Le Genevois qui aurait pu être président des Etats-Unis
Albert Gallatin est l'un des pères fondateurs de la république américaine les plus méconnus. Ce Genevois aux talents multiples et à la vie digne d'un roman d'aventure a pourtant contribué à façonner les Etats-Unis.
Au début du XIXème siècle, Albert Gallatin a contribué à forger la géographie et les institutions des Etats-Unis. A tel point que le Congrès vient d’adopter une résolution qui salue la «vision nouvelle» de cet immigré genevois qui «a uni la jeune République».
Lors du vote, Nancy Pelosi, présidente de la Chambre, a loué la «grande prévoyance» de Gallatin. «Le Canal Erié, la liaison ferroviaire transcontinentale et le modèle de planification de l’Amérique par des partenariats entre pouvoirs publics et secteur privé font partie de l’héritage d’Albert Gallatin», a-t-elle dit.
«Albert Gallatin a joué un rôle très important», déclare à swissinfo Herbert London, ancien doyen de l’Ecole Gallatin à l’Université de New York qui dirige à Washington l’Institut Hudson, un centre de réflexion.
L’influence de Gallatin sur la géographie des Etats-Unis est énorme. C’est notamment lui qui, en qualité de ministre de l’Economie et des Finances, persuada Jefferson d’acheter à Napoléon la «Louisiane», territoire qui s’étendait alors jusqu’au Canada. C’est aussi Gallatin qui organisa l’expédition vers l’Ouest des explorateurs Lewis et Clark.
Record de longévité
Gallatin eut aussi une grande influence sur les institutions des Etats-Unis. Deuxième ministre de l’Economie de la jeune nation, il détient le record de longévité à ce poste.
Il créa la commission qui contrôle le budget du gouvernement américain. La politique n’étant que l’un des centres d’intérêt de cet homme des Lumières, il fonda aussi l’Université de New York et la Société Américaine d’Ethnologie.
«Gallatin n’est pas très connu du grand public américain, mais les visiteurs de son manoir en Pennsylvanie sont surpris, à la fois par l’ampleur de son expérience et par son œuvre en tant que ministre», indique Brian Reedy, historien et guide au Site Historique National de Friendship Hill, la propriété de Gallatin que gère le Service des Parcs Nationaux.
Une vie bien remplie
Au fil de ses 88 années de vie, Gallatin mena une vie riche d’évènements. Orphelin d’un couple de commerçants, il quitte secrètement la Suisse à 19 ans avec un camarade de classe, s’embarque à Lorient et débarque à Cape Ann au Massachusetts.
Par la suite, il tiendra un magasin à la limite des terres colonisées du Maine, enseignera le français à Harvard, deviendra pionnier de l’agriculture et de l’industrie à la frontière ouest des Etats-Unis de l’époque, en Pennsylvanie, se fera élire à l’assemblée de cet Etat, continuera sa carrière politique à Washington où il sera tour à tour sénateur, député et ministre, deviendra ambassadeur à Paris et Londres et écrira des livres importants sur les Indiens d’Amérique dans lesquels il établit que les tribus du Nord et du Sud sont reliées et que leurs ancêtres communs venaient d’Asie.
«S’il était né aux Etats-Unis, Gallatin aurait pu en être président parce qu’il était un leader extraordinaire en même temps qu’un grand nationaliste», estime Herbert London. «Il envisageait les Etats-Unis comme une grande puissance du continent, qui devait s’étendre de l’Atlantique au Pacifique, qui devait maintenir son indépendance, éviter de s’empêtrer dans des alliances et des guerres en Europe, promouvoir le libre échange et protéger ses propres intérêts sur le continent américain», poursuit l’ancien doyen de l’Ecole Gallatin.
Vision plus large
«La singularité de Gallatin, c’est que n’étant pas né aux Etats-Unis, il avait une vision plus large de l’Amérique que ses concitoyens et considérait l’intérêt de l’ensemble du pays», relève Brian Reedy, l’historien des Parcs Nationaux.
«Jefferson était ainsi sceptique face à l’idée de dépenser de l’argent pour l’ensemble du pays, et non plus pour sa Virginie et les régions dont les autres politiciens étaient originaires, mais c’est Gallatin qui l’a persuadé», explique Brian Reedy, avant d’ajouter que «contrairement à Jefferson, Gallatin était convaincu que les Etats-Unis ne devaient pas être seulement une nation d’agriculteurs, mais aussi de commerçants et d’industriels».
Bien que différent des Américains de souche et peu doué pour l’anglais, Gallatin devint «un vrai Américain qui aimait vivre dans ce pays neuf», selon Herbert London. Du coup, l’orphelin genevois n’envisagea jamais sérieusement de rentrer en Suisse. «Gallatin adorait sa langue française d’origine qu’il jugeait mélodieuse et bien supérieure à l’anglais, mais il se sentait chez lui aux Etats-Unis et je ne crois pas qu’il ait réellement pensé à un retour», indique Herbert London.
Brian Reedy rappelle de son côté que «Gallatin a bien songé à rentrer en Suisse après la mort de sa première femme, mais en 1793, il y renonce quand il épouse Hannah Nicholson avec laquelle il aura deux fils et une fille».
L’historien souligne enfin que «lorsque Gallatin voyage en Europe, il écrit souvent ‘je me sens Américain’, et même s’il est fier de ses racines genevoises, il ne se sent pas à sa place en Europe».
swissinfo, Marie-Christine Bonzom, Washington
Albert Gallatin (1761-1849) est né à Genève et mort à New York.
Orphelin, il quitte Genève en secret de sa tutrice avec un camarade de classe de l’Académie de Genève. Ils s’embarquent à Lorient sur un bateau américain et débarquent aux Etats-Unis le 14 juillet 1780.
En 1784, Gallatin achète de la terre dans le sud-ouest de la Pennsylvanie où il établit une plantation, Friendship Hill, aujourd’hui conservée par le Service des Parcs Nationaux, fonde un bourg, New Geneva qui existe encore aujourd’hui, crée plusieurs entreprises, en particulier une fabrique de fusils et une verrerie. Les objets en «verre Gallatin» sont réputés pour leur qualité et prisés des collectionneurs américains.
Gallatin meurt à 88 ans et est enterré dans le jardin de l’église de la Trinité à Manhattan.
L’empreinte de Gallatin sur la géographie de son pays d’adoption est lisible sur le terrain. Son nom est porté par un affluent du Missouri, une chaîne de montagnes au Montana, plusieurs comtés au Montana, au Kentucky et en Illinois, et des villes dans le Missouri et au Tennessee.
Sur le plan politique, Gallatin jeta les grandes lignes de la théorie selon laquelle les Etats-Unis étaient destinés à l’expansion vers le Pacifique.
Ministre de l’Economie et des Finances de 1801 à 1814, il tint les cordons de la bourse pour une durée record et sous deux présidents, Thomas Jefferson et James Madison. Sa statue est la seule qui orne l’enceinte du ministère, à côté de la Maison Blanche.
La plus haute distinction qu’un fonctionnaire du ministère américain peut recevoir est le Prix Albert Gallatin.
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.