À Genève, la cyberguerre plutôt que le risque nucléaire
Fermes et constructifs, selon leurs médias respectifs, Joe Biden et Vladimir Poutine ont convenu de leurs désaccords et rétabli un canal direct de discussions. S’il tient ses promesses, le sommet de Genève pourrait être le prélude de négociations sur les cyberattaques pour les cadrer, comme l’usage des bombes atomiques durant la Guerre froide. Revue de presse.
C’est sur le risque de «destruction mutuelle assurée» par l’arme atomique que s’est construit l’équilibre entre les superpuissances. Et c’est à Genève que Reagan et Gorbatchev ont enclenché une désescalade des arsenaux nucléaires.
Et ce 16 juin? «C’est sans doute ce que les deux hommes, qui ne se sont pas ménagés par le passé, pouvaient espérer de mieux: une rencontre où l’on met tout ce qui fâche sur la table, mais en se respectant, sans postures ou éclats de voix», relève Pierre Haski dans sa chronique géopolitiqueLien externe sur France Inter, qualifiant le sommet Biden-Poutine de «mésentente cordiale à Genève».
À l’instar d’autres analystes, Malika Nedir souligneLien externe dans la Tribune de Genève «le dialogue ouvert en Suisse. Sur le désarmement stratégique, les cyberattaques, l’Arctique, l’Iran, la Syrie, l’Afghanistan. Des dossiers cruciaux où les canaux de communication sont rétablis entre Moscou et Washington.»
Une détente officialisée par une déclaration communeLien externe sur la stabilité stratégique: «Nous, président des États-Unis d’Amérique Joseph R. Biden et président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine, constatons que les États-Unis et la Russie ont démontré que, même en période de tension, ils sont capables de progresser vers nos objectifs communs, à savoir assurer la prévisibilité dans la sphère stratégique, réduire le risque de conflits armés et la menace de guerre nucléaire. (…) Conformément à ces objectifs, les États-Unis et la Russie entameront ensemble, dans un avenir proche, un dialogue bilatéral intégré sur la stabilité stratégique, qui sera délibéré et solide. Par le biais de ce dialogue, nous cherchons à jeter les bases de futures mesures de contrôle des armements et de réduction des risques.»
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La cybersécurité ouvertement abordée à Genève
Elle n’est pas explicitement mentionnée dans cette déclaration. Mais la nouveauté du face-à-face de ce 16 juin, c’est la cybersécurité, comme le pointe Stéphane Bussard dans les colonnes du TempsLien externe: «A la Villa La Grange, un thème crucial a fait irruption dans le dialogue entre les présidents américain et russe: la cybersécurité. Le contentieux entre Moscou et Washington n’a jamais été réellement encadré et débattu. C’est toute la difficulté et le danger. Vladimir Poutine a dit en conférence de presse que son pays était victime de cyberattaques, notamment contre les infrastructures de santé. Pour Joe Biden, il importe d’établir des garde-fous sur les infrastructures qu’il est impératif d’épargner en temps de paix: les systèmes électoraux, le réseau électrique, le réseau d’oléoducs et d’eau, les centrales nucléaires.»
Envoyé à Genève par le New York Times, David Sanger va dans le même sensLien externe: «Le changement se prépare depuis une décennie, alors que la Russie et les États-Unis, les deux adversaires les plus habiles du cyberespace, se sont chacun tournés vers un arsenal croissant de techniques dans ce qui est devenu un conflit quotidien de bas niveau. Mais lors des réunions au sommet, ce genre de joutes était généralement traité comme un spectacle parallèle à la compétition principale des superpuissances. Ce n’est plus le cas.»
«Ça ne sera pas facile, écrit David Sanger. Il y a tout simplement trop d’acteurs – nations, groupes criminels, organisations terroristes – et aucun moyen de faire l’équivalent d’un décompte des ogives et des missiles.» La liste de 16 types d’infrastructure à épargner des cyberattaques remise par Biden à Poutine peut être l’amorce d’une régulation du cyberespace militarisé.
C’est à cette aune que le sommet de Genève 2021 pourrait entrer dans l’histoire, au même titre que le sommet Reagan-Gorbatchev en 1985. «Mais on est encore loin d’une normalisation des relations entre les deux pays, juge le diplomate suisse Thomas GremingerLien externe dans une interview accordée au Temps. Il y a les lignes rouges qu’on communique publiquement. Elles sont destinées aux audiences domestiques. Les lignes rouges les plus importantes sont transmises confidentiellement et on ne les connaît que bien plus tard. Si on veut conduire un dialogue sérieux, il faut avoir une compréhension commune de ce qui est acceptable et inacceptable dans les domaines clefs.»
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Mission accomplie pour la Suisse
Grâce au sommet, Genève a retrouvé l’attention mondiale, après une année de blackout pandémique. L’Aargauer ZeitungcommenteLien externe: «Sur le plan international, le Conseil fédéral peut se féliciter d’un succès. Elle a réussi à tendre la main pour que les deux présidents puissent se parler face à face. La Suisse peut rafraîchir sa réputation de pionnier de la diplomatie et présenter ses ‘bons offices’ sous les feux de la presse internationale.»
La Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZLien externe) a consacré un article entier au rôle de la Suisse sous le titre «Que valent encore les ‘bons officesLien externe’ de la Suisse ?». Le journal allemand conclut froidement: «En tant que médiateur diplomatique neutre, la Suisse est de moins en moins demandée.»
Un succès pour le Conseil fédéral
La délégation suisse a considéré le sommet dans son ensemble comme un succès. Poutine, pour sa part, a remercié la Suisse pour l’excellente plateforme genevoise.
Meeting with President of Switzerland Guy Parmelin: Russian-Swiss cooperation, Russia-US summit https://t.co/K9KGn3XLP5Lien externe pic.twitter.com/svLI76qusILien externe
— President of Russia (@KremlinRussia_E) June 16, 2021Lien externe
Des remerciements également formulés par la Maison-BlancheLien externe: «Le président Biden a remercié le président Parmelin d’avoir accueilli le sommet États-Unis-Russie à Genève le 16 juin, et il a exprimé son appréciation du rôle historique unique de la Suisse qui offre un terrain neutre pour la diplomatie et les négociations.»
Relevant les «solides relations entre les États-Unis et la Suisse dans les domaines du commerce, de la science et de l’éducation, et de la sécurité, le président Biden a remercié la Suisse pour ses 40 années de service en tant que puissance protectrice des États-Unis en Iran. Il a également salué la contribution de la Suisse à la réponse mondiale à la pandémie de COVID-19, notamment en accueillant le secrétariat de l’alliance vaccinale Gavi et ses contributions à COVAX pour faciliter l’accès équitable et la distribution de vaccins COVID-19 sûrs et efficaces.»
Le ministre suisse des Affaires étrangères n’exagère pas en déclarant que «pour la Suisse elle-même, le sommet a valu plusieurs fois la peine». Selon Ignazio Cassis, la crédibilité de la diplomatie suisse a été renforcée.
Les conseillers fédéraux suisses Guy Parmelin et Ignazio Cassis ont également profité du sommet pour des rencontres bilatérales avec Biden et Poutine. Parmi les sujets abordés avec le président américain figure un projet d’accord de recherche, la poursuite des négociations sur un accord de libre-échange et l’accord nucléaire avec l’Iran. Joe Biden a fait la publicité des avions de combat américains, qui sont toujours en lice pour l’achat prévu de l’armée suisse. Les discussions avec Poutine étaient apparemment moins concrètes que celles avec Biden.
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