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Le combat d’Antoinette Quinche pour le suffrage féminin

Photo en noir et blanc d un bureau de vote avec des femmes qui votent
Le 19 avril 1959, la commune vaudoise de Commugny fut la première de Suisse à permettre le vote des femmes. Keystone

Sa plus grande victoire fut l’instauration du suffrage féminin dans le canton de Vaud en 1959, une première en Suisse. Inspirée dans sa jeunesse par les suffragettes anglaises et grande amie de l’Espagnole Clara Campoamor, Antoinette Quinche fut l’une des militantes majeures des mouvements féministes de son époque. Ce 13 mai marque les 40 ans de sa mort.

Antoinette QuincheLien externe était une pionnière. Elle fut l’une des premières femmes à obtenir une licence en droit à l’Université de Lausanne et la première avocate à ouvrir un cabinet dans le canton de Vaud. Ses convictions féministes se développèrent dans sa jeunesse, lorsqu’elle assista à Londres à une manifestation de suffragettes à la cathédrale de Westminster en 1912.

Portait en noir et blanc d une femme dans les années 30
Antoinette Quinche (1896-1979), photo publiée dans la ‘Schweizer Illustrierte’ le 7 octobre 1936. Gosteli-Stiftung

Les Anglaises étaient très audacieuses. En Suisse, le mouvement pour le droit de vote des femmes ne connut jamais une telle virulence, rapporte Elisabeth JorisLien externe, historienne spécialisée dans l’évolution du statut des femmes en Suisse. Antoinette Quinche faisait figure d’exception: «Elle avait un esprit combattif et était prête à mener des actions qui pouvaient déplaire aux autorités», explique Elisabeth Joris.

La militante vaudoise défendait la voie judiciaire pour obtenir le suffrage féminin, estimant que la Constitution, en stipulant que tous les Suisses étaient égaux devant la loi, impliquait également l’égalité entre hommes et femmes. Une vision déjà défendue en 1890 par la première juriste suisse, Emilie Kempin-SpiryLien externe. «Elle était clairement d’avis qu’une votation populaire n’était pas nécessaire pour introduire le suffrage féminin», précise Elisabeth Joris.

«Droits égaux, responsabilités égales»

Dans les années cinquante, le conseiller fédéral Markus FeldmannLien externe élabora un projet visant à étendre le service civil obligatoire aux femmes. Cette démarche provoqua de vives protestations et remit au goût du jour le slogan de la Genevoise Emilie GourdLien externe: «Droits égaux, responsabilités égales». En collaboration avec le politicien conservateur Peter von RotenLien externe, mari de la célèbre féministe Iris von RotenLien externe, les suffragettes demandèrent une expertise au juge du Tribunal fédéral Werner StockerLien externe, qui se positionna en faveur de l’introduction du droit de vote des femmes. Il proposa aux suffragettes de demander leur inscription sur les listes des votants, afin de faire valoir leur droit. Le gouvernement fédéral et les autorités cantonales exclurent immédiatement cette interprétation, invoquant la tradition suisse.

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Les pionnières d’Unterbäch

Ce contenu a été publié sur «Il y avait des journalistes et des caméras partout, se souvient une femme aujourd’hui âgée. J’étais enceinte: pour moi, c’était trop, toute cette agitation, et je ne suis pas allée voter.» Les sœurs de cette habitante d’Unterbäch n’ont en revanche pas manqué le premier suffrage accessible aux femmes dans l’histoire suisse. Le local de vote…

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«Après ce revers, beaucoup se découragèrent. Mais pas Antoinette Quinche», raconte Elisabeth Joris. Avec ses camarades francophones, elle participa à la démarche initiée par Peter von Roten pour introduire le suffrage féminin dans la commune valaisanne d’Unterbäch. Contre l’avis de la Confédération et du canton, les autorités municipales décidèrent d’autoriser les femmes à voter sur le projet d’extension du service civil obligatoire. Sur 86 citoyennes, 33 osèrent se rendre aux urnes pour donner leur avis le 3 mars 1957. Un premier pas qui marqua les esprits, même si les votes de ces Suissesses ne furent pas comptabilisés. «L’urne d’Unterbäch n’aurait jamais existé sans Antoinette Quinche», souligne Elisabeth Joris. La commune se baptisa plus tard «Le Grütli de la femme suisse» en souvenir de ce premier suffrage historique, qui fut à l’époque mentionné dans des médias internationaux comme le Spiegel ou le New York Times.

Première brèche au Tribunal fédéral

En 1956, Antoinette Quinche décida d’appliquer les conseils du juge Stocker. Elle encouragea les membres francophones de l’Association suisse pour le suffrage féminin à réclamer leur carte de vote. Face au refus des autorités, elle fit recours devant les tribunaux, afin d’exiger une nouvelle interprétation de l’article 4 de la Constitution qui prévoyait l’égalité pour «tous les Suisses».

Après être passée devant différentes instances judiciaires, la «cause Quinche» arriva devant le Tribunal fédéral qui la rejeta en 1957, arguant que «pour des raisons historiques» le terme «Suisses» ne pouvait s’appliquer qu’aux hommes. Toutefois, deux des neuf juges contestèrent ce verdict, ouvrant ainsi une brèche dans la stricte doctrine helvétique. Pour la féministe Simone Chapuis-BischofLien externe, cette réaction fut «un premier pas extraordinaire».

