«La campagne ne se gagnera pas sur Internet, pas encore»
Quelles sont les recettes pour transformer une campagne électorale en succès? Réponses par le politologue et expert en communication Mark Balsiger, qui a publié récemment un guide pour éviter aux candidats de «voler à l'aveugle».
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Tessinois transplanté depuis une éternité en Suisse romande, je m’intéresse aux questions de société, à la politique, à l’histoire tout en gardant un œil sur la présence italienne en Suisse et vice versa. Initiales: mar
«Wahlkampf statt BlindflugLien externe» (faire campagne, pas voler à l’aveugle) est destiné à qui entend se lancer dans l’arène politique mais aussi à qui s’intéresse à la chose publique. Dans son livre, Mark Balsiger énumère 26 facteurs et 85 conseils sur ce qu’il faut faire et ne pas faire.
swissinfo.ch: Vous avec ouvert votre agence de communication en 2002. Quels sont les facteurs qui ont changé la donne depuis lors?
Mark Balsiger: En 2002, Internet ne jouait encore aucun rôle. Entre temps, cet instrument a été découvert et utilisé avec des compétences et des résultats divers. Il y a des gens qui l’utilisent bien, d’autres qui montrent une certaine réticence, d’autres encore qui le refusent.
Ce qui est certain, c’est qu’en Suisse, la campagne électorale ne se gagnera pas sur Internet. Lors des élections fédérales de 2007, quelques ‘geeks’ avaient affirmé qu’Internet provoquerait un grand bouleversement. En 2011 et cette année, on a entendu la même chose. Et pourtant ce bouleversement n’a toujours pas lieu. Par contre, il y a une évolution rampante.
Je pense qu’entre 2020 et 2025, quand les ‘digital natives’ seront majoritaires, alors ce changement s’accentuera beaucoup. Qui voudra alors faire campagne sans se présenter sur Internet sera voué à l’échec.
swissinfo.ch: Y a-t-il aussi des facteurs qui ont disparu pendant ces années?
M.B.: Non. Ceux qui affirmaient qu’Internet se substituerait à ce qui existe se sont aussi trompés. Simplement, Internet s’est ajouté à une panoplie qui existe depuis des décennies.
swissinfo.ch: Dans votre livre, vous mentionnez 26 facteurs qui font le succès d’un campagne. Quels sont les plus importants?
M.B.: J’ai représenté tous ces facteurs sous la forme d’une pyramide. Ceux qui constituent le premier niveau de cette pyramide sont les plus importants. Ce sont des éléments que tout le monde connaît probablement déjà: candidature d’un parti établi, image du parti, expérience politique, réseau, rang sur la liste.
Il y a quatre ans, par exemple, le Parti bourgeois démocrate (PBD) et les Verts libéraux (PVL) ont pu profiter à fond d’un de ces facteurs, c’est-à-dire l’image de leur parti. Ils étaient deux nouveaux venus. Beaucoup d’électeurs se sont dont dit ‘ok, on essaie, on donne notre voix à ces deux formations’.
swissinfo.ch: Pensez-vous que ces deux partis pourront profiter de ce facteur encore une fois cette année?
M.B.: Je ne crois pas. Le PBD a probablement déjà atteint son apogée. Ce parti ne peut pas compter sur une niche d’électeurs. Il y a un an, lors des dernières élections dans le canton de Berne où il dispose de son plus important bassin électoral, le PBD a perdu un tiers de ses suffrages. Plus récemment, à Bâle-Campagne il a également été battu.
La situation est un peu différente pour les Verts libéraux. Par rapport au PBD, ce parti est présent dans pratiquement tous les cantons et il a un grand potentiel dans les régions urbaines. Il a jusqu’à présent réussi à s’attirer des suffrages de gauche comme du centre-droit et à occuper une niche importante dans l’électorat. C’est le parti qui a eu le plus de succès lors des élections cantonales de ces dernières années.
Cependant, pour les Verts libéraux, il aurait été très important de maintenir leur forte position dans le canton de Zurich, berceau du parti. Mais ils n’y ont pas réussi lors des élections cantonales d’avril. En outre, vu l’échec en mars de leur initiative demandant le remplacement de la TVA par une taxe sur l’énergie, les Verts libéraux se retrouvent dos au mur. Le charme est rompu ils devront tout faire pour ne pas sombrer en octobre.
Mais le problème d’image est aussi important pour les partis traditionnels. Depuis 25 ans le Parti démocrate-chrétien (PDC) et le Parti libéral-radical sont en constant recul. L’électeur doit se demander pourquoi il devrait voter pour des perdants chroniques.
swissinfo.ch: Et les autres facteurs?
