Avant même l’échange automatique, Paris loue le bon élève suisse
Moins restrictive, la nouvelle convention franco-suisse donne plus de liberté au fisc français pour traquer les fraudeurs. Une étape transitoire avant l’échange automatique d’informations.
Paris peut désormais adresser à Berne des demandes groupées concernant un nombre indéfini de contribuables français soupçonnés de détenir des comptes cachés en Suisse. C’est ce que prévoit la nouvelle version de la convention contre les doubles impositions (CDI), signée par les deux Etats et entrée en vigueur le 30 mars dernier.
Ces demandes groupées devront porter sur des faits postérieurs au 1er janvier 2013, date de l’entrée en vigueur de la Loi fédérale sur l’assistance administrative en matière fiscale. En outre, selon la CDI, les requêtes individuelles n’auront plus l’obligation de préciser le nom ou l’adresse du contribuable visé, cela à partir du 1er janvier 2010.
Une révolution? Une étape importante, en tout cas, dans l’entraide fiscale franco-suisse, si l’on en juge par la réaction du ministre français du Budget, Christian Eckert, en février dernier. «Nous pouvons saluer les efforts réalisés par la Suisse. En matière d’échange de renseignements sur demande, des progrès substantiels ont été relevés.»
Climat plus coopératif
Le nouvel accord s’inscrit dans un climat fiscal plus coopératif entre Berne et Paris. L’échange d’informations sur demande, le standard actuel et provisoire de l’OCDE – en attendant l’échange automatique à partir de 2017-18 – fonctionne bien depuis deux ans. «En 2014 et en 2015, le stock de demandes en attente a largement diminué, indique M. Eckert. Ainsi, sur ces deux années, pour 642 nouvelles demandes adressées à la Suisse, nous avons reçu 942 réponses, ce qui signifie que les demandes en attente ont diminué. De même, les délais de traitement se réduisent. Ils étaient de 360 jours, autant dire une année, en 2014; ils sont passés à 185 jours, autant dire six mois, en 2015.»
Paris compte sur la nouvelle convention pour «accroître la bonne qualité de ces échanges». «Dans leurs demandes, les autorités fiscales françaises vont pouvoir utiliser d’autres données que le nom des contribuables, par exemple le numéro de la carte bancaire, note l’avocat fiscaliste français Patrick Michaud. Et pour les demandes groupées, Paris pourra viser les contribuables qui ont le même comportement fiscal.»
«Il suffira désormais pour la France de se servir d’un document bancaire quelconque entre 2010 et aujourd’hui pour adresser une requête individuelle à la Suisse, cela facilitera beaucoup les choses», estime le fiscaliste genevois Nicolas Zambelli.
La fin d’une longue brouille?
Avril 2009: Pour faire face à la crise, les Etats du G20 réunis à Londres s’attaquent aux paradis fiscaux. La Suisse est placée sur une «liste grise» de l’OCDE. Elle passera en liste blanche après avoir signé 12 accords de coopération fiscale prévoyant l’échange d’informations à la demande.
Août 2009: La ministre française des Finances Christine Lagarde et son homologue suisse Hans-Rudolf Merz signent une nouvelle convention de double imposition. Elle permet les échanges d’informations en matière fiscale.
Août 2012: La nouvelle convention sur les successions est paraphée par les deux Etats. Les héritiers résidant en France de personnes domiciliées en Suisse seront taxés par le fisc français. Le texte suscite de fortes oppositions en Suisse, notamment à droite.
Juin 2014: Le Conseil National rejette la nouvelle Convention franco-suisse sur les successions, qui devait succéder à celle en vigueur depuis 1953. En conséquence, la France dénonce l’ancienne convention. La résiliation entre en vigueur le 1er janvier 2015. Le Conseil fédéral «prend acte avec regret» de cette décision attendue.
Avril 2015: Lors d’une visite d’Etat en Suisse, le président français François Hollande confirme le réchauffement des relations entre les deux pays.
Mars 2016: L’accord modifiant la convention de double imposition entre en vigueur.
L’exemple néerlandais
La France va-t-elle se lancer dans des démarches groupées? Pas de réponse, pour l’heure, de Bercy, siège du ministère de l’Economie et des Finances. «Paris n’a pas forcément intérêt à transmettre des demandes groupées, estime l’avocat fiscaliste Philippe Kenel. D’abord pour des raisons politiques: qui sait ce qu’il en ramènera? Des contribuables lambda certes, mais peut-être aussi des responsables politiques…»
«Ensuite, ajoute Me Kenel, juridiquement, Paris n’est pas sûr d’arriver à ses fins. La frontière entre demandes groupées et ‘Fishing Expedition’, soit la pêche aux renseignements sans aucune information préalable, proscrite par l’OCDE, n’est pas clairement établie.»
Les Pays-Bas en font l’expérience. Le fisc néerlandais a transmis l’an dernier à Berne une demande groupée – la première venant d’un Etat européen – portant sur tous les citoyens domiciliés aux Pays-Bas disposant d’un compte à UBS entre le 1er février 2013 et le 31 décembre 2014. L’Administration fiscale des contributions a accepté d’entrer en matière, alors même que la requête ne précisait pas le nom des personnes visées.
Saisi par un client néerlandais d’UBS, le Tribunal administratif fédéral a rejeté l’entraide helvétique dans un arrêt rendu le 21 mars dernier. Les juges estiment que la convention entre les deux pays n’admet pas les demandes groupées sans précision du nom des personnes. Le Tribunal fédéral devra trancher. Une seconde requête envoyée par les Pays-Bas concerne cette fois les clients de Crédit Suisse.
Impact indirect sur les régularisations
La France risque-t-elle pareilles déconvenues? «L’accord avec les Pays-Bas ne mentionne pas les demandes groupées, alors que l’accord franco-suisse indique expressément que des demandes groupées sont possibles pour des faits survenus à compter du 1er février 2013», rappelle Beat Werder, porte-parole du Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales.
«Cette convention marque une sorte d’étape transitoire vers l’échange automatique d’informations fiscales», estime Me Zambelli.
Seule certitude, la nouvelle convention va inciter de nombreux Français à déclarer leurs comptes en Suisse cachés au fisc français. Le rythme de régularisations fiscales reste important. Il a engendré, en 2015, 2,65 milliards d’euros de recettes pour le Trésor public. 8800 nouveaux dossiers sont arrivés en 2015, ce qui porte à 45’000 le nombre de cas traités par la Cellule de régularisation fiscale de Bercy.
91% des dossiers proviennent de la Suisse, précise le ministère. «Le flux reste soutenu, même s’il n’est pas complètement équivalent à ce qu’il était lors de la mise en place du service», indique Christian Eckert.
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