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Saisonnier, un statut qui renaît de ses cendres

Le secteur de la construction a fait appel à de nombreux saisonniers jusqu'en 2002. Keystone

Réintroduire le statut de saisonnier pour mieux contrôler l’immigration et permettre dans le même temps à certains secteurs économiques de disposer de la main-d’œuvre nécessaire: c’est ce que propose l’Union démocratique du centre dans le cadre de son initiative «Contre l’immigration de masse». Une perspective qui fait froid dans le dos à ceux qui ont vécu cette réalité.

«Pour des secteurs comme la construction ou l’agriculture, nous devrions réintroduire le statut de saisonnier. C’était un très bon système. Malheureusement, la politique l’a d’abord affaibli, puis supprimé. Avec notre initiative, il n’y aurait aucune garantie d’installation, de regroupement familial ou de prise en charge par l’assurance chômage.» Avec ses déclarations faites dans des interviews accordés à la NZZ am Sonntag et au Temps, entre fin novembre et début janvier, le président de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) Toni Brunner a remis au goût du jour une pratique qui semblait désormais appartenir à l’histoire.

Instauré au début des années 1930, ce statut prévoyait – comme son nom l’indique – un séjour limité à la durée de la saison de travail. Mais ce n’était pas la seule particularité de ce que l’on appelait le «permis A»: les prestations des assurances sociales étaient réduites, les travailleurs ne pouvaient changer ni d’employeur ni de lieu de domicile au cours de leur séjour et le regroupement familial était interdit.

Pour faire face à l’essor économique de l’Après-Guerre, la Suisse a eu largement recours à cette main-d’œuvre saisonnière. De 1945 à 2002, date où le statut de saisonnier a été aboli, la Suisse a accordé plus de 6 millions de permis A.

Luciano Turla, que nous rencontrons à la Casa d’Italia de Bienne, fronce les sourcils quand nous lui mentionnons les propositions de Toni Brunner. Aujourd’hui à la retraite, cet ancien maçon et chef de chantier originaire de la province de Brescia est arrivé pour la première fois en Suisse en 1960, à l’âge de 16 ans. Comme saisonnier, justement.

Le statut de saisonnier, institué par la Loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers de 1931, s’inscrit dans une politique migratoire globale visant à garantir la flexibilité nécessaire aux besoins de l’économie et à lutter contre la «surpopulation étrangère».

Les secteurs de la construction, de l’hôtellerie-restauration et de l’agriculture ont tout particulièrement eu recours à la main-d’œuvre saisonnière.

Les autorités ont introduit un taux maximal de saisonniers par canton en 1963, afin de limiter l’afflux de main-d’œuvre étrangère.

Parmi les étrangers actifs, la proportion des saisonniers tend à diminuer au fil du temps: 26,5% en 1957, 19,7% en 1967, 10,3% en 1977, 13,9% en 1987. En 1967, leur nombre est de 153’510 (dont 83,3% Italiens); il chute en 1977 à 67’280 (37% Italiens, 26,8% Yougoslaves, 23,3% Espagnols) pour remonter en 1987 à 114’640 (30,3% Yougoslaves, 28,1% Portugais). En 1997, ils n’étaient plus que 28’000.

La suppression du statut de saisonnier, précaire et à l’origine d’abus, a pourtant peiné à trouver des défenseurs, y compris à gauche. En 1981, l’initiative «Etre solidaires» est massivement rejetée en votation (83,3%).

En 2002, l’entrée en vigueur de l’accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE abolit le statut de saisonnier.

 

Source: Dictionnaire historique de la Suisse

Sous-prolétariat des Trente Glorieuses

Alors, un «très bon» système? Etre saisonnier, rappelle Luciano Turla, signifiait n’avoir pratiquement aucune protection sociale. «Tant qu’on avait besoin de main-d’œuvre, on nous gardait. Mais dès qu’on n’en avait plus besoin, c’était loin avec un coup de pied au cul. Si on était licencié, il fallait retourner en Italie, où on n’avait pas droit à l’assurance chômage, où on n’avait droit à rien», se souvient-il.

Vers la fin de la saison, qui dans la construction se terminait généralement début décembre, les ouvriers pouvaient facilement être renvoyés à la maison avec un préavis de quelques jours, si les conditions météo ne permettaient plus de travailler ou, lorsque la saison aurait dû reprendre, les employeurs pouvaient décider pour la même raison de retarder de quelques semaines l’envoi du contrat sans lequel il était impossible de rentrer en Suisse.

«Les premiers temps comme saisonnier ont été plutôt durs, déclare Luciano Turla. Les deux premières années, quand je travaillais à La Neuveville [à quelques kilomètres de Bienne, dans le canton de Berne], j’avais une chambre dans une vieille maison. En hiver, il y faisait un froid de canard et en été, il y régnait une telle humidité…»

Contrairement à beaucoup de ses compatriotes, Luciano Turla a eu la chance de ne pas devoir vivre dans des baraques où étaient souvent entassés les ouvriers italiens. «Durant la saison 1963, j’ai été engagé par une entreprise de Nidau qui venait tout juste de construire un logement pour les ouvriers. C’était un luxe. Nous avions des chambres de trois personnes. Il y avait des douches et une cantine.»

