Les Etats-Unis ouvrent une brèche énorme dans le secret bancaire
La législation américaine FATCA entre en vigueur le 1er juillet. A compter de cette date, les banques du monde entier devront fournir régulièrement à Washington des renseignements sur les clients assujettis au fisc américain. Pour la Suisse, ce nouveau régime met fin de facto au secret bancaire avec les Etats-Unis.
«Nous sommes prêts», clament à l’unisson ou presque les banques et les sociétés de gestion de patrimoine helvétiques à quelques jours de l’entrée en vigueur de FATCA, cette loi qui permettra à Washington de récolter des données sur tous les capitaux détenus dans le monde par des personnes soumises à l’impôt aux Etats-Unis.
Un tel zèle aurait surpris il y a quelques années. Mais dans l’intervalle, même les défenseurs les plus acharnés du secret bancaire ont décidé de se mettre en règle. Ce sont les procédures ouvertes contre une quinzaine de banques suisses accusées d’avoir aidé des dizaines de milliers de contribuables à frauder le fisc qui en ont été le déclencheur.
La Suisse a même été l’un des premiers pays à signer un accord avec les Etats-Unis pour régler l’application de FATCA sur son territoireLien externe.
FATCA
Avec la législation Fatca (Foreign Account Tax Compliance Act), Washington entend lutter contre l’évasion fiscale de ses propres contribuables et taxer tous les capitaux détenus à l’étranger – auprès des banques, des assurances et des autres sociétés – par des personnes assujetties au fisc américain.
Les instituts financiers étrangers devront s’enregistrer auprès du fisc américain (IRS) et fournir des rapports périodiques sur les avoirs détenus par les contribuables américains. Les premiers échanges devraient avoir lieu d’ici au 30 avril 2015.
Dans une première phase, seuls les actifs qui dépassent certains montants, par exemple 50’000 dollars pour les comptes privés, devront être communiqués. Cette obligation sera ensuite étendue à tous les capitaux.
Environ 80 pays négocient ou ont déjà conclu des accords avec Washington pour régler l’application du régime FATCA. Les nouveaux standards élaborés par l’OCDE pour l’introduction de l’échange automatique d’informations au niveau mondial se basent en grandes partie sur FATCA.
Des coûts de 200 à 300 millions
Contrairement à la plupart des autres pays européens, la Confédération a opté pour le modèle 2 de l’accord. Celui-ci prévoit que ce sont les banques elles-mêmes, et non l’autorité fiscale du pays concerné, qui fournissent directement les données exigées par Washington. Pour cela, les instituts financiers doivent en premier lieu identifier tous les clients assujettis au fisc américain: les citoyens de ce pays, les détenteurs d’une «Green Card» et d’autres personnes ou sociétés domiciliées aux Etats-Unis.
Une opération à grande échelle pour la place financière suisse. «L’introduction de la législation FATCA ne revêt pas une grande importance pour de nombreux autres pays, dont les instituts financiers ont peu de clients américains ou ont déjà fourni des informations par le passé. Les banques suisses gèrent au contraire le plus important patrimoine transnational au niveau mondial», rappelle Mario Tuor, porte-parole du Secrétariat aux questions financières internationales (SFI).Lien externe
«Il s’agit d’une procédure très complexe», confirme Thomas Sutter, porte-parole de l’Association suisse des banquiers (ASB)Lien externe, qui s’attend à des coûts de l’ordre de 200 à 300 millions de francs pour les banques helvétiques. «On ne peut pas simplement presser sur un bouton pour faire ressortir les clients assujettis au fisc américain. Il faut les identifier, les contacter, expliquer de quoi il s’agit et leur demander s’ils sont disposés à transmettre leurs données».
Un puissant arsenal de sanctions
Les clients peuvent en effet refuser la livraison de leurs données. Mais ils n’échapperont pas pour autant aux mailles du filet tendues par l’IRS (Internal Revue Service), le fisc américainLien externe. Dans un tel cas, les banques sont tenues de communiquer à Washington le nombre et la valeur totale des actifs non déclarés. Pour obtenir les informations requises, l’IRA pourra déposer une demande d’assistance administrative concernant l’ensemble du groupe des clients «récalcitrants».