M.B.: Au deuxième niveau de la pyramide, que j’ai élaborée sur la base d’un questionnaire envoyé à 1500 candidats, il y a les facteurs propres à chaque candidat. Par exemple le soutien dont il jouit au sein de différentes organisations, ses ambitions, sa personnalité, le temps qu’il est disposé à consacrer à la campagne ou encore l’argent à disposition. Ce sont tous des facteur sur lesquels il est difficile d’exercer une influence.
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Par contre, les candidats peuvent travailler sur le troisième niveau de la pyramide, sur ce que j’ai appelé ‘l’emballage’. C’est à ce niveau que se joue la campagne électorale en Suisse. Ce sont des facteurs comme l’image qu’on veut transmettre, la présence dans les médias, la proximité avec les électeurs ou encore le profil en ligne.
swissinfo.ch: Et que pensez-vous de la présence en ligne des candidats? Et quels conseils donnez-vous à ceux qui veulent être présents sur les réseaux sociaux?
M.B.: Quelques candidats utilisent ces canaux de manière professionnelle, mais c’est une petite minorité. Par contre, ils sont nombreux à les utiliser de manière unidirectionnelle, comme si c’étaient des affiches plutôt que des réseaux interactifs et ils pensent qu’ils peuvent avoir un impact avec un minimum de temps et d’énergie. Et bien, c’est une erreur. L’utilisation des réseaux sociaux demande au contraire du temps. Pour avoir du succès sur ces canaux, il y a cinq conditions essentielles: il faut être interactif, spirituel, authentique, assidu et intéressant.
Ensuite, je donne toujours deux autres conseils: tout ce qui se dit doit pouvoir être dit dans un mégaphone le matin à la gare de Zurich et il ne faut jamais publier quoi que ce soit si on a une alcoolémie supérieure à 0,5 pour mille.
swissinfo.ch: Récemment, pour financer leur campagne lors des élections zurichoises, deux candidats, dont le ministre écologiste sortant Martin Graf, ont utilisé le ‘crowdfunding’. Qu’en pensez-vous?
M.B.: Élection individuelle et ‘crowdfunding’ sont à mon avis incompatibles. Martin Graf gagne plus de 300’000 francs par an et lance un appel de fonds. Personnellement, je ne lui verserais pas un centime.
swissinfo.ch: A quel point l’argent est-il un facteur important?
M.B.: Il est sûrement important. Mais je ne pense pas qu’en Suisse, ce soit possible d’acheter un siège, contrairement à tout ce qui arrive aux États-Unis par exemple, où les positions clé ne sont occupées que par des millionnaires.
(Adaptation de l’italien: Isabelle Eichenberger)
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A pratiquement un an des élections fédérales de 2015, on assiste aux premières escarmouches entre partis. Le début très précoce de la campagne électorale est lié en particulier aux incertitudes sur l’avenir des rapports avec l’Union européenne. Ce thème s’inscrit d’ores et déjà au centre des débats politiques en vue du renouvellement des Chambres fédérales.
Le langage et la rhétorique de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) «ressemblent brutalement à ceux des années 30 en Allemagne». L’UDC manifeste «des tendances fascistes». A en juger par les attaques lancées en septembre par les présidents de deux partis nationaux contre l’UDC, on pourrait s’attendre à une campagne plutôt musclée pour les élections fédérales du 18 octobre 2015. Il est peut-être encore trop tôt pour le dire, mais il est clair que le climat politique actuel contraste avec celui des dernières élections.
En 2011, l’UDC avant tenté encore une fois de placer la question des étrangers au centre de l’attention, en réutilisant des images et des textes provocants, par exemple avec une affiche montrant des bottes noires piétinant le sol suisse. Pour éviter de faire à nouveau le jeu du plus grand parti du pays, qui sortait de quatre succès électoraux successifs, les autres formations politiques avaient alors décidé d’ignorer sa propagande et de se concentrer sur leurs propres thèmes.
Mais aucun parti n’avait finalement réussi à imposer un thème dominant et les débat étaient restés plutôt ternes, même en fin de campagne. Avec pour résultat que tant l’UDC que les quatre autres principaux partis – Parti socialiste (PS / gauche), Parti libéral-radical (PLR / centre-droit), Parti démocrate-chrétien (PDC / centre) et Parti écologiste suisse (PES / gauche) – étaient ressortis affaiblis des urnes. Deux nouveaux partis du centre de l’échiquier politique, le Parti bourgeois démocratique (PBD) et les Verts libéraux (VL), s’étaient en revanche renforcés.
Perspectives économiques menacées
Cette fois en revanche, entre polémiques et prises de position, la campagne semble déjà entrée dans le vif du sujet à un an de l’échéance électorale. Et, suite au succès de l’initiative populaire demandant un frein à l’immigration, approuvée par le peuple en février, on distingue déjà un grand thème d’affrontement: l’avenir des relations avec l’UE. D’ici la fin de l’année, le gouvernement a l’intention de présenter ses propositions pour mettre en œuvre cette initiative de l’UDC qui exige l’introduction de contingents pour réduire l’afflux de main-d’œuvre étrangère. Pour 2015, on s’attend donc à des négociations difficiles avec Bruxelles et à des débats intenses de politique intérieure.
