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«La Suisse n’a pas assez de moyens pour lutter contre le terrorisme»

Lors de la projection du film "Terreur - Votre jugement", les téléspectateurs suisses pourront décider s'il faut abattre l'avion de ligne détourné par des terroristes. SRF/ARD Degeto/Moovie GmbH/Julia Terjung

La Suisse n’est pas une cible prioritaire du terrorisme islamiste. La Confédération devrait toutefois mieux s’armer contre cette menace, estime Albert A. Stahel. Cet expert suisse en stratégie militaire en est convaincu: la police et l’armée ne disposent pas de suffisamment de moyens pour la lutte antiterroriste.

La télévision publique suisse germanophone (SRF) diffuse ce lundi le long-métrage «Terreur – votre jugement». Des terroristes y détournent un avion de passagers dans l’intention de le faire écraser sur un stade de football. Un chasseur de l’armée abat l’avion, tuant 164 passagers. Le pilote doit répondre de ses actes devant un tribunal. Les spectateurs peuvent décider quelle fin ils entendent donner au film.

swissinfo.ch: Les téléspectateurs peuvent décider de l’issue du film. Le pilote doit-il selon vous être condamné ou relaxé?

Albert A. Stahel: Cette question n’est à mon sens pas pertinente. Elle avait déjà été posée lors des attentats du 11 septembre 2001. Entretemps, des procédures ont été mises sur pied pour déterminer comment un gouvernement doit réagir dans pareille situation. Il appartient aux plus hautes instances politiques de décider s’il faut ou non abattre l’appareil. 

Albert A. Stahel (*1943) est professeur d’études stratégiques à l’Université de Zurich et directeur de l’Institut d’études stratégiques de Wädenwil. Il est l’auteur de nombreuses publications scientifiques et est considéré comme un expert des questions de sécurité et géopolitiques. Keystone

swissinfo.ch: En Suisse également?

A. A. S. : Dans toutes les démocraties, c’est le gouvernement qui prend des décisions dans le domaine militaire. Il faudrait poser la question autrement: le gouvernement est-il dans la capacité de décider si un avion doit être abattu ou non? Il se peut que la direction politique soit paralysée. Mais c’est un autre débat.

swissinfo.ch: Quel est votre avis?

A. A. S. : Lorsque des milliers de personnes sont réunies, il faut faire une appréciation de la situation et se poser la question: quelle solution est la pire?

swissinfo.ch: En comparaison internationale, comment l’armée et la police sont-elles préparées en Suisse pour lutter contre le terrorisme?

A. A. S. : C’est une question très délicate, car tout dépend des moyens à disposition. Nous avons au total 17’000 policiers en Suisse, ce qui est très peu en comparaison avec d’autres pays. Cela ne veut pas pour autant dire que nous avons un mauvais service de renseignement.

swissinfo.ch: Vous voulez donc dire que la Suisse est plutôt bien préparée dans le domaine de la prévention grâce à son service de renseignement, mais qu’il n’en va pas de même en ce qui concerne l’armée et la police?

A. A. S. : Auparavant, l’armée disposait d’unités d’infanterie territoriale mais celles-ci ont été supprimées dans le cadre de la réforme Armée XXI. J’ai donc quelques doutes sur le fait que l’armée – en exceptant les soldats professionnels du Service de renseignement – soit capable d’apporter une contribution significative à la lutte antiterroriste.

swissinfo.ch: Est-ce aussi dû au fait que l’armée suisse est une armée de milice?

A. A. S. : Non, cela n’a aucun rapport. Au contraire. Aux Etats-Unis, lorsque des problèmes internes surgissent, les Etats mobilisent la garde nationale. Leurs membres sont des soldats de milice.

swissinfo.ch: Qu’est-ce que cela signifierait dans le cas très grave d’une attaque terroriste?

A. A. S. : Lorsqu’une attaque survient, il est de toute façon trop tard. Il faut agir au niveau de la prévention, à savoir dans la détection des risques et la mise sur pied de mesures de protection. Nous avons cependant trop peu de moyens: les forces de police sont notre seul moyen de protection mais elles sont en sous-effectifs. A tous les niveaux territoriaux, les forces de police doivent être renforcées. Quant à l’armée, elle pourrait soutenir cet effort en formant et en équipant des unités de milice spéciales capables d’intervenir en cas de menace terroriste.

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swissinfo.ch: La Suisse est densément peuplée et dispose d’infrastructures bien développées. Qu’est-ce que cela implique?

A. A. S. : Une vulnérabilité élevée. Routes, chemin de fer, approvisionnement énergétique, communications, pipelines: nous avons d’excellentes infrastructures. Mais plus une infrastructure est dense et plus elle est utilisée – je pense par exemple à la cadence au quart d’heure des trains suisses – plus elle offre des approches possibles pour une attaque.

swissinfo.ch: Quelles solutions préconisez-vous?

A. A. S. : Il faut protéger les infrastructures essentielles du pays. Ensuite de quoi, il faut analyser quels sont les moyens nécessaires et comment les mettre en œuvre.  

swissinfo.ch: Tout cela est très coûteux…

A. A. S. : Pas nécessairement. Ce n’est pas le cas si on mobilise des soldats de milice afin d’assurer les tâches de sécurité.

swissinfo.ch: A quel niveau se situe la menace terroriste en Suisse?

A. A. S. : A l’heure actuelle, nous ne devrions pas être une cible majeure.

swissinfo.ch: Vous n’avez donc personnellement pas peur d’une attaque terroriste en Suisse?

A. A. S. : Non. La probabilité qu’elle survienne est faible. Mais nous faisons partie de l’Europe, ne l’oublions pas.

swissinfo.ch: L’interdiction de construire de nouveaux minarets ou celle de porter la burqa pourraient-elle faire de la Suisse une cible d’attaque privilégiée des islamistes?

A. A. S. : Non, ces thèmes ne sont pas d’actualité. La question centrale est celle de la guerre au Moyen-Orient: avec la guerre en Syrie et en Irak, on assiste à l’éviction des sunnites, un véritable «nettoyage ethnique». Les pays qui y participent sont la Russie, les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Australie, le Danemark et l’Allemagne. Ce sont ces pays qui sont la cible des islamistes. 

(Traduction de l’allemand: Samuel Jaberg)

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