Un tournant dans l’hébergement des requérants d’asile
Les demandes d'asile ont tellement explosé qu’il n’y a plus de place et qu’il a fallu augmenter les lieux d’accueil, forçant le gouvernement fédéral à revoir sa politique. L’exemple d’une commune qui a trouvé des solutions simples pour ses hôtes provisoires et d’une autre qui se tâte encore.
«Parfois, on se fait une opinion avant de disposer de toutes les informations», constate Doris Bucheli, présidente du Conseil municipal de Wünnewil, dans le canton de Fribourg, où un centre d’accueil pour requérants est sur le point de fermer ses portes au terme de son contrat d’un an. «Nous avons pensé, ces gens sont ici, nous devons accepter ce défi et essayer de faire au mieux.»
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L’asile en chiffres
Des membres de la commune avaient exprimé les craintes habituelles – criminalité potentielle, désordre et incertitude – en apprenant, en février 2012, qu’un centre d’hébergement allait s’ouvrir à proximité. Selon Doris Bucheli, les premières discussions ont été chaudes et «si la commune avait dû voter, cela n’aurait pas passé».
Mais après avoir hébergé environ 55 demandeurs d’asile dans l’abri de la caserne des pompiers pendant treize mois, les parties concernés de Wünnewil ont considéré que leur effort a été «un succès» et qu’il y a eu beaucoup d’échanges positifs entre requérants et membres de la commune.
A l’Office fédéral de la migration (ODM), Michael Glauser affirme que le besoin de logements pour les requérants d’asile est si aigu qu’on envisage de construire des centres plus grands pour répondre à tous les besoins, même si les «mesures d’aide d’urgence» mises en œuvre en automne 2012 risquent d’être abolies lors d’une votation en juin prochain et que le coût final est encore hypothétique.
Les nouveaux centres sont destinés à accueillir sous un même toit et à couvrir les besoins de plusieurs centaines de requérants d’asile, avec traducteurs et avocats, afin de rationaliser et d’accélérer le processus de décision. Le premier centre de ce type, prévu pour loger jusqu’à 500 personnes, devrait être construit à Zurich. L’ODM pourrait construire de nouveaux centres même sans l’accord formel des cantons concernés.
Autres «mesures d’urgence» sur lesquelles les citoyens suisses doivent voter en juin prochain:
– Création de centres spéciaux de détention pour les requérants difficiles.
– Les requérants ne peuvent plus déposer leur demande auprès des ambassades suisses à l’étranger.
– Les objecteurs de conscience et les déserteurs ne sont plus acceptés automatiquement.
«Les petites sources de joie»
«Je garde le souvenir du soutien des gens de Wünnewil», déclare Tenzin, un Tibétain qui a vécu plusieurs mois au centre. «Une femme nous a emmenés visiter une chocolaterie à ses frais. Les gens d’ici sont vraiment chaleureux, gentils et attentionnés». Tenzin, qui réside maintenant dans un autre centre d’hébergement, ajoute que «les petites joies» offertes par les citoyens du village fribourgeois lui manquent.
Un de ces derniers, Ross Bennie, raconte comment il a emmené quelques requérants faire un tour dans sa voiture de sport, après avoir remarqué leur intérêt.
Selon Doris Bucheli, ces échanges ont été facilités par des séances d’information organisées par la commune ainsi que la formation d’un groupe de liaison entre le centre d’hébergement et les habitants du village. Groupe qui a écouté et transmis les préoccupations des uns et des autres, mais qui a aussi organisé des activités comme une journée portes ouvertes, des sorties en luge et des fêtes pendant les vacances.
«Petit à petit, tout le monde s’est aperçu que tout se passait généralement très bien, relève la syndique de Wünnewil. Il y a bien eu quelques pépins, comme le cambriolage du magasin d’alimentation. Il n’est pas question de voir les choses en rose mais les gens ont compris, ils se sont dit: ‘bon, ils sont là, ils circulent dans notre village, mais ils ne font pas de mal’».
Trouver de la place
Michel Jungo, secrétaire communal et responsable du centre d’hébergement de Wünnewil, admet que l’abri souterrain de la protection civile n’est absolument pas idéal, surtout en hiver, quand ses occupants ne pouvaient pas se tenir à l’extérieur. Mais c’est la seule solution pour les cantons qui doivent trouver d’urgence des logements pour les demandeurs d’asile supplémentaires sur demande de la Confédération, ce qui a été le cas à Wünnewil.
