«L’Italie s’enfonce dans le chaos»
Une chambre des députés à gauche, un Sénat sans majorité absolue et la percée du mouvement contestataire 5 Etoiles de l'humoriste Beppe Grillo: les législatives italiennes pourraient déboucher sur un nouveau scrutin. Pour nombre de titres de la presse suisse, le vainqueur est le ras-le-bol de la politique d’austérité du chef du gouvernement sortant Mario Monti.
A la Chambre des députés, la coalition de Pier Luigi Bersani, leader de la gauche, a emporté 29,55% des voix, contre 29,18% à la coalition de droite de Silvio Berlusconi, ce qui représente une avance infime de 124’000 voix. Le bonus accordé au vainqueur lui donne toutefois une majorité confortable. Au Sénat en revanche, le centre-gauche n’obtient qu’une majorité relative (120 contre 117 sièges), loin de la majorité absolue fixée à 160.
Le Mouvement 5 Etoiles (M5S) de Beppe Grillo se paye le luxe d’être le premier parti à la Chambre des députés (25,5% contre 25,4 au Parti démocrate, centre-gauche), surfant sur le rejet de la classe politique, la colère contre l’austérité, la défiance à l’égard de l’Europe.
«Un favori marri, un trouble-fête, un revenant et un grand perdant.» C’est en ces termes que la Tribune de Genève/24 Heures résume la situation: le leader démocrate Pier Luigi Bersani a fait «moins bien que prévu»; celui du Mouvement 5 Etoiles Beppe Grillo «s’est mis sur orbite»; Silvio Berlusconi, leader du Peuple de la Liberté est «toujours là» et l’indépendant Mario Monti finit «en faillite».
C’est la coalition de gauche de Pier Luigi Bersani qui remporte le plus de voix dans les deux chambres du Parlement, mais elle n’obtient une majorité de sièges qu’à la Chambre des députés. Elle rafle 29,55% des voix, contre 29,18% à la coalition de droite de Silvio Berlusconi. Avec quelque 124’000 voix d’avance, le centre-gauche obtient la prime au gagnant et 340 des 630 sièges.
Au Sénat, où 160 sièges sont nécessaires pour disposer d’une majorité absolue, les choses sont différentes. Le centre gauche est crédité de 120 sièges, les amis de Silvio Berlusconi en obtiennent 117, ceux de Beppe Grillo 54 et les centristes emmenés par Mario Monti 22. Aucune majorité claire ne se dégage.
Dans la mesure ou les deux chambres disposent des mêmes prérogatives, le centre-gauche aurait donc besoin du Mouvement 5 Etoiles (M5S) de Beppe Grillo ou du centre-droit de Silvio Berlusconi pour faire passer ses réformes, ce qui semble exclu. Si aucun accord n’est conclu, de nouvelles élections pourraient avoir lieu.
Seul vainqueur du scrutin, Beppe Grillo et son M5S a obtenu environ 25% dans chacune des deux chambres et devient la troisième force politique du pays.
(Source: AFP)
«Constellation inconfortable»
«Bateau ivre». C’est le titre de La Liberté, qui relève que l’entrée fracassante au parlement de «Beppe Grillo, amuseur public transformé en porte-parole de tous les ras-le-bol, en dit long sur le niveau de désillusion et de désorientation des Italiens. (…) En transformant le scrutin en référendum sur la politique d’austérité, le bloggeur a réussi à brouiller un peu plus encore les cartes»
Pour le quotidien fribourgeois, le grand perdant est Mario Monti, qui a commis l’erreur de «croire au bon sens du peuple». Une erreur que son prédécesseur à la tête du gouvernement italien Berlusconi a évitée. «Honni hier, ressuscité aujourd’hui, il est à l’Italie ce que le dopage est au cyclisme: une forme d’amnésie euphorisante frappant une part significative de la population, celle qui croit plus au mythe qu’à la réalité du personnage».
«S’il y a un pays en Europe qui a besoin de stabilité politique, c’est bien l’Italie, pays qui est en profonde récession depuis des années, relève la Südostschweiz et Aargauer Zeitung. Mais, divisés comme jamais, les électeurs du Belpaese en ont décidé autrement et la formation d’un gouvernement stable paraît impossible.»
La Neue Zürcher Zeitung renchérit: «Avec la constellation inconfortable qui se dessine, il n’y a aucun vainqueur ou alliance capable d’exercer le pouvoir car jamais le morcellement des forces politiques italiennes n’a été aussi fort qu’actuellement.»
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Risque d’impasse en Italie
Sanction contre l’Europe
Pour Le Temps, l’issue du scrutin du week-end est «un vote sanction contre l’Europe». De Bruxelles, le correspondant du quotidien romand relève que «la poussée populiste italienne inquiète l’UE, qui verrait d’un bon œil une coalition entre Pier Luigi Bersani et Mario Monti».
«Victoire de la colère», titre le Bund. «Le spectacle populiste a gagné. L’Europe a perdu. Plus de la moitié des Italiens ont donné leur voix aux eurosceptiques et aux anti-européens, de Silvio Berlusconi en passant par la Ligue du Nord et des groupuscule d’extrême droite jusqu’à Beppe Grillo.»
Même ton dans le Blick: «Mauvais pour l’euro, pour l’Europe et pour la Suisse». Le quotidien de boulevard conclut lui aussi que le grand gagnant est Beppe Grillo. «Et si ce parti pirate italien devenait le faiseur de roi? Et avec qui? Le mouvement cinq étoiles exclut en principe toute alliance avec d’autres partis. Mais qui sait: les partisans de Grillo pourraient préparer une grande surprise. La politique italienne est imprévisible, surtout depuis hier.» Conclusion du Blick: «l’Italie s’enfonce dans le chaos politique».
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L’Italie les yeux ouverts
Responsabilité citoyenne
La Neue Zürcher Zeitung revient sur la responsabilité des citoyens. «L’Italie aura le gouvernement qu’elle mérite, formé à la suite d’une élection démocratique. Il est plutôt inquiétant d’entendre clamer que les électeurs n’ont pas eu de choix puisque c’étaient les bonzes des partis politiques qui avaient dressé les listes électorales. Or les citoyens d’une démocratie ne peuvent pas prendre leur responsabilité aussi légèrement. En confiant les rênes du pouvoir à des anti-politiciens, ils doivent savoir ce qu’ils font. Le succès considérable de Berlusconi et de Grillo reflète-t-il le penchant des Italiens pour la frivolité et l’autodestruction?» Le quotidien zurichois laisse le lecteur répondre à sa question.
Le Corriere del Ticino estime pour sa part que la colère des «grillini» doit maintenant faire place à une véritable volonté politique. «C’est bien joli de se faire l’écho de la colère des déçus et, si les excès de la campagne électorale se sont avérés payants, au Parlement, il faudra changer de musique. Les voix recueillies par le M5S ne serviront à rien si elles ne sont pas utilisées avec calme et bon sens».
Pour le quotidien italophone, «il est juste de renvoyer chez eux des hommes politiques corrompus et fainéants, mais il ne sert à rien de taper du poing sur la table dans un pays sans majorité claire. L’art du compromis est indispensable et la parole est maintenant à ceux qui ont acclamé Beppe Grillo: ils devront se montrer capables de proposer des issues praticables pour sortir de la crise.»
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