«A Nidau, poursuit-il, le patron nous traitait bien. Du reste, j’ai travaillé 25 ans pour cette entreprise. Avec les gens du lieu, c’était une autre histoire. A l’époque des initiatives Schwarzenbach [initiatives populaires des années 1970 contre la surpopulation étrangère], on en a entendu de toutes les couleurs. Quand on sortait, on ne pouvait aller que dans les restaurants italiens où il y avait des Italiens. On ne pouvait pratiquement pas entrer dans les restaurants suisses; on nous fusillait du regard.»

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Ce contenu a été publié sur Les visages de quelques uns de ces étrangers de Suisse. (Toutes les photos Keystone)

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Administration kafkaïenne

Ce qui a marqué des générations de saisonniers, ce sont surtout les problèmes administratifs auxquels ils étaient confrontés. «En 1965, je suis rentré en Italie pour faire mon service militaire et je suis revenu en Suisse en avril 1966, toujours comme saisonnier. En 1968, j’ai épousé une jeune fille italienne qui avait le permis d’établissement. En octobre, nous avons eu un enfant. Ma belle-mère voulait que je puisse rester au moins pour les vacances de Noël. J’ai écrit à Berne et on m’a répondu que je pouvais rester seulement jusqu’au 23 décembre. J’ai ainsi dû rentrer en Italie, avant de revenir en janvier, d’abord comme touriste, puis comme saisonnier», raconte encore Luciano Turla.

En 1970, il obtient le très convoité permis B, une autorisation de séjour annuelle qui donne droit, notamment, aux assurances sociales et au regroupement familial. «Dès lors, les choses sont allées mieux, c’était plus facile», souligne-t-il.

D’origine portugaise, Cristiana Inacio Denti a de son côté vécu loin de son père jusqu’à l’âge de 9 ans. En tant que saisonnier, celui-ci ne pouvait en effet pas emmener sa famille en Suisse. «Il est arrivé à Genève en 1970. Il avait 35 ans et déjà une bonne expérience de maçon, mais il a dû commencer comme simple manœuvre. Pour avoir un permis B, il fallait travailler quatre saisons consécutives [cinq jusqu’au début des années 1970]. C’était très compliqué. Il suffisait de perdre quelques jours, par exemple, si l’entreprise vous licenciait avant la fin de la saison, pour que tout le solde des saisons cumulées tombe à l’eau. Il y avait une telle peur de perdre ne serait-ce qu’un seul jour que mon père allait travailler même quand il était malade, ce qui une fois lui a valu une hospitalisation pour une pneumonie», raconte-t-elle.

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Vie de clandestin

En 1982, il réussit finalement à totaliser quatre saisons consécutives. «Il nous a fait venir en octobre, poursuit sa fille. Il pensait que ce serait facile. Mais il ne suffisait pas d’avoir le permis B. Il y avait toute une série d’autres conditions, parmi lesquelles celle d’avoir un logement adéquat avec au maximum deux enfants du même sexe par chambre. Or nous étions six frères et sœurs et mon père vivait dans un petit appartement. Déjà à l’époque, il était très difficile de trouver à Genève un logement assez grand pour une famille.»

Du coup, Cristina et sa famille vivent plus d’un an dans la clandestinité. «Pour éviter les contrôles, nous devions sortir le matin et aller chez des amis. Nous devions nous faire remarquer le moins possible, jouer en silence. Je me souviens encore que mon père nous grondait si nous faisions le moindre bruit.» En novembre 1983, le père réussit finalement à trouver un appartement plus grand, mais pas encore suffisamment pour déclarer tous les membres de la famille. «L’un de mes frères n’a pu être régularisé que plus tard», explique-t-elle.

Cette période difficile n’a pas été sans laisser de traumatisme, relève Cristina Inacio Denti. Aujourd’hui âgée de 40 ans et institutrice, elle a précisément consacré son travail de diplôme universitaire au thème de l’immigration portugaise. «Par la suite, quand j’étais jeune, j’ai toujours cherché à me faire discrète, dans un certain sens, à me taire. De très nombreuses personnes ont vécu la même chose, ce qui montre à quel point nous avons intégré cette expérience. Aujourd’hui, quand j’observe les enfants de ma sœur, je me rends compte qu’ils commencent à se sentir comme faisant partie de la société suisse. Il nous a fallu trois générations», relève-t-elle.

Quand nous lui indiquons qu’il y a aujourd’hui des gens qui aimeraient réintroduire ce statut de saisonnier, cela lui donne la chair de poule. «Si les conditions étaient les mêmes, je pense que cela serait contraire aux droits de l’homme et aux droits de l’enfant, note-t-elle. Cela signifierait faire retourner certaines catégories de travailleurs dans une précarité terrible.»

(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)

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