L’impact sur la Suisse de la présidence hors-norme de Donald Trump
Alors que Donald Trump quitte la Maison-Blanche, SWI swissinfo.ch revisite les quatre années tumultueuses de sa présidence et évalue leurs conséquences sur les relations entre les États-Unis et la Suisse.
En novembre 2016 est proclamé élu à la présidence américaine le candidat républicain Donald Trump, qui avait largement fait campagne avec des slogans populistes et protectionnistes. Le ministre suisse des Affaires étrangères de l’époque, Didier Burkhalter, avait alors tenté de rassurer la population en soutenant que les relations avec la première puissance économique mondiale allaient rester inchangées. «La Suisse peut travailler avec n’importe quelle administration américaine», avait-il alors affirmé.
Les quatre années qui ont suivi n’ont cessé de mettre à mal ce principe, Donald Trump défendant une politique étrangère souvent défavorable aux traditionnels alliés des États-Unis. Il a notamment incité à des guerres commerciales, a retiré son pays d’organisations internationales et attaqué les fondements du processus électoral américain.
L’ambassadeur américain en Suisse, Edward McMullen, a toutefois déclaréLien externe en ce début d’année que les deux nations avaient pu approfondir leurs relations «de manière historique». SWI swissinfo.ch tente de faire le bilan de ces quatre dernières années.
America First
La relation entre les deux pays a surtout tourné autour d’aspects économiques, puisque les États-Unis sont le deuxième partenaire commercial principal de la Confédération après l’Union européenne. Les exportations outre-Atlantique étaient déjà en plein essor avant l’entrée en fonction de Donald Trump et elles ont continué de croître.
«Les relations commerciales ont été excellentes», soutient l’élue libérale-radicale (PLR, droite libérale) Christa Markwalder, membre de la commission de politique extérieure de la Chambre basse du Parlement suisse. Les exportations vers les États-Unis ont atteint 44 milliards de francs en 2019 et la Confédération était le sixième plus grand investisseur étranger.
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Avec un président et un ambassadeur à Berne tous deux favorables aux affaires, la Suisse a fait preuve d’un certain optimisme au début du mandat de Donald Trump. Les autorités et les politiciens espéraient parvenir enfin à conclure un accord de libre-échange avec la Maison-Blanche, alors que le sujet n’avait pas réellement pu être abordé sous la présidence de Barack Obama.
Le bilan est plutôt décevant: bien que Donald Trump et Edward McMullen aient exprimé leur intérêt pour la négociation d’un traité, leurs priorités se sont focalisées sur d’autres États, notamment la Chine, le Canada, le Mexique et l’Union européenne.
«Vu que la Suisse n’était pas prête à faire d’importantes concessions sur le commerce des biens agricoles, les États-Unis n’avaient pas grand-chose à gagner avec un accord de libre-échange», explique Stefan Legge, chercheur et professeur d’économie à l’Université de Saint-Gall.
L’administration Trump avait également d’autres priorités pour son économie: «America First», soutenir d’abord l’industrie nationale. En 2018, le gouvernement américain a initié une série de mesures protectionnistes, notamment en réintroduisant des taxes douanières sur les importations d’acier et d’aluminium. La Suisse a tenté d’être exemptée de ce tour de vis, mais elle a échoué.
Toutefois, les conséquences ont été moindres, vu que la Confédération exporte peu de ces matériaux aux États-Unis, observe Stefan Legge.
L’une des cibles principales visées par ce renforcement des tarifs douaniers était la Chine. La guerre commerciale qui s’est jouée entre les deux superpuissances a indirectement affecté la Suisse, estime Christa Markwalder. «La croissance du protectionnisme est un mauvais signe pour une économie comme celle de la Suisse», indique la politicienne, car sa santé dépend d’un système ouvert et régulé.
L’administration Trump a mis à l’épreuve les règlements internationaux avec sa politique tarifaire agressive et sa multiplication des dossiers juridiques en attente auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
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Cultures politiques divergentes
La sauvegarde prioritaire des intérêts américains a provoqué des remous au niveau de la coopération internationale. Les États-Unis se sont retirés de l’Accord de Paris sur le climat, du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies et d’autres organisations, ce qui a beaucoup déçu en Suisse où le multilatéralisme est la pierre angulaire de la politique étrangère. Ces décisions ont aussi provoqué un séisme à Genève, qui abrite le siège de nombreuses organisations internationales.
«Le retrait de l’Accord de Paris est vraiment catastrophique pour l’ensemble de l’effort multilatéral, car nous avons besoin de la participation des gros producteurs de CO2 pour que cela fonctionne», regrette Christa Markwalder.
