«C’est la mission de l’Appel de Genève de dialoguer avec les talibans»
L’ONG Appel de Genève continue de dialoguer avec les talibans en Afghanistan, malgré toutes les difficultés et les critiques. Son directeur général Alain Délétroz défend la nécessité de poursuivre ce travail tant qu’il est possible d’obtenir des ouvertures pour la protection des populations civiles.
La rentrée universitaire, lundi en Afghanistan, était réservée aux hommes. Les étudiantes sont désormais bannies des auditoires, malgré ce qu’avaient assuré les autorités de Kaboul. C’est une promesse de plus que les talibans, au pouvoir depuis 2021, n’ont pas tenue.
L’ONG Appel de Genève, qui se bat pour la protection des civils dans les conflits armés, continue pourtant à dialoguer avec eux contre vents et marées. «C’est d’abord parce que c’est l’ADN, la mission de l’Appel de Genève», explique son directeur général Alain Délétroz.
«Nous ne sommes pas dans les zones faciles, la vaste majorité de nos interlocuteurs sont des interlocuteurs difficiles, poursuit-il. Et tant que nous avons l’espoir d’avoir un changement, nous continuons à maintenir le dialogue.»
Alain Délétroz s’est lui-même rendu à Kaboul en fin d’année dernière. À l’époque, les talibans avaient déjà interdit aux filles d’étudier dans les deux derniers niveaux de l’école secondaire. «Je me suis retrouvé face à un groupe de jeunes extrêmement apeurées pour leur avenir, ça vous fend le cœur de voir ça», raconte-t-il.
Rencontre discrète dans un pays musulman
Après la décision, en fin d’année passée, des autorités afghanes d’interdire aux femmes de travailler dans les organisations internationales, l’Appel de Genève a organisé une rencontre discrète à très haut niveau «dans un pays musulman de la région» avec des représentants des talibans.
«Nous avions convoqué des cheikhs spécialistes du droit islamique hautement respectés dans la région, pour deux jours de discussions discrètes sur ce sujet-là, explique Alain Délétroz. Les deux cheikhs en question ont terminé en disant très clairement aux talibans qu’interdire l’éducation des filles, interdire le travail des femmes était anti-islamique.»
«Nous sommes là parce que c’est ce que nous faisons dans tous les conflits»
Alain Délétroz, directeur de l’Appel de Genève
Le directeur général de l’ONG reconnaît que le travail sur la question des femmes est extrêmement difficile. «Nous avons heureusement un certain nombre de succès sur d’autres comportements des talibans, mais nous sommes là parce que c’est ce que nous faisons dans tous les conflits.»
Deux engagements obtenus à Genève
Et l’un des succès de l’organisation a été obtenu avec une délégation des talibans venue l’an dernier à Genève. «Ils se sont engagés à laisser les femmes travailler librement dans le système de la santé, souligne Alain Délétroz. Un autre engagement qu’ils ont pris est de ne pas déranger les organisations humanitaires, de les laisser travailler librement sur l’ensemble du territoire de l’Afghanistan, ce qu’ils continuent à faire.»
Reste que la position de l’Appel de Genève n’est pas toujours comprise et suscite certaines critiques. «Ce qui est à la base de la mission de l’Appel de Genève, c’est de dialoguer avec des interlocuteurs difficiles», répète Alain Délétroz. «Mais quand vous regardez comment les armées nationales se comportent dans les conflits d’aujourd’hui, qui va dire qu’il ne faut plus dialoguer avec les États?», questionne-t-il.
«Nous continuons, mais j’entends ces critiques, je les accepte.»
Alain Délétroz, directeur de l’Appel de Genève
Il n’est pas impossible que l’ONG doive renoncer un jour au dialogue dans certains contextes, mais elle va le poursuivre en l’état en Afghanistan. «Tant que nous arrivons à obtenir un certain nombre d’ouvertures pour la protection des populations civiles, nous continuons, poursuit le directeur général. Mais j’entends ces critiques, je les accepte.»
Et ce travail est aussi critiqué par le monde politique, avec un sentiment d’abandon de la part des humanitaires. «Le travail que fait l’Appel de Genève est souvent considéré dans certains pays occidentaux comme une aide possible à des groupes qui sont considérés par certains États occidentaux comme terroristes », rappelle Alain Délétroz.
Lettre de remerciement de l’ONU
Les talibans ne sont pas reconnus par la communauté internationale, «on a affaire à des autorités de facto», souligne-t-il. Il ajoute que les Nations unies ont remercié l’ONG d’avoir réussi à obtenir un certain nombre de choses sur le terrain de la part de gouverneurs locaux des talibans. «Vous avez aussi une différence en Afghanistan sur les annonces qui peuvent être faites à Kaboul et la direction concrète par les gouverneurs dans les provinces, dit-il. Et nous travaillons beaucoup dans les provinces sur des sujets extrêmement concrets.»
>>> Voir l’interview complète (RTS):
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