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Le Conseil des droits de l’homme pointé du doigt

La Pologne et 65 autres pays ont été accusés d’avoir accueilli des prisons secrètes. Keystone

Torture et prisons secrètes sont un «phénomène global» que le Conseil des droits de l’homme basé à Genève ne prend pas au sérieux, juge le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture Manfred Nowak.

L’Autrichien était cette semaine à Genève pour la 13e session ordinaire du Conseil, qui doit s’achever le 26 mars prochain. Lundi, il a présenté un rapport complet sur la torture.

Celui qui quittera son poste en fin d’année après cinq ans comme rapporteur spécial est aussi l’un des auteurs du controversé rapport conjoint de l’ONU sur la détention secrète. Une expertise qui se penche sur le réseau global de prisons secrètes utilisées dans la lutte contre le terrorisme. 66 pays sont concernés.

Ce rapport devait d’ailleurs être présenté lors de cette session. Mais la semaine dernière, le conseil a repoussé les débats à juin. Une solution de compromis résultant de l’opposition des Etats africains et de l’Organisation de la conférence islamique.

swissinfo.ch: Quelle est votre réaction à l’ajournement des débats sur votre rapport sur la détention secrète?

Manfred Nowak: Je regrette profondément ce report. Le rapport aurait dû être pris au sérieux.

Ce report découle d’une considération politique, on veut nous faire savoir que nous aurions violé le code et agi en dehors de notre mandat.

Nous sommes des experts indépendants – les yeux et les oreilles du conseil – et nous lui fournissons un rapport qui attire l’attention de ses membres sur un problème mondial très sérieux. Un rapport basé sur un gros travail au cours de cette dernière année.

La détention secrète n’est pas juste une violation mineure des droits de l’homme, c’est un crime, une violation majeure des droits de l’homme.

swissinfo.ch: Quelle est l’étendue de l’utilisation de la torture, telle que présentée dans votre rapport portant sur cinq ans?

M.N.: Malheureusement, la torture est un phénomène global. Durant toutes mes missions, il n’y a qu’un seul pays – le Danemark – où je n’ai pas rencontré de sérieuses allégations de torture. Dans tous les autres pays, on observe des cas isolés, comme en Uruguay et en Jamaïque, des cas plus répandus, comme en Chine, en Mongolie et en Indonésie, ou un usage systématique, comme en Guinée équatoriale et au Népal, il y a quelques années.

Elle est beaucoup plus pratiquée que ce qui est reconnu généralement.

Le fait que la torture soit si largement pratiquée est surprenant. Mais le plus surprenant pour moi est que dans beaucoup de pays, les conditions générales de détention au niveau de la police, de la préventive, de la prison, des hôpitaux psychiatriques et des centres de détention spéciaux pour immigrants illégaux équivalent à des traitement cruels et dégradants.

swissinfo.ch: Quelles sont les principales raisons de cette pratique répandue?

M.N.: L’administration générale de la justice criminelle ne fonctionne pas correctement dans beaucoup de pays. Elle n’est pas suffisamment financée, les juges ne sont pas indépendants et les politiciens se veulent durs face à la criminalité, ce qui met beaucoup de pression sur la police pour qu’elle résolve les cas.

Bien sûr, la lutte contre le terrorisme est une autre raison, mais en termes quantitatifs, la plupart des victimes de la torture sont des suspects ordinaires. Mais la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et le combat global contre la terreur depuis le 11 septembre 2001 ont fait beaucoup pour saper l’interdiction de la torture.

swissinfo.ch: La semaine dernière, Micheline Calmy-Rey, ministre suisse des Affaires étrangères a défendu le travail des experts des droits de l’homme de l’ONU en disant qu’ils sont ignorés et de plus en plus souvent victimes de virulentes attaques de la part des Etats. Quel est votre avis?

M.N.: Je suis très préoccupé par la manière qu’ont les Etats du Conseil des droits de l’homme de traiter leurs propres experts indépendants.

Le conseil devrait cesser de critiquer ses propres experts, commencer à prendre au sérieux les droits de l’homme et collaborer avec ses experts indépendants pour traiter des violations graves de la part des Etats responsables.

Sur les questions sensibles, la solution de facilité consiste à nous accuser de violer le code de conduite.

swissinfo.ch: Un examen des méthodes de travail du conseil doit avoir lieu en 2011. Quels changements aimeriez-vous voir intervenir?

M.N.: Aujourd’hui, la situation au conseil est pire qu’avant la Commission des droits de l’homme (sa prédécesseur), avec un conflit nord-sud hautement politisé.

Nous devons rompre ce cycle du vote par blocs. Nous devons surmonter ces tentions politiques et nous occuper des questions de droits de l’homme dans les différentes régions, avec des Etats de toute la planète attachés aux droits de l’homme, et pas aux agendas politiques.

L’Examen périodique universel du conseil est un principe non-sélectif et un développement positif. Mais de nombreuses discussions sont très politisées. Les Etats ne devraient pas évaluer la performance d’autres Etats en matière de droits de l’homme. C’est la fonction d’experts indépendants.

On observe aussi au conseil une tendance croissante à faire pression sur les ONG.

Il existe un fossé grandissant entre un niveau très élevé d’obligations juridiquement contraignantes faites aux Etats et la réalité sur le terrain. Nous devons surmonter ceci par la prévention et des mécanismes renforcés pour contrôler l’application des droits de l’homme par les Etats.

Des propositions importantes existent. Par exemple une haute cour internationale des droits de l’homme ou un fonds global pour renforcer la mise en œuvre des mécanismes nationaux. Mais ce qui manque pour le moment, c’est la volonté politique de prendre au sérieux les droits de l’homme.

Simon Bradley, Genève, swissinfo.ch
(Traduction de l’anglais: Pierre-François Besson)

Les Etats-Unis font partie des nombreux pays qui ont kidnappé et détenu secrètement des gens suspectés de terrorisme durant les neuf dernières années, violant ainsi les droits de l’homme fondamentaux, indique le rapport.

Algérie, Chine, Egypte, Inde, Iran, Russie, Soudan et Zimbabwe détiennent aussi des suspects pour des raisons de sécurité ou des membres de l’opposition en des lieux inconnus.

«A l’échelle globale, la détention secrète en lien avec les politiques anti-terroristes reste un sérieux problème», observent les quatre experts indépendants dans leur rapport basé sur une recherche d’un an et des entretiens avec trente détenus.

Les victimes et leurs familles doivent obtenir des compensations et les responsables être poursuivis, affirment-ils dans leur rapport de 226 pages.

«La détention secrète en tant que telle peut constituer une torture ou un mauvais traitement pour les victimes directes comme pour leurs familles», dit la rapport.

Ce dernier constate aussi que la détention secrète a servi à faciliter et couvrir la torture et les traitements inhumains et dégradants afin d’obtenir des informations ou faire taire.

Né le 26 juin 1950, cet avocat spécialiste des droits de l’homme est professeur de droit constitutionnel et droits de l’homme à l’Université de Vienne.

Il est aussi directeur scientifique du Ludwig Boltzmann Institut pour les droits de l’homme.

Nowak a été l’un des juges de la Chambre des droits de l’homme de Bosnie-Herzégovine entre mars 1996 et décembre 2003.

Il est rapporteur spécial de l’ONU sur la torture depuis 2004.

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