«Il faut une amnistie fiscale générale en Suisse!»
Alors qu'une amnistie fiscale européenne est envisagée, des voix s'élèvent pour plaider en faveur d'une amnistie fiscale générale en Suisse. Cette mesure exceptionnelle permettrait notamment d'offrir un plan de relance sans précédent à l'économie helvétique. Enquête.
La France, l’Italie et l’Allemagne veulent inciter leurs contribuables à rapatrier leurs capitaux à des conditions attrayantes. Le cas échéant, au moins 300 milliards de francs pourraient quitter les banques helvétiques.
Le temps est venu pour la Suisse de décréter à son tour une amnistie fiscale générale, prônent un nombre grandissant d’économistes, de juristes et même de politiciens.
Pour d’aucuns, comme le sénateur tessinois, Filippo Lombardi, c’est une question de justice. «Pourquoi ne pas offrir aux Suisses et aux personnes qui résident dans notre pays, la possibilité de déclarer leur bas de laine secret à des conditions intéressantes?», demande le démocrate-chrétien (PDC, centre).
Trois fois déjà
Trois amnisties fiscales générales ont déjà été décrétées en Suisse. Leur effet portait à tous les niveaux de l’Etat, de la Confédération, des cantons et des communes. Elles supprimaient ainsi l’ensemble des conséquences juridiques de la soustraction d’impôt.
Première du genre, l’amnistie de 1940 concernant le sacrifice pour la défense nationale, fut déjà suivie cinq ans plus tard de la deuxième amnistie générale, appelée aussi amnistie de l’impôt anticipé.
L’amnistie fiscale de 1969 devait, pour la première fois, améliorer la moralité fiscale. Elle visait aussi à favoriser une augmentation des recettes pour les cantons et les communes. L’opération avait rapporté 11,5 milliards de francs.
Un contexte nouveau
Mais quarante ans plus tard, et forts des remous économiques et financiers de ces derniers mois, les défenseurs d’une telle mesure ne manquent pas d’arguments.
Le professeur de droit fiscal de l’Université de la Suisse italienne, Marco Bernasconi, estime que le moment est venu: «Il est souhaitable que le monde politique fédéral s’adapte à ces mutations sans attendre».
«Une amnistie fiscale se justifie non seulement à l’aune de la crise et face aux nouvelles limitations qui brident le secret bancaire dans les rapports internationaux, mais aussi parce qu’il s’agirait d’une mesure exceptionnelle», insiste Marco Bernasconi.
Morale à géométrie variable
Aux gardiens de la morale et de l’éthique, les partisans d’une amnistie fiscale générale rétorquent qu’«une telle mesure tous les quarante ans ne saurait stimuler les fraudeurs qui spéculeraient sur une telle opération».
«Cette dernière doit rester rare et exceptionnelle pour être efficace», souligne Henry Peter, professeur de droit et membre du comité du Centre de droit bancaire et financier à l’Université de Genève et avocat à Lugano.
«Dans le contexte actuel, la véritable question qu’il s’agit de se poser, est de savoir si le remord moral peut véritablement primer sur la réalité. Et même si le monde politique veut continuer de l’ignorer, il suffit de regarder de quel côté penche la balance», relève Henry Peter.
Coup double
Comme d’autres experts, le professeur estime que les capitaux appartenant à des citoyens résidant en Suisse (détenteurs ou non du passeport rouge à croix blanche) se monteraient globalement à quelque 2150 milliards de francs.
«En supposant que 10% de ces avoirs – soit une fourchette entre 7 et 12% – ont échappé au fisc, on parvient à une somme de 215 milliards de francs», explique-t-il.
Hormis la recette fiscale qui en découlerait (entre 5 et 12% selon les promoteurs d’une telle mesure), ce pactole assurerait de nouvelles rentrées pour les décennies à venir, notamment par le biais de l’impôt sur la fortune.
Dix fois le tunnel du Gothard
Dans l’immédiat, c’est surtout une manne colossale qui pourrait être réinjectée dans le tissu économique, plaident encore les convaincus, qui évoquent l’urgence de la situation, face à une industrie dont l’avenir ne cesse de s’assombrir.
«Soyons réalistes! Il y aurait, d’un seul coup, énormément d’argent disponible et gratuitement! Face à de tels chiffres, les plans de relance du Département fédéral de l’économie ont de quoi faire sourire», ironise l’expert, qui rappelle qu’à titre de comparaison, le plus grand ouvrage jamais réalisé en Suisse, soit le tunnel routier du Gothard, avait coûté près de 25 milliards de francs.
«Détenir des capitaux non déclarés c’est comme ne pas en avoir, me disait un ami», confie de son côté Marco Bernasconi, qui reste pourtant pessimiste quant aux chances de voir aboutir une nouvelle amnistie: «Cela fait des années que je prêche dans le désert et que je me heurte à un moralisme qui n’a plus lieu d’être».
swissinfo, Nicole della Pietra
Amnistie européenne. Une amnistie fiscale «européenne», déployée conjointement par l’Allemagne, la France et l’Italie, pourrait voir quelque 300 milliards de francs quitter la place financière helvétique.
Dernière amnistie fiscale en Suisse. La dernière amnistie fiscale décrétée par la Confédération remonte à 1969. Avant cela, deux mesures similaires avaient été prononcées en 1940 et en 1945.
2150 milliards. Des experts estiment que près de 2150 milliards de francs appartenant à des citoyens résidant en Suisse sont déposés sur des comptes en Suisse. Selon leurs calculs, entre 7 et 12% de ces fonds n’ont jamais été déclarés aux impôts.
200 milliards réinjectés. En cas d’amnistie fiscale générale, une somme d’au moins 200 milliards de francs pourrait être réinjectée dans l’économie nationale, estiment des spécialistes.
Globalité requise. Les défenseurs d’une amnistie fiscale générale estiment par ailleurs qu’une telle mesure à l’échelon cantonal uniquement serait «inutile et vouée à l’échec puisqu’il est impossible de déclarer des avoirs sur le plan cantonal uniquement».
Serpent de mer. Hormis deux postulats déposés dans les années 80, la question ne cesse de ressurgir dans les salles du Parlement depuis le début des années 90.
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