Des ex-détenus de Guantanamo en quête d’asile
La Suisse a refusé l'asile à trois anciens détenus de Guantanamo. Comme d'autres, ils attendent dans leur prison de la base militaire américaine une terre d'accueil, alors qu'aucune charge ne pèse sur eux.
Des ex-prisonniers de Guantanamo trouvant une terre d’accueil en Suisse? Le pas aurait pu être franchi. En été 2008, des demandes d’asile ont été introduites auprès de l’Office fédéral des migrations (ODM) au nom des trois détenus se trouvant toujours sur la base américaine.
Mais les requêtes des requérants, un Libyen, un Algérien et un Chinois Ouïgour, ont été déboutées le 10 novembre. Leur représentant à Berne, Dominik Heinzer, s’apprête, avec le soutien d’Amnesty International (AI), à déposer un recours auprès du Tribunal fédéral. AI a invité cette semaine en Suisse les avocates étasuniennes des détenus pour témoigner des conditions de vie à Guantanamo.
Innocent maintenu en isolement
Depuis janvier 2002, des centaines de combattants ennemis ont été incarcérés illégalement et torturés sur l’île cubaine. Plus de 250 personnes y sont toujours en captivité. Cinquante de ces détenus – dont les trois requérants pour la Suisse – n’ont aucune charge contre eux, mais attendent en prison de trouver une terre d’asile.
«Leurs conditions de détention sont très dures», affirme Gitanjali Gutierrez. L’avocate américaine arrive tout juste de l’île où elle a rencontré son client libyen Abdul Ra’uf al Quassim. «Bien que reconnus innocents, ils continuent d’être maintenus en isolement dans des cellules sans fenêtres. Leurs sorties se limitent à une petite cour couverte d’où ils peuvent voir un bout de ciel en levant la tête.»
Un vent d’espoir
L’élection de Barak Obama aux Etats Unis devrait apporter un vent d’espoir. Le futur président s’est engagé à mettre un terme aux détentions illégales à Guantanamo. «Pour 80% des prisonniers, cela signifie la liberté. Pour les 20% restant, cette nouvelle est terrifiante, poursuit l’avocate. Car il y a de fortes chances qu’ils soient renvoyés chez eux où ils risquent d’être torturés dans des lieux secrets.» Et de citer l’exemple de son client libyen qui préfère rester à Guantanamo plutôt que d’être rapatrié dans son pays.
De son côté, Dominik Heinzer n’est pas satisfait des arguments avancés par l’office des migrations.
«Tout en reconnaissant que les prisonniers risquent bel et bien d’être persécutés s’ils sont renvoyés chez eux, l’ODM estime que ces personnes n’ont pas besoin de la protection de la Suisse car elles ne sont pas menacées de renvoi dans leur pays d’origine, explique-t-il. Pourtant, il y a eu des précédents: des détenus ont été refoulés en Libye où ils se trouvent maintenant en détention arbitraire dans des lieux secrets. Il y a aussi des Russes qui ont été refoulés et torturés et des Algériens qui ont disparu à leur retour. Dans la majorité de ces cas, leurs pays d’origine avaient donné des assurances diplomatiques, mais celles-ci n’ont pas été respectées.»
Et le juriste bernois de rappeler que la Suisse et l’Espagne sont les seuls pays d’Europe qui acceptent de traiter les demandes d’asile déposées, via l’ambassade ou un avocat, par des personnes se trouvant à l’étranger.
Contacté par téléphone, le porte-parole de l’ODM, Roman Cantieni a confirmé que «trois demandes ont effectivement été déposées et ont fait l’objet de décisions. Mais pour des raisons de protection des données, nous ne pouvons donner aucun autre renseignement.»
Trop proches des milieux terroristes
Autre raison invoquée par la Suisse pour justifier son refus: les questions de sécurité. Selon Dominik Heinzer, l’ODM reprocherait aux requérants d’être trop proches des milieux terroristes: «La Suisse se réfère pour cela au fait qu’ils soient considérés par l’administration Bush comme combattants ennemis».