Le gouvernement suisse a bien tenté d’en toucher un mot à Donald Trump lors d’un entretien bilatéral en marge du Forum économique de Davos en 2020 (WEG), mais ses propos ont été accueillis avec indifférence par le président américain.
Aborder le sujet «n’a pas été très productif, car tout le monde sait quelle est la position de Donald Trump», avait alors réagi Edward McMullen, en faisant référence aux fréquentes affirmations climato-sceptiques du président.
«La culture politique sous l’ère Trump différait totalement de celle de la Suisse», confirme Christa Markwalder. Alors que les sept membres du Conseil fédéral gouvernent par consensus, le président américain s’est contenté de signer seul des séries de décrets exigeant le retrait de son pays des institutions internationales.
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Bons offices très sollicités
Sur des aspects sécuritaires, Donald Trump a également entrepris des actions unilatérales risquées. En 2018, il s’est retiré de l’accord sur le programme nucléaire iranien signé par son prédécesseur Barack Obama et a de nouveau imposé des sanctions à Téhéran.
Cette manœuvre a occupé la Suisse et ses bons offices, qui assurent la représentation des intérêts américains en Iran depuis 1980. La Confédération a reçu les louanges de l’administration Trump pour avoir permis la libération de deux Américains retenus dans la République islamique.
Mais la tension est remontée d’un cran en janvier 2020, lorsqu’un haut gradé de l’armée iranienne, le commandant Qassem Soleimani, a été tué lors d’un raid américain. Les diplomates suisses se sont activés pour maintenir les canaux de communication entre l’Iran et les États-Unis.
Un effort qui a été apprécié de l’administration Trump, signale Christa Markwalder, qui précise que le mandat de puissance protectrice de la Suisse en Iran permet à la Confédération d’avoir un accès privilégié avec des personnages haut placés au sein du gouvernement américain.
Les échanges entre les deux pays ont été particulièrement intenses ces quatre dernières années. En 2019, le président de la Confédération Ueli Maurer a été convié à rendre visite à Donald Trump à la Maison-Blanche pour un échange bilatéral dans le bureau ovale, une première pour un dirigeant suisse. Le Conseil fédéral a aussi pu s’entretenir à plusieurs reprises avec le président américain ou de hauts fonctionnaires, comme lors des deux déplacements de Donald Trump à Davos pour le Forum économique mondial ou lors de la visite en Suisse du Secrétaire d’État, Mike Pompeo.
«Ces rencontres illustrent bien les excellentes relations bilatérales entre les deux pays, analyse Pierre-Alain Eltschinger, porte-parole au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Elles nous permettent d’avoir un échange direct, ouvert et honnête avec les États-Unis, même sur des questions sensibles.»
Christa Markwalder estime que c’est l’ambassadeur américain, un ami personnel de Donald Trump, qui a permis d’ouvrir ces portes. «Nous avons eu de la chance qu’Edward McMullen ait eu des liens aussi étroits avec le président», reconnaît la parlementaire.
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Tensions internes
Les actions de Donald Trump dans son propre pays ont ouvert les yeux de nombreux observateurs à l’étranger, qui ont découvert les profondes divisions sociales, raciales et idéologiques des États-Unis. Le président n’a condamné ni les agissements des suprémacistes blancs ni les violences policières à l’encontre des Afro-Américains, ce qui a provoqué un soulèvement populaire majeure et conduit à de nombreuses manifestations dans tout le pays. Son refus de reconnaître la légitimité du processus électoral et la victoire de son rival Joe Biden a conduit à l’invasion violente du Capitole le 6 janvier à Washington.
«C’était vraiment choquant, réagit Christa Markwalder. La Suisse est un pays qui tente de réunir différentes cultures et différentes religions, la cohésion nationale est essentielle. Ce que nous avons vu aux États-Unis ces quatre dernières années est une division profonde de la société, avec comme point culminant l’attaque du Capitole.»
La parlementaire considère que la Suisse et l’Amérique ont de nombreuses valeurs communes, comme les droits humains, les libertés démocratiques et l’importance de l’État de droit. «On se surnomme les ‘républiques sœurs’, car nous sommes deux démocraties ininterrompues et cela nous donne une base commune.»
Un socle qui a été ébranlé par la présidence de Donald Trump. Mais le gouvernement suisse a exprimé sa foi en la démocratie américaine. Bien que Joe Biden doive désormais relever de nombreux défis intérieurs urgents, Christa Markwalder pense que son expérience en matière de politique étrangère le fera également se tourner vers l’extérieur. Le nouveau président sait que si son pays ne joue pas le rôle de leader sur la scène internationale, la Chine prendra sa place, est convaincue la parlementaire. «Je suis très optimiste quant au renforcement mondial du multilatéralisme et du statut des États-Unis.»
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