Paris veut taxer les exilés fiscaux
Depuis quelques semaines, l’exil fiscal, en Suisse notamment, tente un nombre croissant de contribuables français. Faute de pouvoir les retenir, le Président Sarkozy veut les taxer. Une simple promesse de campagne?
Nicolas Sarkozy part en campagne contre l’exil fiscal. Lundi soir sur la chaîne TF1, le président français a proposé un «impôt lié à la nationalité». Toute personne partie à l’étranger dans le seul but d’échapper au fisc devra déclarer à l’administration française ce qu’il a payé comme impôt à l’étranger. «Si c’est inférieur à ce qu’il aurait payé en France, on lui fera payer la différence», a-t-il expliqué.
Pour Sarkozy, c’est une question de «morale». «L’argent ne permet pas tout, ne justifie pas tout», estime le président-candidat. Cet impôt s’appliquerait aux revenus du capital. Concerne-t-il tous les expatriés? «Non. Le président a bien fait le distinguo entre les Français envoyés à l’étranger par leur entreprise et les exilés fiscaux», note Claudine Schmid, candidate du parti UMP pour représenter les Français de Suisse à l’Assemblée nationale.
Les Américains le font depuis 150 ans
L’idée de taxer les exilés fiscaux germe depuis quelques années. C’est le socialiste Dominique Strauss-Kahn qui a formulé ce projet en 2007, juste avant de partir à Washington diriger le Fond monétaire international (FMI). Jérôme Cahuzac, le très influent président socialiste de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale, l’a repris en 2010. Sa «contribution de solidarité» consistait à taxer les exilés fiscaux, du moins ceux dont les revenus annuels dépassent 200’000 euros.
Le principe s’inspire clairement du modèle américain: Washington impose en effet les citoyens américains où qu’ils se trouvent sur la planète. «Taxer les expatriés impliquerait de renégocier les quelque 120 conventions fiscales conclues par la France avec des Etats étrangers, remarque Eric Ginter, avocat à l’étude parisienne STC Partners. Une tâche énorme. Les Etats-Unis, qui appliquent ce principe depuis la Guerre de Sécession, disposent d’une expérience et d’un arsenal administratif considérable. Cela ne s’improvise pas.»
La question de l’exil fiscal agite la campagne électorale, mais les solutions proposées sont très difficiles à mettre en place. Le candidat socialiste François Hollande a lancé un «appel au patriotisme» aux exilés fiscaux, tout en proposant d’imposer à 75% les revenus dépassant un million d’euros… Plus à gauche, le candidat soutenu par le parti communiste, Jean-Luc Mélenchon, ne ménage pas les exilés fiscaux. «Vous payerez à la France la différence d’impôts que vous comptiez économiser», menace-t-il.
La taxe de sortie
L’an dernier, pour renflouer les caisses de l’Etat, le président Nicolas Sarkozy lançait l’«exit tax», un impôt visant les exilés fiscaux. Les contribuables ayant quitté la France depuis mars 2011 doivent payer, au moment du départ, une taxe de 19% sur les plus-values résultant de la cession (effective ou potentielle) de leurs participations dans des entreprises françaises.
But de cette «exit tax»: endiguer les délocalisations fiscales tout en rapportant à l’Etat quelque 200 millions d’euros par an.
Or, un an plus tard, le système n’est toujours pas en place. Le décret d’application permettant son entrée en vigueur n’a pas encore été publié. Pourquoi cette extrême lenteur de l’administration française? En 1999 déjà, le ministère des finances, alors dirigé par Dominique Strauss-Kahn, avait concocté une taxe du même genre. Un échec cuisant: attaqué devant la Cour de Justice européenne (CJUE), le dispositif était finalement annulé. «Cette taxe était contraire aux principes de libre circulation dans l’Union européenne», pointe Me Ginter, qui a mené le combat devant la CJUE.
La nouvelle exit tax semble plus habile. Mais son impact sur les contribuables tentés par l’exil est incertain. «L’exit tax peut être, en période normale, un frein à l’expatriation fiscale, remarque Pierre Dedieu, avocat spécialisé en fiscalité internationale chez CMS Bureau Francis Lefebvre. Mais aujourd’hui, l’envie de partir l’emporte sur ces contraintes, du moins chez certains contribuables.»
Depuis un mois, on observe des velléités très fortes de départ, vers la Suisse notamment, ajoute Me Dedieu. «Si la proposition de nouvelle tranche d’imposition à 75% faite par le candidat socialiste François Hollande voyait le jour, les dégâts pourraient être considérables: des individus pourraient partir, mais aussi des sièges de groupes, français ou étrangers.»
Les forfaits fiscaux accordés à de riches étrangers n’ayant pas d’activité lucrative en Suisse font couler beaucoup d’encre. Toute une série de votes ont eu lieu ces dernières années à l’échelon cantonal.
Dimanche dernier, les citoyens d’Appenzell Rhodes-Extérieures ont décidé de supprimer purement et simplement ces forfaits, qui sont basés sur des critères de dépenses. Ils ont suivi l’exemple des cantons de Zurich et de Schaffhouse. Moins radicaux, les citoyens de Lucerne en ont durci les conditions d’octroi, un pas déjà franchi à St-Gall et en Thurgovie.
A Lucerne, 160 personnes sont actuellement au bénéfice d’un forfait. Elles paient ensemble environ 14 millions d’impôt par année. Avec la nouvelle législation, le nombre de bénéficiaires devrait tomber à 25.
(source: ats)
Le sujet est également débattu aux Chambres fédérales. La semaine dernière, le Conseil des Etats (Chambre haute) a défendu ce système qui bénéficie à quelque 5000 personnes au plan suisse (668 millions de francs de recettes annuelles aux communes, aux cantons et à la Confédération) . Il a néanmoins lui aussi serré la vis au niveau des critères d’octroi.
A l’avenir, la dépense minimale prise en compte dans le cadre des impôts cantonal et fédéral devrait s’élever à sept fois le loyer ou la valeur locative du logement, au lieu de cinq actuellement.
La question risque d’être plus controversée au Conseil national (Chambre basse). Et La Gauche a lancé une initiative populaire fédérale pour supprimer les forfaits fiscaux.
(source: ats)
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