«L’esprit politique de la Suisse, c’est de trouver des solutions consensuelles»
Avec ses différents niveaux de compétences, ses droits populaires et sa perpétuelle recherche de consensus, le système politique suisse passe pour être compliqué. Pour mieux le comprendre, un nouveau livre en décortique tous les aspects. Rencontre avec son auteur, Christian Pauletto.
A la découverte des institutions politiques suisses vient d’être publiéLien externe aux Presses polytechniques et universitaires romandes. Disponible en version papier payante, mais aussi sous forme numérique gratuite, il s’agit du premier ouvrage d’une nouvelle collection qui a pour but de diffuser auprès d’un grand public les ouvrages issus du monde académique dans toutes les disciplines des sciences humaines et sociales.
Professeur associé à l’International Institute in Geneva, membre de la présidence du Centre du Canton de Genève et ancien chef négociateur suisse dans la cadre de traités économiques internationaux, Christian PaulettoLien externe connaît suffisamment les arcanes des institutions et du monde académique pour se lancer dans ce travail de vulgarisation. Entretien.
swissinfo.ch: Il existe déjà une abondante littérature sur les institutions politiques suisses. Pourquoi un nouveau livre?
Christian Pauletto: Pour combler une double lacune. D’une part, ce livre présente une vue d’ensemble pour tous les niveaux institutionnels – Confédération, cantons et communes – en même temps. D’autre part, il est vrai qu’il existe de nombreux livres sur le sujet, mais ce sont soit des publications scientifiques très pointues, soit des ouvrages vraiment de base. Ce livre a pour caractéristique d’avoir à la fois une rigueur académique tout en étant compréhensible par le plus grand nombre. C’est aussi le seul ouvrage qui traite de la situation des Suisses de l’étrangers chaque fois que nécessaire.
Le système politique suisse est-il aussi compliqué qu’on le prétend parfois?
Non et il est possible d’expliquer les choses de manière facilement compréhensible. Simplement, pour y parvenir, il ne faut pas se contenter de présenter les institutions et leur fonctionnement, mais aussi expliquer quelle est leur origine et pourquoi elles ont été créées. Quand on comprend la raison des choses, tout devient beaucoup plus logique et donc plus facile à cerner, à comprendre et à mémoriser. Quand on a cette approche, on n’a pas l’impression que c’est particulièrement compliqué.
Un exemple, peut-être…
Lors de la création de l’État fédéral de 1848, il y avait des cantons progressistes qui voulaient une Suisse moderne, unitaire et centralisée, mais aussi des cantons plus réticents. Ces derniers ont été poussés à céder une partie de leurs compétences à la Confédération, mais ils l’ont fait avec prudence en cherchant à garder les choses sous contrôle et à ne pas tout perdre.
Beaucoup de choses dans notre système s’expliquent par cette situation qui prévalait au 19e siècle, par exemple le fait que le Conseil fédéral soit élu par le Parlement et non pas par le peuple ou qu’il faille la double majorité du peuple et des cantons pour toute modification de la Constitution. Ce sont des choses qui pourraient sembler étranges pour quelqu’un qui vit au 21e siècle et qui fait des comparaisons avec des systèmes politiques étrangers, mais qui se comprennent beaucoup mieux à la lumière de l’histoire.
Dans la préface du livre, l’ancien président de la Confédération Pascal Couchepin remarque que le système suisse impose le rejet des extrêmes. Dans quelle mesure?
Dans la mesure où notre système est basé sur le consensus et sur la concordance entre toutes les parties du pays et toutes les forces politiques. Mécaniquement, on ne peut plus aboutir à des extrêmes et j’abonde sans le sens de Pascal Couchepin. L’esprit politique de la Suisse, c’est vraiment de trouver des solutions consensuelles qui conviennent au plus grand nombre possible et à ne pas trop se laisser prendre dans des solutions extrêmes.
Vous faites beaucoup de comparaison avec des systèmes politiques étrangers. Selon vous, qu’est-ce qui constitue la plus grande spécificité du système suisse?
C’est vraiment ce système de démocratie semi-directe, avec les droits populaires que sont l’initiative et le référendum. A l’échelle des petites communes, ce sont les assemblées populaires, qui vont dans le même sens. En effet, les décisions de l’exécutif communal doivent être soumises à cette assemblée populaire à laquelle tout le monde peut participer, ce qui équivaut de facto à une sorte de référendum obligatoire.
Concordance, respects de minorités, droits populaires… On pourrait s’imaginer exporter facilement un système aussi vertueux.
