droite nationaliste), s’est accrue autour du dossier de l’aide sociale.
Parallèlement, les médias se sont fait l’écho de plusieurs cas d’abus jugés par les tribunaux.
Au total, plus de 20’000 personnes bénéficient du revenu d’insertion (RI) dans le canton de Vaud.
En 2008, les dépenses du RI devraient se monter à 227,8 millions de francs, soit environ 4 millions de moins que celles de 2007 (232 millions).
Le RI compte pour quelque 19% dans la facture sociale du canton, qui a été estimée à 1,2 milliards de francs dans le budget 2008.
Il y a dix ans, cette facture sociale se montait à environ 600 millions de francs.
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