Cherchant à accélérer les procédures, les autorités fédérales entendent cependant éviter de transférer un certain nombre de requérants dans les centres cantonaux, en particulier ceux qui entrent dans le cadre de l’accord de Dublin et ont peu de chances d’être admis en Suisse. La Confédération envisage donc l’ouverture de centres dans des casernes militaires désaffectées qui se trouvent souvent en haute montagne. Par exemple sur le col du Lukmanier, où un centre provisoire de 100 places devrait s’ouvrir en mai prochain.
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Réfugiés au Tessin
Réunir tout le monde autour d’une table
«Nous devons attendre que l’idée fasse son chemin, mais nous espérons créer des occasions d’échanger avec les membres de la commune afin de vaincre les préjugés et favoriser les relations», affirme Peter Binz, syndic de Medel, la commune du canton des Grisons la plus proche du centre d’hébergement qui doit voir le jour sur le col du Lukmanier. Et d’ajouter que la population locale se montre ouverte à l’idée, surtout par sens civique, mais qu’il reste beaucoup de détails à mettre au point.
De l’autre côté du col, dans le canton du Tessin, le secrétaire communal de Blenio Loris Beretta indique que sa commune s’est montrée moins enthousiaste à la perspective d’un centre dans les baraquements du Lukmanier.
Bien que ce village soit situé à 15 kilomètres de là, Loris Beretta craint que la présence des requérants d’asile sur le col ait un effet négatif sur le tourisme régional. La commune a écrit une lettre au gouvernement fédéral pour protester de ne pas avoir été consultée et contre l’idée de loger des gens dans des baraques mal chauffées. Mais le projet va de l’avant.
Peter Binz relève pour sa part que sa commune va constituer un groupe de liaison du genre de celui de Wünnewil, qui devrait inclure des représentants de Blenio ainsi que de Disentis, le village le plus proche de Medel.
Il est décisif de réunir tout le monde autour d’une table, commente Doris Bucheli, même si le canton aurait pu imposer l’ouverture d’un centre à Wünnewil indépendamment de la volonté de la commune, car elle a tout à gagner à garder un droit de regard sur la façon dont les choses se passent.
L’Office fédéral de la migration (ODM) et les cantons concluent un contrat avec des sociétés extérieures et des organisations à but non lucratif pour trouver les travailleurs sociaux qui gèrent les centres d’hébergement.
La société ORS, spécialisée dans l’encadrement des requérants d’asile et des réfugiés, surveille tous les centres d’accueil de l’ODM aussi bien que les nombreux centres cantonaux, parmi d’autres organisations telles que l’Armée du Salut et Caritas.
Selon le patron de l’ORS Stefan Moll-Thissen, le personnel est recruté dans toute la Suisse et, bien qu’il soit généralement employé dans un centre proche du domicile, beaucoup changent de poste après six mois à une année, au fur et à mesure de l’ouverture et de la fermeture des centres provisoires.
Portes tournantes
L’urgence de trouver des logements pour les requérants d’asile pose cette question: si les choses se sont si bien passées à Wünnewil, pourquoi le contrat n’a-t-il pas été prolongé, de façon à limiter les coûts et les problèmes qui se posent ailleurs?
«Il est clair que la commune ne peut pas perdre la face en prolongeant un contrat défini au départ», répond Michel Jungo, collaborateur de la société externe ORS, responsable de la surveillance des centres d’hébergement dans quelque 80 communes. «Même s’il n’y a que quelques voix critiques isolées, c’est trop risqué».
Doris Bucheli ajoute pour sa part que, bien que sa commune ait reçu une compensation de 8000 francs par mois pour louer son abri de protection civile au canton, elle n’était pas d’accord avec l’ouverture du centre pour des raisons financières et qu’il ne faut pas «pousser les choses trop loin» et risquer de perdre la confiance de la population.
Même s’il admet que l’ouverture d’un centre d’accueil et la formation d’une équipe pour le diriger est toujours un défi, Stefan Moll-Thissen, directeur de l’ORS, estime que ce n’est qu’un point de vue.
«Je peux comprendre le point de vue de la commune et du canton, et nous travaillons dans le cadre de ces accords, dit-il. Les responsables doivent respecter leurs promesses et je le comprends parfaitement. Même si les choses se sont bien mieux passées à Wünnewil que la commune ne s’y était attendue au départ.»
(Traducion de l’anglais: Isabelle Eichenberger)
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