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Des milliers de demandes d’asile ignorées

Réfugiés irakiens dans un camp à Damas en février 2008. A cette époque, il ne fallait même pas penser à un asile possible en Suisse. AFP

Pendant des années, l'Office fédéral des migrations (ODM), a ignoré des milliers de demandes d’asile déposées par des Irakiens à Damas et au Caire. La ministre de Justice et Police Simonetta Sommaruga ordonne une enquête externe.

Entre 2006 et 2008, les ambassades de Suisse en Syrie et en Égypte ont reçu quelque 7000 à 10’000 demandes d’asile, déposées par des ressortissants irakiens. Selon Simonetta Sommaruga, qui a informé ses collègues du gouvernement et s’est exprimée mercredi devant la presse, la représentation helvétique à Damas a reçu fin 2006 des centaines de demandes d’asile, écrites, mais souvent rudimentaires et parfois collectives.

Un responsable régional du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ayant signalé que les requérants seraient admis dans un camp de réfugiés, l’ODM a enjoint à l’ambassade de ne pas traiter les demandes. La même instruction a été donnée à l’ambassade du Caire.

Informée par un tiers

Au début 2008, l’ODM a renouvelé cette consigne, a dit Simonetta Sommaruga qui n’était pas encore au gouvernement à cette époque. A son arrivée à la tête de l’ODM début 2010, Alard du Bois-Reymond (qui vient par ailleurs d’être remercié, voir ci-contre) a émis des doutes sur la légalité de cette procédure et le traitement des demandes a commencé. Mais toutes celles qui ont déjà été examinées ont été classées sans suite.

Informée, non pas par le directeur de l’ODM, mais par un tiers externe à l’administration de toute l’affaire fin mai dernier, la ministre a stoppé la manœuvre le 4 juillet pour lancer une enquête interne. Celle-ci n’ayant pas permis d’établir clairement les responsabilités, elle a lancé une enquête externe et l’a confié à Michel Féraud, ancien juge au Tribunal fédéral.

D’ici la fin de l’année, il devra établir si cette manière de procéder a violé le droit et si Alard du Bois-Reymond a violé son devoir d’informer ses supérieurs. L’ancien juge fédéral devra également livrer des propositions pour traiter correctement les demandes en suspens.

Que savait Blocher ?

Simonetta Sommaruga décidera alors de la suite à donner à cette affaire. A sa connaissance, les ministres de Justice et Police en fonction lors des faits n’ont pas été mis au courant. C’est du moins ce que lui ont assuré Eveline Widmer-Schlumpf comme Christoph Blocher, a-t-elle dit.

Selon le quotidien zurichois Tages-Anzeiger toutefois, l’ancien ministre et idéologue de l’UDC (droite conservatrice) aurait dit qu’il ne se souvenait pas, mais qu’il «supposait qu’il avait été informé à l’époque». La Neue Zürcher Zeitung ajoute que ce cas, du point de vue de Christoph Blocher, ne devait pas poser problème, étant donné qu’il s’agissait «non de demandes d’asile formelles, mais d’arrivées en masse».

Sans dommages ?

Selon Simonetta Sommaruga, les requérants d’asile concernés n’ont pas souffert car ils ont été pris en charge par le HCR. La socialiste n’a pas connaissance de cas pour des ambassades suisses d’autres régions du monde.

La Suisse est le seul pays d’Europe à admettre le dépôt de demandes d’asile dans ses ambassades. Plus pour longtemps peut-être, le gouvernement veut modifier la loi sur l’asile pour supprimer cette possibilité.

Choquée par l’affaire irakienne, Amnesty International espère que toute la lumière sera faite. Dans un communiqué, l’organisation de défense des droits humains exige que les requêtes encore d’actualité soient traitées avec la plus grande célérité et de manière équitable et complète.

Mercredi également, Simonetta Sommaruga a annoncé le renvoi d’Alard du Bois-Reymond de la direction de l’Office fédéral des migrations (ODM) pour fin octobre.

Aucun rapport. Face à la presse, la ministre a esquivé la question du rapport entre ce licenciement et l’affaire des demandes d’asile en Irak. «Il n’y a pas de lien direct, a-t-elle fini par lâcher. La décision de se séparer d’Alard du Bois-Reymond, n’a pas été facile et n’a pas été prise du jour au lendemain»,

L’intéressé juge également que son licenciement n’est pas dû à l’enquête sur les requêtes irakiennes, mais plutôt au fait que «Mme Sommaruga et moi n’avons pas réussi à développer une confiance mutuelle».

Indemnité. Le directeur licencié recevra une indemnité équivalant à un an de salaire, soit une somme de l’ordre de 250’000 à 300’000 francs. Son poste sera mis au concours et repourvu le plus rapidement possible.

Second départ abrupt. Alard du Bois-Reymond avait repris les rênes de l’ODM après le départ d’Eduard Gnesa, directeur de 2005 à 2009. A l’époque aussi, la mutation de ce dernier avait soulevé beaucoup d’interrogations.

Homme de terrain. Après avoir été durant plusieurs années délégué du CICR en Afrique et en ex-Yougoslavie, Alard du Bois-Reymond a dirigé l’organisation faîtière de défense des handicapés Pro Infirmis pendant six ans. Ce licencié en sciences économiques de l’Université de Zurich avait rejoint l’administration fédérale en 2005.

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