Défendre le français… pour défendre la diversité
A l’occasion des 40 ans de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), le Président français Nicolas Sarkozy recevait samedi le président de l’OIF, Abdou Diouf, et plusieurs centaines d’invités à l’Elysée. En attendant la «Maison de la Francophonie»…
Sous les lustres royaux, entre les piliers dorés et les rideaux cramoisis, la salle bigarrée (politiques d’ici et d’ailleurs, monde culturel allant de Hélène Carrère d’Encausse à… Ophélie Winter) bavarde, papillonne, bourdonne, vrombit. Et soudain, comme un seul homme, se tait. «Le Président de la République», vient-on d’annoncer.
C’est Abdou Diouf qui prendra d’abord la parole, avec sa stature impressionnante et sa prestance de vieux sage, Abdou Diouf, ancien président du Sénégal, qui commencera par saluer le rôle joué par la France en matière de francophonie: «La Francophonie ne serait pas la Francophonie sans la France, et sans l’engagement constant du chef de l’Etat Français».
Il lancera également un chaleureux hommages aux pères fondateurs, le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, le Tunisien Habib Bourguiba, le Nigérian Hamani Diori et le Cambodgien Norodom Sihanouk, en affirmant que, au cours de ses quarante ans d’existence, la Francophonie a œuvré à rendre possible «l’utopie» amorcée par ceux-ci le 20 mars 1970 à travers la Convention de Niamey.
Non à la «monoculture»
Puis Nicolas Sarkozy prendra la parole. Plongé dans les notes de son discours, d’abord. Et s’en écartant de plus en plus, selon son habitude, en véritable homme de scène, pour mieux suivre le fil de ses élans.
Si Abdou Diouf a axé ses propos sur la dimension politique de la Francophonie, c’est sur la question linguistique que le président français va d’abord embrayer. «Le problème n’est pas l’anglais, le problème c’est le monolinguisme, c’est le prêt-à-porter culturel, c’est l’uniformité», assène-t-il.
Avant d’ajouter: «En défendant le français, vous défendez toutes les identités culturelles du monde». Puis: «Si on cède sur le français, c’est qu’on cèdera sur toutes les autres cultures et toutes les autres langues du monde». Propos chaleureusement applaudi.
Au fil des digressions, Nicolas Sarkozy lâche savamment la bride, jouant efficacement de l’ironie. En particulier à l’égard de ces diplomates français «tellement heureux de parler anglais» alors qu’il les souhaite «ambassadeurs de l’intransigeance francophone».
Pour autant, le chef de l’Etat refuse l’idée d’une compétition entre les deux langues, jugeant qu’une «opposition entre francophones et anglophones n’a pas vraiment de sens politique».
Une Francophonie engagée
Le français pour la beauté du français? Pas vraiment. Plutôt le français comme arme. «La francophonie, ce n’est pas simplement des intellectuels, des amoureux des belles lettres ou de la langue, mais ça doit se traduire aussi dans un combat politique», souligne-t-il.
Il cite alors «la préservation de notre Planète», «la gouvernance mondiale» ou le «développement». Et indique qu’il plaidera pour que l’OIF soit invitée à la conférence internationale sur la reconstruction d’Haïti, le 31 mars à New York, et fait mention du prochain Sommet de la Francophonie, en octobre à Montreux, comme lieu important de cet engagement politique.
«A quoi cela servirait-il d’avoir des valeurs communes si nous ne transformions pas cette adhésion (…) en prise de positions politiques», interroge-t-il. 200 millions de francophones de par le monde? Nicolas Sarkozy sourit de ce «complexe» véhiculé par une francophonie qui serait «la seule à ignorer sa force».
Applaudissements. La salle se vide, les invités se pressent vers le buffet proposé par le Palais de l’Elysée…
Maison de la Francophonie
De mon côté, je passe entre les haies de Gardes Républicains en grande tenue, quitte les lieux, traverse la Seine par le Pont Alexandre III, longe le Quai d’Orsay jusqu’à la Place de la Résistance, tourne à droite et vais jeter un coup d’œil, Avenue Bosquet, au vaste immeuble haussmannien qui, d’ici quelques mois, se métamorphosera en Maison de la Francophonie.
8600 m² qui permettront le regroupement dans un site unique de tous les employés de l’OIF, soit environ 350 personnes. Des bureaux de liaison pour l’Assemblée parlementaire de la Francophonie et pour les opérateurs (Agence universitaire de la Francophonie, TV5Monde, Association internationale des Maires francophones, Université Senghor d’Alexandrie) y seront également aménagés.
C’est d’ailleurs là que la réception de ce 20 mars aurait dû avoir lieu. Mais l’avancement des travaux ne l’a pas permis.
D’où peut-être le clin d’œil appuyé de Nicolas Sarkozy qui, faisant allusion dans son discours à ce futur haut-lieu francophone, ironisera sans modération à propos de la lenteur qu’aura mise l’idée d’une Maison de la Francophonie, idée émise par son prédécesseur, à se concrétiser… Quand on veut vraiment, on peut, dira-t-il en substance, fidèle à l’image volontariste qui est la sienne.
Bernard Léchot, Paris, swissinfo.ch
Anniversaire. L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) célèbre cette année son 40e anniversaire, fêté en particulier ce 20 mars, «Journée de la Francophonie».
Semaine. La 15ème ‘Semaine de la Francophonie’ a lieu du 20 au 28 mars 2010.
Linguistique et politique. Parmi les missions principales de cette organisation figurent la promotion de la langue française et la diversité culturelle et linguistique, mais aussi la promotion de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme.
200 millions. Dans le monde, près de 200 millions de locuteurs parlent français.
70 Etats. L’OIF regroupe 70 États et gouvernements (dont 14 observateurs) répartis sur les cinq continents.
Montreux. Le 13e sommet de la Francophonie se tiendra du 20 au 24 octobre 2010 à Montreux, dans le canton de Vaud.
Engagement. La Suisse est membre de l’OIF depuis 1989.
Instances. Après avoir adhéré en 1996 à l’Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF), elle participe aujourd’hui à toutes les instances de la Francophonie – Sommet, Conférence ministérielle, Conseil permanent, etc.
Opérateurs. Elle participe également aux travaux de tous les opérateurs de la Francophonie: Agence universitaire, TV5 Monde, Association internationale des maires francophones, Université Senghor d‘Alexandrie.
Financement. La Suisse est l’un des cinq principaux bailleurs de fonds avec la France, le Canada, la Communauté française de Belgique et le Québec. La contribution annuelle globale de la Suisse à l’Organisation (y compris TV5) se monte à près de 13,5 millions de francs suisses.
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