Franz Weber, écologiste romantique et solitaire
Seul contre tous, l'écologiste vaudois a réussi à faire approuver par le peuple suisse son initiative stoppant la prolifération de résidences secondaires. Animé par un esprit extraordinairement jeune et visionnaire, Franz Weber a réussi un nouveau coup époustouflant.
À 84 ans bien sonnés, Franz Weber continue à surprendre son monde. Y compris ses alliés naturels, les associations de défense de l’environnement, qui jugeaient l’aspect juridique de l’initiative trop radical et trop complexe. Si le texte avait été rejeté, la proposition de Weber se serait transformée en auto-goal et n’aurait fait qu’alimenter l’aversion provoquée par les projets de sauvegarde de la nature.
«C’était tout simplement incroyable. Dimanche, en regardant les résultats, je n’arrivais pas à le croire. D’autant que les initiatives populaires ont toujours beaucoup de difficultés à obtenir la majorité à la fois du peuple et des cantons», reconnaît la députée Silva Semadeni, présidente de Pro Natura.
Ce n’est pas la première fois que les mêmes associations de défense de l’environnement sont prises à contrepied par Franz Weber, dont certaines initiatives ont été menées en parallèle aux leurs. Cavalier solitaire – souvent insulté, attaqué et même emprisonné – l’écologiste suit son propre chemin depuis un demi-siècle, sans rien demander à personne, mû non par le calcul mais par la passion.
Précurseur de l’écologie
Une passion qui remonte à l’enfance. «J’ai grandi en lisière de la ville de Bâle. J’étais toujours dans les prés et la forêt. J’allais souvent à la gare demander aux cheminots de me raconter les paysages qu’ils traversaient. Ça les amusait d’être interviewés par un enfant», confie-t-il.
Un souvenir qui fait déjà entrevoir l’avenir de Franz Weber, écologiste et journaliste. Troisième d’une famille de sept enfants, l’entreprenant Bâlois commence par le journalisme. En 1949, après une formation commerciale, il monte à Paris où il s’essaie à la poésie et à l’écriture, mais sans succès. Par contre, il réussit en tant que reporteur et intervieweur de personnalités du monde de l’art et du spectacle.
Sa vocation d’écologiste est née très exactement 47 ans avant la votation de dimanche sur la sauvegarde du paysage alpin contre la prolifération des résidences secondaires. En 1965, de passage en Engadine, il est choqué par un projet de spéculation immobilière à Surlej, au bord du lac de Silvaplana.
Il lance alors sa première croisade et réussit même à alerter l’opinion au-delà des frontières: à cette époque de boom démographique et d’urbanisation en Europe, c’est une des premières batailles menées pour sauver le paysage naturel. «Même les télévisions française et allemande étaient venues sur place», rappelle Franz Weber, qui sortira gagnant de cette première lutte.
Bardot et les phoques
En 1974, il s’établit à Montreux, où il installe son quartier général et ses fondations. À quelques kilomètres de là, les splendides vignobles en terrasses du Lavaux, sur les bords du Léman, sont menacés par l’urbanisation. Franz Weber part en guerre contre la volonté de la majorité de la population du district. La première initiative Sauver Lavaux sera approuvée en 1977 par les citoyens du canton de Vaud.
La même année, l’écologiste se fait connaître au niveau international avec sa campagne spectaculaire contre le massacre des phoques. En tant que journaliste, Franz Weber a appris à utiliser les médias: outre Brigitte Bardot, il attire avec lui quelque 70 journalistes dans le nord du Canada.
Depuis lors, l’écologiste est appelé à la rescousse dans le monde entier. En 1978, le Conseil de l’Europe fait appel à lui pour sauver Delphes, en Grèce. Ensuite, on le voit protéger une réserve naturelle du Danube en Autriche, secourir les hippopotames en Afrique ou défendre les chevaux sauvages en Australie.
Détesté et apprécié
Pendant qu’il accumule prix et reconnaissances à l’étranger (entre autre la citoyenneté d’honneur de Delphes), en Suisse, ses campagnes contre la construction d’aéroports et d’autoroutes, l’amarrage d’hydravions sur les lacs ou le bruit des avions militaires suscitent surtout de l’irritation. Avec le sociologue Jean Ziegler, avec lequel il partage une certaine coquetterie médiatique, il devient un des personnages les plus détestés des Suisses.