Je suis plutôt prudent. Chaque élément dans notre système est là pour des raisons historiques et il y a une seule histoire derrière tous ces éléments et qui donne sa cohérence au système. D’ailleurs, montrer cette cohérence constitue le fil conducteur de ce livre.
Or, les autres pays n’ont pas la même histoire. Ils possèdent leur propre histoire et leur propre système politique qui présente a priori sa propre cohérence. Dès lors, je suis très sceptique quant au fait de transplanter des éléments du système suisse comme on transplanterait un organe. On peut en revanche s’inspirer de ses principes et de ses idéaux et les adapter à la culture, à l’histoire et au contexte d’un autre pays.
L’une des caractéristiques du système politique suisse, c’est aussi sa lenteur. Est-ce un problème dans un monde qui va toujours plus vite?
On ne peut pas nier qu’il est très lent, mais il ne faut pas se fixer uniquement sur cet aspect. Dans les pays où les choses vont plus vite en raison d’un système vertical, on observe souvent une plus grande instabilité et une moins grande prévisibilité. C’est logique, car on ne peut pas avoir à la fois d’un côté la rapidité et de l’autre la prévisibilité. En Suisse, on a plutôt l’avantage de cette prévisibilité, ce qui rend aussi le pays attractif à l’étranger. La Suisse a d’ailleurs beaucoup profité de cette stabilité, qui a contribué à sa bonne réputation politique.
Maintenant, il est vrai que le monde semble aller toujours plus vite et il faut que la Suisse s’adapte. Ce ne sera pas évident, parce que les lenteurs font vraiment partie des institutions, notamment au niveau du parlement qui siège quatre fois par année trois semaines, avec son système d’élimination des divergencesLien externe entre les deux Chambres. Nous n’avons pas un Parlement en mesure d’adopter une loi en une ou deux sessions, sauf si c’est une loi évidente. Un véritable travail législatif durera toujours assez longtemps.
Un monde toujours plus rapide, mais aussi toujours plus complexe. Est-ce que cette complexité croissante ne remet pas en question le principe de la «politique de milice», autre grande caractéristique des institutions helvétiques?
Nous avons déjà glissé vers une semi-professionnalisation de la politique suisse, notamment au niveau fédéral. Si on allait davantage dans ce sens, cela changerait passablement la nature de notre système. Dans un système de milice, la politique se fait à côté de la profession principale. Les élus ont donc plusieurs casquettes et peuvent avoir des liens d’intérêt; tout le monde le sait et cela ne pose pas de problème. Mais dans un système où les politiciens sont professionnels, ce mélange des genres est inacceptable, intolérable.
Il faut vraiment voir dans quel sens la politique va se diriger. Si on glisse vers davantage de professionnalisation, il faudra alors impérativement changer les règles. Mais personnellement, je reste attaché au système de milice.
Que pensez-vous de la place laissée aux Suisses de l’étranger dans le système suisse?
Une fois de plus, l’histoire explique notre système. C’est chaque canton qui élit ses représentants sous la Coupole. De ce fait, il serait compliqué d’introduire un système comme le connaissent la France ou l’Italie, qui réservent un nombre de sièges pour leurs citoyens expatriés. Cela reviendrait à créer un canton fictif, donc à retirer des électeurs aux 26 cantons. Par ailleurs, ne disposant pas de leur propre circonscription, il est pratiquement impossible à des Suisses de l’étranger de se faire élire dans les cantons, où ils sont souvent inconnus.
Les Suisses de l’étranger peuvent donc à juste titre se plaindre du fait qu’ils ne sont pas aussi bien représentés que leurs concitoyens restés au pays. Ce que l’on peut encore faire, en revanche, c’est leur faciliter plus encore les modalités de vote. Cette tâche revient à chaque canton.
Quelles seraient les premières choses à réformer dans le système politique suisse, selon vous?
Généralement, lorsque l’on parle de réforme, tout le monde pense au Conseil fédéral. Mais pour moi, l’urgence est ailleurs. Il est important de rendre notre fédéralisme plus efficace, notamment au niveau de la coordination entre les cantons. Elle existe déjà, mais elle se fait sur une base largement volontaire et sans garantie de résultat. Il faudrait aussi des efforts pour rendre le système de milice aussi efficace que possible, mais sans le dénaturer. Dans cette optique, les lois sur la transparence sont vraiment importantes. Certains cantons l’ont déjà fait – notamment Vaud qui dispose d’une loi exemplaire – mais d’autres ont encore beaucoup de travail à faire dans ce domaine.
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