Un scrutin pour mettre fin à la crise ivoirienne
Les Ivoiriens sont appelés à élire leur président le 31 octobre prochain. Déjà reporté à six reprises, ce scrutin suscite de grands espoirs dans un pays en crise depuis le coup d’Etat de 1999. Regards croisés des représentants sud-coréen et suisse de l’ONU.
«Finalement, on a une date pour les élections présidentielles renvoyées de nombreuses fois», constate Choi Young-Jin, le chef de la mission des Nations unies en Côte d’Ivoire, lors d’une conférence à l’Ecole de maintien de la paix de Bamako (EMP). Le Sud-Coréen se montre résolument optimiste. Selon lui, «la date du 31 octobre pour le premier tour est faisable, car les trois candidats sont impliqués dans le processus. La vraie question est l’après 31 octobre».
Pour faire face à ce défi, l’ONUCI (Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire) n’a pas lésiné sur les moyens, avec plus 10’000 hommes et femmes sur place et un budget annuel de 500 millions de dollars (479 millions de CHF). Plus de 60’000 agents électoraux ont été formés et onze millions de cartes électorales sont en voie de distribution.
Violences postélectorales
De part et d’autres, les espoirs sont grands que ces élections mettent fin à la crise ivoirienne qui perdure depuis le coup d’Etat du 24 décembre 1999, qui a renversé Henri Konan Bédié. Lors des présidentielles d’octobre 2000, le chef de la junte, le général Robert Gueï, est battu par l’actuel président Laurent Gbagbo, mais il refuse de reconnaître le résultat. Il devra toutefois quitter le pouvoir après des violences postélectorales qui font plusieurs centaines de morts.
En septembre 2002, une rébellion prend les armes dans le nord du pays et tente de renverser le président Gbagbo. Cinq ans plus tard, en mars 2007, un accord de paix est signé à Ouagadougou, grâce à la médiation du président burkinabé Blaise Compaoré. Le peuple ivoirien attend les élections depuis octobre 2005, date à laquelle le mandat présidentiel est officiellement arrivé à terme. La raison invoquée pour les nombreux reports de scrutin est l’invalidité des listes électorales.
Aujourd’hui, le président en exercice Gbagbo et l’ancien président renversé Konan Bédié (au pouvoir de 1993 à 1999) s’affrontent par les urnes. Le troisième candidat, Alassane Ouattara, fut premier ministre de 1990 à 1993. Trois poids lourds de la politique ivoirienne.
Reconstituer les fichiers d’état civil
«Ces dernières années, tout le monde a trouvé son intérêt dans le statu quo, mais on se rapproche des élections», estime Gérard Stoudmann, ancien Haut représentant de l’ONU pour les élections en Côte d’Ivoire de 2006 à 2007. L’ambassadeur suisse a été «remercié» et son poste supprimé en juillet 2007, suite à des pressions du président ivoirien, qui avait du mal à accepter ce mandat de supervision tel que défini dans la résolution 1721 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Le diplomate suisse explique que la Côte d’Ivoire a un problème particulier, car beaucoup de documents ont été détruits lors de la rébellion de 2002, où les Forces nouvelles (FN) ont mis à sac un grand nombre de préfectures et de mairies dans le nord du pays.
Alors que l’administration ivoirienne était très avancée comparée à d’autres pays africains, il a fallu reconstituer ces fichiers d’état civil. «J’ai participé au lancement des premières audiences foraines en mai 2006, qui visaient particulièrement à reconstruire les listes électorales, complètement dépassées.»
Fraude difficile
Choi Young-Jin, qui représente l’ONU en Côte d’Ivoire depuis octobre 2007, estime que «la fraude sera très difficile, car la liste électorale est très solide». De plus, la Commission électorale indépendante (CEI) est unique, car les trois quarts de ses membres sont de l’opposition.
Dans des situations de sortie de crise, une CEI multipartite est très importante, souligne aussi Gérard Stoudmann. Car il y a beaucoup de méfiance et si tous les partis peuvent s’observer mutuellement, les chances d’acceptation des résultats augmentent. Pour le diplomate suisse, la période postélectorale est la plus sensible, surtout après le deuxième tour.
Résultats et risques
Pour le Sud-Coréen, responsable de valider les résultats des urnes, le test crucial sera après la proclamation des résultats du premier tour par la CEI, le 10 novembre. Leur contestation par l’un des candidats pourrait conduire au report du deuxième tour prévu le 28 novembre, avec un risque de débordements et de violence. Mais ce scénario n’est pas le plus vraisemblable. Il est confiant dans le fait que ses troupes sauront maîtriser la situation en cas de protestations et d’allégations de fraude.
Outre les forces de l’ONUCI (supérieures à 10’000), plus de 350 observateurs internationaux, dont ceux de l’Union européenne, sont attendus sur place. Et plus de 10’000 observateurs nationaux seront déployés dans l’ensemble du pays.
Francophone. Né en 1948, de nationalité sud-coréenne, M. Choi a étudié la médecine à Séoul et les relations internationales à Paris et parle couramment le français.
Ce diplomate de carrière a été en poste à Dakar, Paris, Tunis et Washington D.C., avant d’être nommé Ambassadeur à Vienne, Représentant permanent à New York, et Vice-ministre des affaires étrangères à Séoul.
Aux Nations-Unies, il a occupé le poste de sous-secrétaire général au Département des opérations de maintien de la paix (1998-2000). Le 18 octobre 2007, il est nommé Représentant spécial de l’ONU pour la Côte d’Ivoire et chef de l’ONUCI.
Suisse. Né le 23 novembre 1951, Gérard Stoudmann a étudié le droit à l’Université de Lausanne et les relations internationales à l’Institut des études internationales de Genève.
En 1997, il est nommé ambassadeur et élu Directeur du Bureau de l’OSCE chargé des institutions démocratiques et des droits de l’homme à Varsovie. Dès 2003, il devient directeur du Centre de politique de sécurité à Genève.
ONU. De 2006 à 2007, il occupe le poste de Haut représentant de l’ONU pour les élections en Côte d’Ivoire. Le 20 novembre 2009, il est nommé Représentant spécial pour le développement et la réforme du Conseil de l’Europe.
Centre d’excellence. L’Ecole de maintien de la paix (EMP) a été ouverte en 1999 en Côte d’Ivoire, avant d’être transférée en 2007 à Bamako, au Mali, à cause des troubles récurrents en Côte d’Ivoire. C’est le seul centre d’excellence dans ce domaine en Afrique francophone. L’EMP forme 800 stagiaires par an aux opérations de maintien de la paix. En 2009, ces stagiaires, principalement des militaires, provenaient de 40 pays africains.
Argent. Aujourd’hui, 80% des ressources de maintien de la paix des Nations unies, soit 6,7 sur 8 milliards de dollars, sont dépensées en Afrique. Et 60% des opérations se déroulent en Afrique francophone, mais 75% des troupes sont anglophones.
Suisse. L’EMP est soutenue par onze pays, dont la Suisse, et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO). Le soutien suisse se monte à plus de 300’000 francs par an, en plus de sa participation de 300’000 euros à la construction du centre de formation.
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