Ambition, devenir gardien de prison
La surpopulation carcérale qui mine les prisons suisses - confrontées de temps en temps à des émeutes - nécessite la formation de toujours plus de gardiens. Reportage à la prison de Champ-Dollon, au cœur de l’école genevoise de formation des agents-tes de détention.
C’est au fil d’un mélange complexe de routes secondaires, de contours et de bifurcations, que se dressent, enfin, les bâtiments de Champ-Dollon. L’établissement de détention préventive est bien planqué dans la campagne genevoise. Tellement qu’on ne peut s’y rendre par hasard. Excepté pour les détenus, toute personne qui arrive à Champ-Dollon l’a choisi. Et les gardiens aussi. «Depuis toute petite, je voulais travailler dans la police, la sécurité. J’ai choisi ce métier parce que ça bouge, on n’est pas tout le temps au même endroit. Et il y a un aspect social qui me plait», remarque Yasmina, 24 ans, élève de l’école, qui effectue sa première semaine de cours pratiques.
La décision peut apparaître étonnante, lorsque vient à l’esprit une prison surpeuplée, avec des conditions de travail qui s’avèrent parfois pénibles. Pourtant, les prétendants ne manquent pas à l’appel. «L’année dernière, nous avons traité 841 dossiers de candidature. 35 personnes ont été retenues pour la session de janvier et 20 pour celle de septembre», relève Gérard Mariller, gardien responsable de la formation. Pour accéder à l’école genevoise de formation des agents-tes de détention, qui mêle théorie et pratique, la sélection est rude. Entretiens, tests d’efficience intellectuelle et de personnalité ou encore journée de stage dans une première phase. Puis, visite médicale et enquête de police complète pour les derniers candidats retenus. «Il est important de voir si le métier convient aux postulants et s’il n’y a pas d’appréhension au niveau des détenus», souligne Gérard Mariller.
Peu de femmes
Pour cette session, ils sont 17 à avoir été retenus, dont seulement deux filles. «Beaucoup de femmes sont intéressées, mais l’engagement se fait selon les besoins des ressources humaines», remarque le responsable de la formation. Et à priori, peu de femmes sont choisies. Alors, existe-t-il de réelles difficultés pour le sexe féminin à exercer ce métier?
«En tant que fille, je ne ressens pas de problème, je n’ai pas l’impression que cela fasse une différence, je n’ai jamais eu peur», affirme Yasmina. Un avis partagé par Maryline, gardienne à Champ-Dollon depuis sept ans.
Dans les esprits des intéressés, l’égalité règne, homme ou femme, c’est égal, le principe du gardien reste le même: ne pas laisser la peur s’immiscer et conserver son sang-froid. «On n’est pas toujours maître des émotions des détenus, mais c’est à nous de les apaiser et de toujours revenir au point zéro. Il faut être ni trop gentil, ni trop hargneux», remarque Alexandre, 28 ans, qui entame son quatrième jour de cours pratiques. Et qui a déjà effectué une journée en «cellulaire», au contact des détenus. «A ce qu’on m’a dit, le quartier où on m’a placé n’était pas le plus facile, mais ça s’est bien passé. Il suffit d’arriver un peu souriant, d’être doux avec les portes et de ne pas brusquer les détenus.»
Les clés du pénitencier
Avant, Alexandre était cuisinier. «Le métier de gardien m’a petit à petit attiré, je fais pas mal de social au travers de différentes associations et j’apprécie le fait de pouvoir encadrer des personnes en marge de la société. Et puis, ici, c’est vraiment cadré dans tous les sens du terme, on sait quand on commence et quand on finit, pas comme en cuisine.» D’ailleurs, il compte exercer trente ans ce métier, pour atteindre le meilleur grade (gardien chef). Passer presque toute une vie en prison ne lui fait pas peur, le jeune homme a de l’ambition.
«Aujourd’hui, on est moins perçu comme le ‘porte-clés’, le gardien de prison avec des gros bras et rien dans le cerveau. Sans négliger la sécurité, nous faisons avant tout attention aux qualités humaines», note Gérard Mariller. Sûr, les hommes et femmes qui arpentent les couloirs de Champ-Dollon ne collent à priori pas au cliché de Terminator du pénitencier. «Au début, on a un peu l’image des séries télévisées comme Prison Break, avec des cellules à barreaux, mais on se rend rapidement compte que ce n’est pas du tout ça», note Yasmina.
