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Les intouchables brisent le mur du silence à l’ONU

Des 'intouchables' lors d'une manifestation organisée à New Delhi en 2005. Keystone

Ils sont venus par dizaines d'Inde, du Népal, du Sri Lanka, du Pakistan, du Bangladesh rompre le silence sur les 260 millions de Dalits dans le monde. Laissés pour compte de la Conférence sur le racisme, ils ont tissé de précieux liens avec les diplomates.

Ils sont 260 millions d’intouchables originaires d’Inde, du Népal, du Sri Lanka, du Pakistan, du Bangladesh à être traités comme des citoyens de seconde zone. Parmi les tâches qui leur sont attribuées, celle de ramasser à mains nues les excréments des autres. Ce sont surtout les femmes qui y sont assignées.

Pour cela, ces «impurs» n’ont pas le droit de toucher leurs compatriotes des autres castes, ni d’utiliser la même vaisselle, ni de vivre sur les mêmes lieux, ni de fréquenter les mêmes temples ou écoles, ni de s’alimenter aux mêmes sources d’eau.

Leurs représentants sont venus en force cette semaine à Genève pour briser le mur du silence. Adopté à l’unanimité mardi par les 140 pays présents à la Conférence sur le racisme de l’ONU, la Déclaration de Durban II ne contient pourtant aucune mention du système des castes. Les principales ONG, dont Human Rights Watch, la Fédération luthérienne mondiale, Pax Romana, FORUM-ASIA et d’autres dénoncent avec virulence cette mise à l’écart.

Empêchés de voter en Inde

Alors que se déroulent des élections en Inde – 250 millions de Dalits sont indiens – des observateurs rapportent que ces derniers sont empêchés de se rendre aux locaux de votes. Ce pays possède pourtant l’une des législations les plus radicales contre le système des castes.

«Mais cette mentalité est profondément ancrée dans nos sociétés et se retrouve à toutes les strates de la vie quotidienne, explique Paul Divakar, l’un des fondateurs de la Campagne nationale pour les droits des Dalits. Lorsqu’une femme intouchable est battue ou violée, la police n’intervient pas, car c’est considéré comme normal. En fait, les gens ne comprennent même pas pourquoi il y a une législation particulière concernant cette question.»

Le mouvement dalit en Inde a porté plainte à la Cour suprême contre les maltraitances à leur encontre dans les municipalités. Actuellement, une enquête nationale est en cours.

«C’est vrai que la loi interdit ces pratiques, y compris le ramassage des excréments à mains nues. Mais pour les municipalités, c’est moins coûteux d’employer des Dalits que de construire des WC publics», remarque Bezwada Wilson, fils de ramasseurs d’excréments. Et de rappeler, que l’un des fondateurs, avec Gandhi, de l’Inde indépendante est un Dalit, Bhimrao Ramji Abmbedkar.

«Il était pour l’abolition des castes dans la Constitution, raconte Wilson. Mais Gandhi, craignant un soulèvement populaire, lui a demandé d’attendre que le pays soit indépendant des Britanniques avant d’amener cette épineuse question. Puis l’histoire en a décidé autrement.»

Pour New Dehli, ce n’est pas du racisme

L’ancien rapporteur spécial de l’ONU sur le racisme Doudou Diène avait demandé, durant son mandat, à visiter l’Inde, le Pakistan et le Népal. Seule l’Inde lui a ouvert ses portes pour enquêter sur le racisme, mais pas sur les Dalits. Pour New Dehli, qui tient à gérer le problème des castes sans ingérence extérieure, cette question ne relève pas de la discrimination raciale et n’a pas à être traité à l’ONU.

«Si l’Inde reconnaît cette question à un niveau international, il faut qu’elle rende des comptes, explique Paul Divakar. C’est une boîte de pandore que le gouvernement n’est pas prêt à ouvrir.»

Renforcer leur visibilité

Les Dalits présents à Genève ne sont d’ailleurs pas dupes. Ils savaient avant même de voyager que leur cause ne ferait pas partie du texte de Durban. Pour Adrien-Claude Zoller, président de Genève pour les droits de l’homme, un organe indépendant de formation des défenseurs des droits humains, «les Dalits sont surtout venus à Genève pour renforcer leur visibilité, explique-t-il. La Conférence leur a permis de tenir de nombreux forums, de participer aux manifestations, et surtout de nouer des contacts avec des diplomates».

Et Adrien-Claude Zoller de préciser: «Nous avons reçu une demande très claire de leur part pour mieux comprendre les rouages du système international afin d’en faire le meilleur usage possible. Il s’agit d’une stratégie à long terme. Ce mouvement est très jeune (dix à quinze ans), la plupart des Dalits sont, à quelques exceptions, très pauvres et peu instruits. Mais ces dernières années, des leaders ont émergé, la cause se met à exister sur le plan international.»

Leur persévérance a d’ailleurs payé. Présents aussi lors de la première conférence à Durban, ils ont réussi à se faire entendre par le Comité de l’ONU contre la discrimination raciale qui a condamné l’Inde sur cette question en 2002.

swissinfo, Carole Vann/InfoSud

Convertis. Ils sont entre un et deux millions au Pakistan et 4,5 millions au Bengladesh. Toujours discriminés, ils sont le plus souvent convertis au christianisme ou à l’islam.

Bangladesh. «Le Bangladesh est à majorité musulmane mais ce n’est pas une république islamique, relève Zakir Hossein, intouchable de ce pays. Les lois sont basées sur des principes laïcs. Après le coup d’Etat de 1981, le régime militaire a décrété l’islam religion d’Etat, ce qui aurait dû en principe mettre fin au système des castes. Mais le texte de la constitution n’a pas changé.»

Prise de conscience. «Pour se protéger, les intouchables chez nous préfèrent se définir par leurs métiers – pêcheurs ou coiffeurs», raconte-t-il. Zakir Hossein, l’un des seuls Dalits de son pays diplômé en droit, est l’une des rares personnes qui s’est affirmé par son identité d’intouchable très tôt. «Cette revendication a longtemps été mal acceptée. On m’accusait d’importer le concept d’Inde, d’en faire une affaire politique. C’est suite à la conférence de Durban 1, lors de la rencontre internationale sur les droits de l’homme et les Dalits qui s’est tenue à New Dehli en 2002 qu’une réelle prise de conscience est née au Bangladesh.

Plate-forme. Ce n’est qu’en 2008 qu’une plate-forme nationale a été créée permettant à cette question d’être débattue. «Nous recevons beaucoup de propositions d’aide au développement de gouvernements et d’ONG. Mais nous tenons à ce que la question de la discrimination soit résolue en priorité et non qu’elle soit noyée par une aide au développement.»

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