«Le statu quo n’est plus tenable» pour le directeur de l’UNRWA Philippe Lazzarini
L’Agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) se retrouve à nouveau financièrement le dos au mur. Mais pour son directeur, le Suisse Philippe Lazzarini, l’absence de solution politique reste le nœud du problème.
À partir de quand du provisoire cesse-t-il de l’être? Régulièrement en butte à des difficultés financières, l’Office de secours et de travaux de l’ONU pour les réfugié-es de Palestine est à l’œuvre depuis 74 ans sur le terrain. Mais cela fait plus d’une dizaine d’années déjà que des bailleurs de fonds réduisent régulièrement leurs aides. Ce fut le cas en 2018 lorsque les États-Unis, sous l’ère Donald Trump, ont suspendu toute contribution. Même si ce soutien a été réintroduit depuis, la césure a provoqué un gouffre pour cette organisation.
En tant que secrétaire adjoint des Nations unies, Philippe Lazzarini est le Suisse qui occupe les plus hautes fonctions dans l’appareil onusien. Selon lui, «le grand écart est patent entre les attentes suscitées par ce programme et les moyens réels dont il dispose». Le financement de l’UNRWA reste sa priorité ainsi qu’un surplus de transparence. Mais il met toutefois en garde: «le fossé croissant entre attentes et moyens peut conduire à l’implosion de l’UNRWA».
Un naufrage annoncé, car les aides des pays contributeurs ne cessent de stagner, qui plus est concernant une région en proie à des violences et crises à répétition: guerre en Syrie, effondrement du Liban, regain de tensions dans le conflit israélo-palestinien. À quoi se sont ajoutés aussi la pandémie et le récent séisme en Syrie. Enregistré-es auprès de l’UNRWA, nombre de réfugié-es d’origine palestinienne n’ont eu souvent que cet organisme comme seule planche de salut. Mais sans apport d’argent frais, il lui deviendra impossible de répondre à l’ensemble des besoins actuels. «Le statu quo n’est plus tenable», lâche à swissinfo.ch Philippe Lazzarini, qui dirige l’UNRWA depuis 2020.
Plus de réfugié-es induit plus de besoins
C’est pour apporter une aide temporaire aux réfugié-es de Palestine que l’UNRWA a été créé en 1949. Son mandat a été depuis renouvelé régulièrement tous les trois ans. Les aides fournies par ce programme onusien suppléent les Etats dans certaines tâches: soins médicaux, formation, éducation, humanitaire. L’UNRWA s’adresse à une population d’environ 5,6 millions de personnes réparties géographiquement sur différentes zones: Jordanie, Syrie, Liban. Quant aux territoires palestiniens, ces derniers dépendent de l’UNRWA à des degrés divers en fonction de la situation.
Parmi ces réfugié-es, 550’000 élèves réclament un encadrement et deux millions de personnes des soins médicaux ou une aide alimentaire. À noter que la plupart parmi les 30’000 collaboratrices et collaborateurs de l’UNRWA sont d’origine palestinienne. Aujourd’hui, cette organisation a toujours plus de peine non seulement à maintenir ses aides, mais aussi à honorer leurs salaires.
Étant donné que le nombre de réfugié-es ne cesse de croître, les exigences posées au programme onusien s’élèvent d’autant… alors que les dons restent facultatifs. L’an passé, une grosse partie des 1,6 milliard de dollars de budget de l’UNRWA a été couverte par des pays occidentaux, dont la Suisse, laquelle y participe de longue date à hauteur d’environ 20 millions de francs par an.
En comparaison, le soutien financier accordé par les pays arabes reste faible et décroît même. «Nous observons une sorte de décalage entre la solidarité que ces pays expriment au peuple palestinien et le peu d’aide qui lui est finalement réservé», analyse Philippe Lazzarini. Voilà en définitive le reflet des changements géopolitiques dans la région, certains États ayant normalisé leurs relations avec Israël avec pour effet une aide réduite pour les Palestinien-nes.