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Les Suisses dirent non, les Vaudois dirent oui

Le 1er février 1959 eut lieu la première votation fédérale sur le droit de vote des femmes. Seuls les hommes purent se rendre aux urnes et une majorité des cantons refusa d’introduire le suffrage féminin, sauf Vaud, Genève et Neuchâtel. Les citoyens vaudois se prononcèrent en même temps sur l’instauration du droit de vote des femmes au niveau cantonal, c’est ainsi que Vaud devint le premier canton suisse à accorder le suffrage féminin. 

Antoinette Quinche fut l’une des personnalités qui permit cette double votation à la même date. «Aujourd’hui, nous ne pouvons que nous incliner devant ces femmes qui réussirent à rompre la tradition pour plus d’égalité», relève Bettina VincenzLien externe, auteure de deux biographies sur Antoinette Quinche et d’un ouvrage sur les femmes diplômées durant l’entre-deux-guerres. Antoinette Quinche fut «l’une des protagonistes incontestables du mouvement des suffragettes en Suisse, militante infatigable qui ne cessa jamais de ruer dans les brancards pour obtenir l’égalité», déclare Bettina Vincenz.

Antoinette Quinche 

Elle naît le 25 février 1896 à Diesse (Jura bernois). En 1911, elle déménage à Lausanne où son père dirige un établissement pour enfants. Elle étudie le droit à l’Université de Lausanne, puis passe son examen du barreau et devient la première avocate à ouvrir une étude dans le canton de Vaud. Elle rejoint le Parti radical et crée une section féminine locale.

En tant qu’avocate, elle s’occupe avant tout de la défense du droit des femmes et elle s’implique durant des années dans la permanence juridique gratuite de l’Union des femmes.

Féministe depuis son adolescence, elle adhère en 1927 à l’Association vaudoise pour le suffrage féminin et commence à collaborer avec la revue «Le Mouvement féministe», fondée en 1912 par Emilie Gourd.

En 1953, elle est membre d’une commission fédérale d’experts chargés de préparer une nouvelle loi pour réglementer la nationalité des femmes mariées à des étrangers.

Elle meurt le 13 mai 1979 à Lausanne, à l’âge de 83 ans.

L’avocate vaudoise se joignit aux mouvements féministes durant sa jeunesse. En août 1929, elle rencontra à Genève Clara CampoamorLien externe, l’une des initiatrices principales du suffrage féminin en Espagne (1931). Les deux femmes avaient beaucoup en commun: elles étaient avocates, politiciennes et partageaient les mêmes valeurs libérales. Toutes deux furent des figures marquantes des suffragettes dans leur pays et dédièrent leur vie à la défense de leurs causes, renonçant au mariage et à une famille afin de conserver leur indépendance.

Une amitié suisso-espagnole

Antoinette Quinche se rendit au moins deux fois en Espagne. En avril 1931, elle fut témoin aux côtés de Clara Campoamor de la chute de la monarchie et de la proclamation de la République. Deux ans plus tard, elle était de retour sur territoire espagnol pour soutenir son amie dans sa campagne en vue des élections municipales. Il s’agissait de la première fois que les femmes espagnoles pouvaient voter dans les mêmes conditions que les hommes. 

L’amitié entre les deux femmes se poursuivit après la Guerre d’Espagne (1936-1939), lorsque Clara Campoamor décida de s’exiler en Suisse et séjourna dans la maison d’Antoinette Quinche, à Lausanne. C’est là qu’elle écrivit son livre «La révolution espagnole vue par une républicaine» (Paris, 1937). Un ouvrage qui fut traduit en français par Antoinette Quinche. Après son retour d’Argentine en 1955, la féministe espagnole s’installa définitivement à Lausanne.

Simone Chapuis-Bischof n’a pas connu Clara Campoamor, elle a appris son existence beaucoup plus tard. À 88 ans et après presque 70 ans de lutte, elle milite toujours au sein de l’Association suisse pour les droits de la femme, dont elle a été présidente de 1988 à 1995. Aujourd’hui, Simone Chapuis-Bischof se consacre à la gestion de la Maison de la femmeLien externe à Lausanne. «Si j’ai décidé de rester dans cette association, c’est à cause de son histoire passionnante», explique-t-elle. En 1997, elle a participé à un hommage à Antoinette Quinche à Lausanne, avec la pose d’une plaque commémorativeLien externe sur le bâtiment qui abritait son étude d’avocat. «Ce n’était pas une tâche facile, rappelle Simone Chapuis-Bischof, car nous avons dû convaincre le propriétaire qui craignait une dévalorisation de son immeuble!»

Du chemin reste à parcourir

Bettina Vincenz constate que la reconnaissance de ces pionnières du suffrage féminin laisse beaucoup à désirer. «Il n’existe quasiment aucun ouvrage sur Antoinette Quinche, ce qui est inadmissible quand on considère tout ce qu’elle a accompli».

Aujourd’hui, après plus d’un siècle de combat, certaines revendications féministes ne sont toujours pas atteintes. C’est notamment le cas de l’égalité salariale, qui a poussé Simone Chapuis-Bischof à rejoindre les mouvements féministes dans les années 70: elle gagnait alors 30% de moins que ses collègues masculins. Bien que l’écart ne soit de loin pas comblé, la situation s’améliore, estime la féministe vaudoise. De son côté, Bettina Vincenz n’est pas aussi optimiste. C’est pourquoi elle espère que la grève des femmes du 14 juin sera massive et permettra de sensibiliser l’opinion publique.

Traduction de l’espagnol: Marie Vuilleumier

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