«Quasiment tous les prisonniers sont qualifiés de combattants ennemis, précise Gitanjali Gutierrez. Nous avons une foule d’informations prouvant l’innocence de nos clients, mais nous ne pouvons les rendre publiques car elles ont été «classifiées» par Washington. En revanche, nous pouvons affirmer qu’ils ont été torturés. Malgré cela, il n’y a aucune charge contre eux.»
Et le juriste suisse d’ajouter: «Il est clair que s’il y avait le moindre indice qu’ils aient participé à un crime terroriste, ils seraient jugés aux Etats Unis, comme l’a été le chauffeur de Ben Laden.» Selon lui, Washington veut à tout prix maintenir l’appellation combattants ennemis pour les détenus de Guantanamo pour justifier les 6 à 7 années de détention. Seul le Chinois en a été relevé, comme d’ailleurs tous les Ouïgours détenus à Guantanamo.
L’ODM aurait aussi exprimé des craintes sur les difficultés d’intégrations du fait que les requérants sont musulmans. «Je ne comprends pas cet argument, déclare encore Dominik Heinzer. La communauté musulmane est très importante en Suisse. Et on n’a pas à refuser un requérant à cause de sa religion.»
Les pays européens complices
Pour le juriste, le refus de la Suisse serait surtout d’origine politique: «Comme les autres pays européens, la Suisse ne veut pas être le premier pays à accueillir les ex-prisonniers de Guantanamo. L’ensemble de l’Europe considère qu’elle n’a pas à nettoyer les pots cassés de l’administration Bush et que les Etats-Unis doivent montrer l’exemple.»
Dominik Heinzer rappelle toutefois que, si Washington peut être désignée comme responsable de l’existence de Guantanamo, les pays européens en sont complices! Comme le démontre le rapport du sénateur Dick Marty sur les prisons secrètes de la CIA, les transferts pour Guantanamo se faisaient sur territoire européen.
swissinfo, Carole Vann/InfoSud
Les 50 détenus attendant d’être libérés à Guantanamo sont originaires d’Algérie, de Chine, d’Irak, de Libye, de Russie, de Somalie, de Syrie, de Tunisie et d’Ouzbékistan. Parmi eux, se trouvent les trois requérants pour la Suisse. Pour tous ces cas, l’administration Bush a reconnu qu’ils ne présentent aucun danger envers la sécurité nationale.
Mais Washington refuse de les libérer sur le sol étasunien. Or ces personnes risquent la torture ou la mort si elles sont renvoyées chez elles.
Selon des informations officielles fournies par le Département d’Etat américain, près de 50 pays ont été sollicités pour accueillir les détenus. A ce jour, seule l’Albanie a accepté d’accueillir huit ex-détenus: cinq Ouïgours, un Algérien, un Ouzbek et un Egyptien. Selon les avocates étasuniennes, ils vivent dans des conditions déplorables.
Contrairement aux allégations de l’ODM, les trois requérants ont besoin de la protection de la Suisse parce que les Etats-Unis menacent de les renvoyer dans leur pays d’origine, affirme Amnesty International.
Les derniers développements pour le cas du Libyen Abdul Ra’uf al Qassim montrent clairement que les autorités étasuniennes veulent le renvoyer chez lui malgré les risques de torture.
Concernant le requérant algérien, les deux avocates Doris Tennant et Ellen Lubell l’ont rencontré il y a peu à Guantanamo et sont convaincues de son innocence. Plusieurs fois torturé, cet homme de 33 ans, amputé d’une jambe, n’a pas obtenu les soins médicaux appropriés à sa prothèse.
Le cas du Ouïgour est encore plus dramatique. Ce père de famille de 38 ans se trouve à Guantanamo depuis 7 ans. Non seulement, il n’y a aucune charge contre lui, mais il n’est même pas étiqueté prisonnier combattant. N’ayant nulle part où aller, il préfère rester dans le camp américain plutôt que d’être refoulé en Chine où il serait emprisonné, torturé et probablement exécuté.
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