Mais pour ces réfugié-es, qui survivent aujourd’hui dans des conditions toujours plus précaires, les conséquences ne sont pas seulement économiques. Pour le patron de l’UNRWA, «leur sentiment est d’être toujours plus abandonné-es par la communauté internationale». Avec la pauvreté rampante et l’absence de perspectives, ce cocktail pourrait s’avérer dangereux à terme.
Attentes irréalistes dans un contexte hyperpolitisé
De plus, l’UNRWA n’a pas été épargné ces dernières années par les critiques concernant sa gestion interne ou sur des contenus jugés antisémites dans des livres scolaires. Lors d’une visite dans un camp de réfugié-es en Jordanie en 2018, le chef de la diplomatie suisse Ignazio Cassis avait déclaré que l’UNRWA était devenu «une partie du problème». Autrement dit un obstacle pour résoudre la Question palestinienne. Un narratif propagé en amont et depuis longtemps déjà par une partie de la droite israélienne et américaine.
Prédécesseur de Philippe Lazzarini à la tête de l’UNRWA, le Suisse Pierre Krähenbühl avait dû abandonner son poste en 2019 pour gestion déficiente. Cet épisode a occasionné aussi des retards pour percevoir les dons, plusieurs pays européens, dont la Suisse, ayant décidé de suspendre leurs versements.
«Nous prenons ces critiques très au sérieux», atteste Philippe Lazzarini. Il en veut pour preuve les restructurations qui sont en cours et les contrôles plus stricts du matériel scolaire fourni par les autorités locales. «Reste que l’UNRWA est souvent tenu pour responsable sur place, alors que les problèmes qui sont récurrents dans la région ne peuvent être résolus qu’à l’échelle politique. Mais aucun signal allant dans ce sens n’a été relevé depuis longtemps», note-t-il.
Le maintien d’un statut pérenne de réfugié-e et leur droit au retour continuent de poser un problème. De quoi rendre les négociations de paix quasi impossibles. Pour Philippe Lazzarini, il faudrait aujourd’hui investir davantage pour mieux intégrer les réfugié-es dans les pays d’accueil, «où les conditions font défaut».
Sur fond de très forte politisation, le programme de l’ONU suscite des attentes en réalité de plus en plus irréalisables. Qui plus est, l’analyse interne que mène actuellement l’UNRWA à propos des erreurs qui ont été commises dans le passé et sa réforme sont contrariées sur place par le manichéisme ambiant. Mais reprocher à quiconque dans cette région d’avoir une lecture unilatérale de la situation, soit propalestinienne soit pro-israélienne, est très facile à faire.
Pas de changement en vue
L’UNRWA fêtera en 2024 ses 75 ans. Mais pour Philippe Lazzarini, qui relève ici quelques observations faites lors d’une récente visite d’un camp à Beyrouth, les choses ont peu évolué. «Après trois quarts de siècle, vous distribuez toujours de la nourriture», lui a rétorqué ainsi un jeune Palestinien de ce camp.
«L’idéal serait que l’UNRWA ne soit plus nécessaire, voilà notre but», explique-t-il. Mais tout changement sur le statut des réfugié-es palestinien-nes ne peut être initié que par un processus politique, étant donné que le mandat confié à l’UNRWA est basé sur des décisions prises par l’Assemblée générale des Nations unies. Concrètement, son directeur n’a d’autres choix aujourd’hui que de combler les lacunes existantes et stabiliser les finances à moyen terme.
Pour autant, tous les acteurs sur le terrain sont d’accord sur un point: rien ne peut remplacer l’UNRWA tant qu’une issue politique n’est pas trouvée, avance Philippe Lazzarini. Même si les relations nouées avec les autorités israéliennes sont «pragmatiques» selon lui, et qu’Israël n’a pas intérêt à voir l’UNRWA s’effondrer, côté israélien son rôle est très critiqué. «Mais beaucoup de choses bougent dans la région. Nous devons rester optimistes sur la possibilité de trouver une solution. Nous devons au moins ça aux réfugié-es», conclut-il.
Relu et vérifié par Balz Rigendinger, traduit de l’allemand par Alain Meyer
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