Etre sur ses gardes
Champ Dollon n’est pas une prison du Panama, même si l’établissement conçu pour 270 individus contient 451 détenus et que les cellules sont parfois remplies au double de leur capacité. Dans les couloirs ternes du rez-de-chaussée, les gardiens discutent tranquillement, et à l’étage, les prisonniers rentrent sagement de leur heure de promenade quotidienne. «Ils étaient tout calmes, cela doit être le froid», rigole Alexandre, 28 ans, qui vient d’encadrer, sans sourciller, le retour de la sortie au grand air.
«Les agressions arrivent, mais ne sont pas quotidiennes. En revanche, il faut toujours être vigilant, sur ses gardes et tenir la distance. Mais en général, on ressent s’il y a une tension au niveau de l’unité, du détenu, et on arrive à la maîtriser. On compte beaucoup sur les anciens pour transmettre leur expérience aux jeunes stagiaires», relève Gérard Mariller. Et la formation prépare les gardiens, à l’aide de cours de tactiques d’intervention, donnés par des instructeurs suisses de police qui ont au minimum la ceinture noire dans un art martial.
Calme apparent
Dans la prison de Champ-Dollon, qui a vécu une année 2010 mouvementée, avec plusieurs émeutes et en octobre l’agression de cinq gardiens, le calme semble régner. Il est 11h30, les prisonniers viennent, le pas trainant, chercher leur repas, désormais proposé à l’étage, par des compagnons d’unité.
Au 3ème étage de l’aile nord, Alexandre surveille les hommes qui se font servir leur déjeuner, il touche deux-trois mots, lance un bon appétit, jovial. Dans l’unité d’en face, les femmes attendent leur repas. De là où nous sommes postés, la scène se déroule, banale. L’apprentissage du métier de gardien paraît alors moins pénible. Sans doute, mais de notre côté, la vitre floutée étouffe aussi les bruits et travestit, un peu, la vision.
Etat de Genève. L’école genevoise de formation des agents-tes de détention, forme du personnel pour tout l’Etat de Genève. En Suisse romande, c’est le lieu qui prépare le plus de personnes au métier d’agent-tes de détention.
Admission. Elle accueille des élèves de 22 à 35 ans, qui doivent au minium être au bénéfice d’un CFC.
Nouveauté. En 2010, en raison de la forte demande en personnel, l’école a décidé d’ajouter une session supplémentaire, en septembre. Alors que celle de janvier dure six mois, cette dernière, plus condensée, dure quatre mois.
Brevet fédéral. Après leur assermentation, les recrues termineront leur cursus à Fribourg, au Centre suisse de formation pour le personnel pénitentiaire. Ils pourront y obtenir le brevet fédéral d’agent-te de détention.
Tâches. Les cours pratiques des stagiaires de l’école genevoise se déroulent dans différents secteurs de la prison. Les tâches du gardien sont notamment: la surveillance des promenades, des repas, de la douche, des ateliers, différents travaux administratifs.
Avantages. Le gardien a son assurance maladie et ses frais médicaux payés. Il peut prendre sa retraite dès 58 ans.
Chiffres. En 2010, dans toute la Suisse, 128 personnes ont obtenu le brevet fédéral d’agent de détention. Cette année, 158 personnes ont commencé leur première année de formation. Et 133 agent-tes de détention termineront leur formation en juillet.
Surpopulation. Champ-Dollon emploie 288 gardiens. Elle a été conçue pour 270 détenus. Actuellement, elle en contient 451. L’année dernière, la surpopulation a occasionné plusieurs émeutes. Le 15 octobre 2010, cinq gardiens ont été blessés par des détenus.
Sur la même parcelle que Champ-Dollon, la prison Cento Rapido, actuellement en construction, devrait rapidement offrir 100 places supplémentaires. Et d’ici 2013, l’établissement de détention Curabilis, spécialement destiné aux détenus à troubles psychiatriques, en offrira 92.
Chiffres. En 2009, 3’073 détenus (dont 175 femmes) ont séjourné à Champ-Dollon. La même année, 117 nationalités différentes étaient représentées à la prison. 10,6% des détenus restent seulement une nuit.
La prison propose 14 ateliers, avec en tout 148 places. Les détenus qui y travaillent sont payés 2,75 francs par heure. Mais l’attente pour pouvoir y travailler est de plusieurs mois.
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