Une demande à laquelle Berne devra répondre, pour l’entier des cas, dans les 8 mois – fini donc le temps où les données étaient fournies au compte-goutte et après plusieurs années – et la réponse ne pourra être que positive. «L’assistance administrative sera certainement accordée lorsque les indices de violations seront évidents. Si un client refuse de faire le nécessaire, il admet ne pas être en règle avec le fisc américain», souligne Patrick Dorner, directeur de l’Association suisse des gérants de fortune (ASG).
«Avec FATCA, le secret bancaire pour les clients assujettis au fisc américain n’existe pratiquement plus», relève Thomas Sutter. Une réalité à laquelle le gouvernement et le parlement ont dû se plier. La législation prévoit en effet un puissant arsenal de sanctions contre les banques ou les clients récalcitrants, à commencer par une retenue de 30% sur tous les paiements de titres, les intérêts ou les autres revenus d’origine américaine. Les instituts financiers risquent par ailleurs d’être évincés du marché interbancaire international.
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Obligation d’annonce
Les gestionnaires de fortune, les fiduciaires, les assureurs mais aussi les grandes entreprises industrielles qui mènent d’importantes activités financières devront adhérer au programme. Toutes ces sociétés seront tenues de s’inscrire auprès de l’IRS pour éviter d’être considérées comme non coopératives.
Sur le site de l’IRS figurent déjà plus de 4000 sociétés suisses inscrites. «Nous menons depuis plusieurs mois une importante campagne d’information auprès de tous les gestionnaires de patrimoine, qui sont tenus de s’inscrire même s’ils n’ont pas de clients ou de titres américains. Si un gestionnaire ne s’enregistre pas, les banques refuseront de travailler avec lui. On ne peut pas se permettre le risque d’opérer avec des gestionnaires non conformes à FATCA», indique Patrick Dorner.
Les modèles d’accord
Le Département du trésor américain a proposé deux modèles d’accord pour l’application de FATCA.
Le modèle 1, choisi par la majorité des pays européens, se base sur le principe de l’échange automatique d’informations. Les instituts financiers annoncent tous les fonds soumis à l’impôt aux Etats-Unis à leur autorité fiscale, qui les transmet ensuite à l’IRS.
Avec le modèle 2, adopté par la Suisse, ce sont les instituts financiers qui transmettent directement les informations à Washington, à condition que les clients américains aient au préalable donné leur aval.
Les instituts financiers sont en revanche tenus de communiquer à l’IRS le nombre de comptes et le patrimoine global des clients récalcitrants. L’IRS pourra ensuite présenter une demande d’assistance administrative afin d’obtenir les informations complètes.
Un avertissement également lancé par l’Autorité fédérale de surveillance des marchés (FINMA), qui recommande à tous les instituts financiers de se conformer pleinement à leurs obligations en ce qui concerne la législation américaine, et en particulier «de ne commettre aucun acte visant à contourner FATCA». La nouvelle loi fédérale sur l’accord FATCA, qui entrera en vigueur le 30 juin, prévoit une amende maximale de 250’000 francs en cas de violations intentionnelles de ces obligations, dont celle de s’inscrire auprès de l’IRS.
Changement «logique»
Ce changement de paradigme est plutôt spectaculaire. Jusqu’il y a quelques années, les sanctions pesaient sur les instituts qui violaient le secret bancaire ou coopéraient avec les autorités étrangères. A l’heure actuelle, ce sont au contraire ceux qui ne participent pas à la transmission des données à Washington qui sont visés. Et le gouvernement veut déjà aller plus loin. D’ici l’automne, il entend ouvrir des négociations avec les Etats-Unis pour le passage du modèle 2 au modèle 1 de FATCA, qui prévoit en substance l’échange automatique d’informations entre les autorités fiscales.
Un changement considéré comme «logique» par les associations de banquiers et de gestionnaires de fortune. «Lorsqu’on a commencé à parler de FATCA, l’échange automatique d’informations était encore un tabou en Suisse. Mais désormais, il fait partie des nouveaux standards de l’OCDE, auxquels la Suisse devra également se conformer. Mieux vaut donc adopter rapidement ce modèle dans le cadre de nos relations avec les Etats-Unis», résume Patrick Dorner.
Une question reste toutefois ouverte: les Etats-Unis seront-ils prêts à fournir leurs données bancaires à la Suisse et aux autres pays soumis au régime FATCA? Jusqu’à présent, Washington ne semble pas beaucoup se préoccuper du principe
(Traduction de l’italien: Samuel Jaberg)
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