Une campagne agressive choque le monde politique suisse
Le Parti démocrate-chrétien (PDC) a lancé une campagne sur internet en vue des élections fédérales. Mais la méthode est vivement critiquée jusque dans les rangs-mêmes du parti, car elle vise nommément des centaines de candidats et tente de décrédibiliser leurs arguments politiques.
Une vague de choc dans la paisible sphère politique suisse: le Parti démocrate-chrétien (PDC, centre), pourtant davantage connu comme un artisan du consensus, mène sur internet une campagne particulièrement agressive en vue des élections fédérales du 20 octobre. La méthode scandalise de nombreux politiciens, car elle vise nommément des centaines de candidats pour les décrédibiliser, ce qui est très rare en Suisse. Les partis politiques ne s’attaquent traditionnellement pas à des individus, mais davantage à des décisions ou à des idées.
Le principe? En tapant le nom d’un politicien dans le moteur de recherche de Google, l’internaute se voit parfois proposer une annonce. En cliquant dessus, il tombe sur une page aux couleurs du parti de la personne, présentant plusieurs arguments la décrédibilisant.
On peut par exemple lire: «Notre système de santé menace de s’effondrer financièrement: X représente le parti Y qui veut: faire payer encore plus les malades, réduire les prestations couvertes, laisser les familles se débrouiller en cas de problèmes.» Sous le texte, on trouve un onglet «Je veux voir de vraies solutions», qui renvoie au programme du PDC.
Au total, plus de 540 candidats francophones et près de 2000 alémaniques sont visés, de tous les principaux partis: l’Union démocratique du centre (UDC, droite conservatrice), le Parti socialiste (PS, gauche), les Verts (Parti écologiste), mais aussi le Parti libéral-radical (PLR, droite libérale), le Parti bourgeois démocratique (PBD, centre) et les Vert’libéraux avec lesquels le PDC fait pourtant alliance dans certains cantons.
Réactions virulentes
«La campagne du PDC n’est pas une campagne négative classique, c’est une tromperie délibérée parce qu’on ne cherche pas sur Google le nom d’un candidat PDC, mais d’un autre parti. C’est ça qui est nouveau», analyse le spécialiste en communication Mark Balsiger. Au sein des partis, les réactions n’ont d’ailleurs pas tardé.
«Le PDC se présente lui-même comme le parti bâtisseur de ponts et la première fois qu’on l’entend dans cette campagne, c’est pour tirer sur tout le monde, en attaquant des personnes, en faisant complètement l’inverse de ce qu’il prétend faire», affirme le Valaisan Philippe Nantermod. «Cela montre une certaine fébrilité au PDC», note le vice-président du PLR.
Le socialiste Mathias Reynard abonde dans son sens: «Il faut prendre ça avec légèreté et se dire que c’est visiblement la panique chez eux.» Pour le conseiller national PS, la principale victime, c’est le PDC lui-même. «On ne peut pas faire pire. Ça ne propose rien de concret, c’est complètement incohérent avec l’image que veut se donner le PDC. C’est l’autogoal le plus complet.»
«Je suis vraiment amusée: un parti qui se met à critiquer et à parler des autres, c’est que lui-même n’a pas beaucoup d’idées», note pour sa part Isabelle Chevalley. «Je pense qu’aujourd’hui le PDC est acculé et qu’il en arrive à faire des choses assez absurdes», ajoute la conseillère nationale vert’libérale.
Selon le dernier baromètre électoral de la SSR, les démocrates-chrétiens sont crédités d’à peine plus de 10% d’intentions de vote pour les élections du 20 octobre. Pour la première, fois, le PDC, qui ne parvient pas à enrayer son lent déclin depuis le début des années 1980, se place en cinquième position des partis suisses et se voit même dépassé par le Parti écologiste suisse.
Des remous au sein du PDC
Malgré les critiques, le président du PDC défend la stratégie du parti. «Nous n’attaquons personne. (…) C’est une campagne comparative qui confronte les positions des autres partis à celles du PDC, de façon à permettre aux électeurs de faire leur choix», explique Gerhard Pfister. Pour le député zougois, les électeurs sont assez matures pour comprendre cette campagne.
Le @JuraPdcLien externe est autant surpris que vous, et n'y est absolument pour rien, ET, ne soutient en rien cette "campagne" qui n'est et ne sera jamais la sienne. #CVPfailLien externe = totalement d'accord.
— PDC Jura (@JuraPdc) September 18, 2019Lien externe
Cette dernière ne fait toutefois pas l’unanimité au sein de parti. Dans un message posté sur Facebook, Axel Marion, candidat du PDC Vaud au Conseil national, affirme «se désolidariser de la campagne du PDC Suisse» et va même jusqu’à présenter ses «excuses» aux personnes visées. «Cette manière de faire ne correspond ni à mon éthique ni à ma vision de la politique. Le débat d’idées entre partis est utile et important, les attaques personnelles sont au contraire à l’opposé de nos mœurs politiques», explique-t-il.
Je trouve lamentable la campagne du PDC suisse qui vise nommément des candidats d'autres partis et m’en désolidarise complètement. Ma vision de la politique est tout autre. Je présente mes excuses aux personnes visées. #EF2019Lien externe
— Carole Furrer, candidate Conseil National (VS) (@carolefurrer) September 17, 2019Lien externe
Critiques acerbes dans les médias
Cette action de choc du PDC n’a pas laissé les médias suisses de marbre. Ces derniers se montrent très critiques envers la méthode et ses effets. «Un raté politique d’envergure» titre le quotidien Le Temps. «Le PDC, un ‘bâtisseur de ponts’ en train de se mettre tout le monde à dos. (…) En perte de vitesse dans les sondages et talonné par les Verts, le paisible parti a tenté l’attaque. Sans succès.»
«Qui aurait cru que le PDC pouvait être si méchant?», commente le Tages-Anzeiger. Le journal considère la campagne négative du PDC comme un signe d’impuissance. Dénigrer son adversaire est courant aux Etats-Unis, mais la recette ne fonctionne pas en Suisse, conclut le Tages-Anzeiger: «Ici, nous ne sommes pas dans un système à deux partis et personne ne se bat en duel».
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