Pour les partis du centre et de la gauche, cette initiative de l’UDC ne touche pas seulement les étrangers, mais aussi les intérêts de la Suisse. Les contingents sont incompatibles avec l’accord sur la libre circulation des personnes. Ce qui est en jeu, c’est donc l’ensemble des traités bilatéraux conclus avec l’UE et, en particulier, l’accès des entreprises suisses au grand marché unique européen. La mise en œuvre de l’initiative menacerait ainsi les perspectives économiques de la Suisse, alors que plus de 60% de ses relations commerciales se font avec les Vingt-huit.
«Le maintien d’une économie saine fait partie de nos priorités pour les élections fédérales. C’est pourquoi nous voulons nous battre pour sauvegarder les accords bilatéraux qui ont contribué au succès économique de la Suisse ces dernières années, explique Dominique de Buman, vice-président du PDC. Pour gagner des voix, l’UDC est par contre prête à rompre les accords bilatéraux et à conduire la Suisse dans une situation d’isolement qui aurait des effets catastrophiques.»
Défendre la souveraineté nationale
«Notre objectif premier est de sauvegarder l’indépendance et la sécurité de la Suisse, réplique Albert Rösti, responsable de la campagne électorale de l’UDC. Nous sommes le seul parti qui combat l’adhésion rampante à l’UE. Bruxelles veut maintenant imposer à la Suisse un accord institutionnel qui nous forcerait à adapter automatiquement notre droit à celui de l’UE. Cela signifierait que nous perdrions notre souveraineté.»
Pour préserver «l’indépendance et la sécurité de la Suisse», l’UDC veut aller encore plus loin et a déjà annoncé deux nouvelles initiatives populaires en vue des élections fédérales. La première vise à restreindre drastiquement les possibilités pour déposer une demande d’asile en Suisse. La seconde veut ancrer dans la Constitution fédérale la primauté du droit suisse sur le droit international.
«Nous constatons que le gouvernement et les autres partis veulent tout faire pour ne pas mettre en œuvre nos initiatives sur le renvoi des criminels étrangers et sur le frein à l’immigration en affirmant que celles-ci seraient contraires au droit international et européen. C’est inacceptable, du moment que nos initiatives ont été acceptées par le peuple. Le droit des autres pays ne peut prévaloir sur le droit suisse», juge Albert Rösti.
Une future Corée du Nord
Les nouveaux projets de l’UDC ont soulevé un concert de réactions négatives de la part des autres partis. «L’UDC veut nier les relations internationales et le droit international, l’existence des Nations Unies et des autres organisations internationales. De cette manière, la Suisse deviendrait une sorte de Corée du Nord en Europe», dénonce Dominique de Buman.
Pour Andy Tschümperlin, chef du groupe socialiste des Chambres fédérales, «l’UDC cherche à mettre au premier plan les rapports avec l’étranger uniquement pour promouvoir l’idée d’un ‘ennemi commun’ et pour détourner l’attention des problèmes intérieurs. Il est donc nécessaire de lancer un grand débat pour affronter ces questions, comme la répartition plus juste de la richesse.»
«Nous ne pouvons empêcher aucun parti de remettre en cause les relations avec l’étranger et des principes fondamentaux tels que le respect du droit international, mais nous devons continuer à défendre nos valeurs, c’est-à-dire une démocratie ouverte sur le monde qui ne vise pas seulement à tirer profit de l’étranger, mais qui veut aussi participer à la résolution de problèmes globaux tels que le climat ou le tournant énergétique», déclare pour sa part Regula Rytz, co-présidente des Verts.
Positions trop éloignées
Une campagne centrée sur les rapports avec l’étranger pourrait cependant à nouveau favoriser le parti de la droite conservatrice qui, par le passé, a déjà séduit de nombreux citoyens en mettant l’accent sur tout rapprochement avec l’UE. Mais cette fois encore, il ne faut pas attendre de stratégie commune de la part de partis du centre et de la gauche, dont les positions sont trop éloignées sur de nombreux thèmes économiques et sociaux.
«Nous sommes convaincus que ni la politique d’isolement de l’UDC ni la politique de redistribution des richesses du PS ne peuvent permettre à la Suisse de progresser. Des solutions libérales sont nécessaires pour sauvegarder le bien commun et les perspectives de développement du pays», affirme Vincenzo Pedrazzini, responsable de la campagne électorale du PLR. Reste que le parti du centre-droit songe à faire liste commune avec l’UDC dans une dizaine de cantons.
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