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Les droits humains en berne à Tripoli

AFP

La Libye célèbre cette semaine les 40 ans du coup d'Etat du colonel Kadhafi. Un sombre anniversaire pour les droits humains. Au fil de son long règne, le «Guide de la révolution» a fait taire – par la mort ou la prison – ou fuir les opposants alimentant le flux de réfugiés

A l’occasion de son voyage à Tripoli en mai dernier, Micheline Calmy-Rey avait déclaré que pour la Suisse, le différend entre Berne et Tripoli était une question d’Etat de droit, alors que pour la Libye, le conflit relevait de l’honneur. Normal dit en substance l’avocat Rachid Mesli, directeur de l’ONG Al Karama pour les droits de l’homme: «La Libye est un pays de non-droit absolu.»

Hasni Abidi abonde, avec quelques nuances. «La Libye, en effet, n’a pas de constitution. Autrement dit, il n’y a pas de séparation des pouvoirs, donc pas de garantie de respect des droits de l’homme, souligne le directeur du Centre d’études et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM). Pourtant, le régime de Tripoli a adopté une bonne partie des conventions internationales relatives aux droits de l’homme.»

Dans la pratique, l’adoption de ces conventions ne s’est pas traduite par l’émergence d’espaces de liberté pour la société civile et les partis politiques.

«Il existe bien trois institutions en rapport avec les droits de l’homme – dont la Fondation Kadhafi dirigée par Seif al-Islam (l’un des fils du dirigeant libyen, partisan de l’ouverture du régime) et la Fondation Wa’atassemo dirigée Aïcha, la fille du colonel Kadhafi (bien connue en Suisse pour avoir annoncé la volonté de vengeance du clan Kadhafi, après l’arrestation à Genève de son frère Hannibal en juillet 2008, NDLR) mais elles ne sont évidemment pas indépendantes», relève Hasni Abidi.

Une opposition en exil

«Concrètement, poursuit le chercheur, la Libye est le pays arabe qui a le plus d’opposants en exil. Le seul autre pays de la région à connaitre une situation comparable était l’Irak, avant la chute de Saddam Hussein.»

La plupart de ces opposants libyens se trouvent aux Etats-Unis (Washington a un temps flirté avec cette opposition) et au Royaume Unis. «Ce qui permet au régime Kadhafi de prétendre que cette opposition est virtuelle, puisqu’elle se manifeste beaucoup sur le Net et qu’il n’y a pas un seul opposant en Libye», souligne encore Hasni Abidi.

La Suisse, elle, ne compte que quelques dizaines de réfugiés libyens, dont le médecin Idriss Aboufaied, un opposant résidant à Genève. Condamné à 25 ans de prison en 2007 pour avoir voulu organiser une manifestation pacifique, Idriss Aboufaied a pu être libéré et obtenir l’asile en Suisse pour raison médicale et suite à des pressions internationales.

La Suisse, il la connaissait déjà pour y avoir vécu près de 20 ans comme réfugié. Prisonnier de guerre au Tchad où il fut envoyé comme médecin civile suite à l’occupation de la bande d’Aozou dans le nord du Tchad par l’armée libyenne en 1973 et son annexion en 1975, Idriss Aboufaied pu se rendre en Suisse grâce à l’entremise du CICR, et obtenir l’asile politique.

Répression violente

Car Idriss Aboufaied s’était engagé dans l’opposition, alors qu’il était étudiant en médecine à Benghazi (2e ville du pays) en 1976, après une manifestation étudiante violemment réprimée par le régime dans cette ville réputée rebelle. «Depuis 1973, Kadhafi met en prison ou liquide tous les leaders de l’opposition», précise le réfugié, avant de rappeler l’une des pages les plus sombres de la répression. En 1996, plusieurs centaines de prisonniers auraient trouvé la mort dans la prison d’Abou Salim, à Tripoli.

«Les mères de ces prisonniers politiques morts ou disparus continuent de régulièrement manifester à Benghazi pour obtenir des nouvelles de leur parents», souligne Idriss Aboufaied.

Pourtant, lorsque le régime libyen annonce en 2006 une amnistie pour toute personne ayant fui le pays et n’ayant pas de sang sur les mains, Idriss Aboufaied veut croire à ce signe d’ouverture. Il décide de rentrer au pays et de reprendre son action politique pacifique, une tentative qui le conduira donc une nouvelle fois en prison.

Signe d’ouverture

De son coté, Hasni Abidi confirme les velléités d’ouverture du régime ces dernières années: «Depuis que la Libye a réintégré le concert des Nations en 2003, le régime montre des signes d’ouverture, y compris sur le front intérieur. Seif al-Islam a initié un dialogue avec les opposants islamistes ou laïques.»

Avant de souligner: «Mais les ténors de l’opposition répondent qu’en l’absence de garantie et face à l’impunité qui règne en Lybie, il est très difficile de faire confiance à ce régime. De fait, ces tentatives d’ouverture suscitent de très fortes résistances à l’intérieur du régime.»

Idriss Aboufaied, lui, continue d’être surveillé en Suisse par les sbires du régime Kadhafi. «Mais jusqu’à maintenant, le régime n’a jamais liquidé d’opposants en Suisse, alors qu’il n’a pas hésité à le faire dans plusieurs pays européen. Il faut dire que pendant des années, la Suisse était l’un des seuls pays occidentaux à accueillir à bras ouverts les officiels libyens.»

Frédéric Burnand, Genève, swissinfo.ch

«En 2007, deux requérants d’asile renvoyés de force par la Suisse ont été arrêtés à leur retour en Libye et libérés seulement après de nombreux mois de détention.

Au moins une personne, selon les informations détenues par Amnesty International, a été condamnée à plusieurs années de prison. Amnesty International n’a obtenu aucune information sur le sort des personnes renvoyées de force en 2008 et 2009.

L’organisation de défense des droits humains exige de l’Office fédéral des migrations qu’il cesse de renvoyer des requérants d’asile déboutés vers la Libye, en raison du fort risque d’arrestation. Tant que le sort des personnes renvoyées de force en Libye ces trois dernières années n’a pas été élucidé, ces renvois doivent cesser.»

La section suisse d’Amnesty International

Une cinquantaine de personnes ont manifesté vendredi sur la place des Nations à Genève leur solidarité avec les deux Suisses retenus en Libye depuis 412 jours. Elles ont aussi exprimé leur soutien aux familles.

Quelques drapeaux suisses flottant au vent, quelques élus genevois et citoyens en colère, mêlés à de nombreux journalistes: le rassemblement a été avant tout symbolique.

Citation d’un manifestant: «Comment est-ce possible que la Libye préside l’ONU [l’assemblée générale pour un an, ndlr] alors qu’elle ne respecte pas les droits de l’homme

A son avis, dans l’affaire des deux Suisses retenus à Tripoli, la Suisse aurait dû demander à l’ONU de réagir.

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