Mais il est aussi apprécié pour son engagement. Ses fondations attirent des dons de partout, qui lui permettent d’alimenter 150 campagnes nationales et internationales. Et une trentaine d’initiatives populaires: un record absolu. Il n’enregistre ses rares succès qu’au niveau cantonal, en tout cas jusqu’à dimanche, mais il réussit souvent à contraindre les autorités à agir pour contrecarrer ses initiatives. Avec sa femme, sa fille et une poignée de collaborateurs, Franz Weber est un lobby impressionnant.
Quand, dans les années 80, il se lance au secours du Grandhôtel de Giessbach (Berne), certains ont pensé qu’il était en train de perdre toute mesure. Mais l’hôtel et le lieu dégagent un romantisme incomparable, qui fascinait artistes et philosophes il y a déjà un siècle.
Ecologiste romantique avant tout, Franz Weber continue à se battre pour la beauté du paysage et la poésie de la nature, pendant que, depuis quelques temps, les autres environnementalistes pensent plutôt centrales nucléaires et changement climatique.
Trop jeune pour se retirer
Romantique, mais aussi visionnaire: ses campagnes ont régulièrement contribué à ouvrir les yeux de la population, souvent même des décennies plus tard. Comme dans le cas du Lavaux, dont les vignobles en terrasses ont été inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco en… 2007.
Non content de son premier succès en votation fédérale, Franz Weber promet une rafale d’autres initiatives populaires. Et il veut aller se battre en Argentine pour défendre les chevaux de trait.
Il passera quelque peu les rênes à sa fille Véra, qui s’est déjà profilée dans différentes campagnes, en particulier dans la dernière sur les résidences secondaires. Mais Franz Weber n’entend pas se retirer. «Tant qu’on aura besoin de moi, je serai prêt à faire campagne. Finalement, je suis encore jeune et je peux travailler encore au moins pendant dix ans.» Perspective qui ne fera pas plaisir à tout le monde, surtout en Valais, où l’écologiste ne s’est pas fait beaucoup d’amis depuis dimanche.
1927: naît à Bâle, où il obtient un diplôme de commerce.
1949: s’établit à Paris. Après des études de Lettres à la Sorbonne, il commence une carrière de journaliste.
1965: première campagne pour sauver le paysage de Surlej, en Engadine, de la spéculation immobilière.
1972: campagne contre la construction de l’autoroute sur les bords du lac de Sempach.
1974: s’établit à Montreux (Vaud), où il vit et travaille encore.
1977: l’initiative «Sauver Lavaux» est approuvée par le peuple vaudois. Avec Brigitte Bardot, il lutte contre le massacre des phoques au Canada.
1983: campagne contre une gigantesque centrale électrique sur le Danube, en Autriche.
1987: sauvetage du site antique de Delphes menacé par la construction d’une usine d’aluminium.
1989: création d’une réserve pour les chevaux sauvages d’Australie.
1990: la fondation Franz Weber reprend la gestion d’un parc national au Togo.
2008: rejet de l’initiative «Contre le bruit des avions militaires» par 68,1% des électeurs.
2012: après le rejet ou le retrait de 12 initiatives fédérales de Weber, celle sur les résidences secondaires est approuvée. La même année, le peuple vaudois sera appelé à voter sur sa 3ème initiative «Sauver Lavaux».
Le 11 mars 2012, 50,6% des citoyens suisses et une courte majorité des cantons ont approuvé l’initiative «Pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires», lancée par Franz Weber.
Chaque commune devra introduire un maximum de 20% de résidences secondaires par rapport au total du parc immobilier existant.
De nouveaux projets de construction ne pourront plus être acceptés dans un cinquième des communes suisses. La mise en œuvre de l’initiative soulève toutefois encore beaucoup de questions.
Dans certaines stations, les résidences secondaires dépassent 80% des habitations existantes.
Traduction de l’italien: Isabelle Eichenberger
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