Délicat voyage de Micheline Calmy-Rey au Kosovo
La ministre des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey effectue un voyage de cinq jours dans les pays des Balkans occidentaux. Elle inaugurera vendredi l'ambassade suisse à Pristina, ce qui suscite déjà de nombreuses critiques.
Après un voyage en Iran qui lui a déjà valu une volée de bois vert de la part des Etats-Unis et d’Israël, Micheline Calmy-Rey entame à nouveau une mission délicate. Ce jeudi, elle est partie pour des visites officielles de travail dans les Balkans. Jusqu’à lundi, le voyage la conduira en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo et en Macédoine.
Vendredi soir, à Pristina, capitale du Kosovo, la ministre transformera ce qui était jusqu’ici le bureau de liaison suisse en ambassade officielle. La Suisse joue ainsi une nouvelle fois un rôle de pionnier. Seule la Grande-Bretagne a déjà confié sa représentation à un ambassadeur.
Micheline Calmy-Rey est en outre la deuxième représentante d’un gouvernement à se rendre au Kosovo indépendant, après le ministre des Affaires étrangères suédois Carl Bildt.
Quant à la reconnaissance de l’Etat kosovar, la Suisse l’avait reconnue dix jours après sa proclamation, le 17 février dernier. La capitale serbe Belgrade avait alors protesté et rappelé son ambassadeur en poste à Berne.
Une rapidité qui étonne
La rapidité affichée dans ce dossier par la Suisse, d’ordinaire plus encline à la retenue, en étonne plus d’un. «La Suisse est attentive à développer de bonnes relations» avec le Kosovo, la Bosnie-Hezégovine et la Macédoine, explique le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) dans un communiqué.
Depuis les années 90, les Balkans occidentaux sont «une priorité de la politique et de l’engagement extérieurs de la Suisse», ajoute le DFAE. Ainsi, la Direction du développement et de la coopération (DDC) et le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) prévoient un budget de 67 millions de francs pour 2008 dans toute cette région.
De plus, la Suisse accompagne le dialogue politique pour le rétablissement de la confiance entre les différentes communautés, rappelle le DFAE.
L’ouverture d’une ambassade suisse au Kosovo risque en tout cas de détériorer les relations déjà très tendues entre Belgrade et Berne. Le fait que Micheline Calmy-Rey ne se rende pas en Serbie ajoute au malaise. Aucune des deux capitales ne s’exprime sur les raisons de cet «évitement».
«Un geste pour Belgrade»
En Suisse, les critiques ont fusé avant même le départ de la ministre. «Après la victoire des formations pro-occidentales lors des élections serbes, un geste envers Belgrade aurait été de circonstance, a déclaré Dick Marty, le président radical (droite) de la Commission de politique extérieure (CPE) de la Chambre haute, dans une interview au quotidien alémanique Tages-Anzeiger.
Mais, selon le Tessinois qui avait déjà émis des réserves devant la rapidité avec laquelle Berne a reconnu l’indépendance, «la Suisse et l’UE font tout pour pousser la Serbie dans les bras de la Russie.» Dick Marty ne voit aucune raison d’effectuer si rapidement une visite au Kosovo sans s’arrêter aussi à Belgrade. Il dit en outre avoir décliné l’offre de Micheline Calmy-Rey de l’accompagner.
L’Union démocratique du centre (UDC / droite nationaliste) saisit l’occasion pour réitérer ses critiques envers la ministre. «La Suisse va beaucoup perdre de son influence dans les Balkans, comme ce fut déjà le cas au Proche-Orient et, récemment, en Iran», fustige le député UDC zurichois Christoph Mörgeli dans le Tages-Anzeiger.
Pour l’heure, le DFAE ne veut pas prendre position sur ces critiques. «Nous informerons de façon continue pendant le voyage de la conseillère fédérale», répond-il.
«Conséquence logique»
Le voyage suscite aussi des commentaires positifs. Ainsi, pour le socialiste zurichois Mario Fehr, du même parti que Micheline Calmy-Rey et membre de la CPE de la Chambre basse, l’ouverture de l’ambassade à Pristina est «un important signal politique, un signal qui prouve que la Suisse s’engage pour la stabilité et la paix dans la région», a-t-il déclaré à swissinfo.
Si le gouvernement a décidé de reconnaître le Kosovo – où la Suisse fournit d’importantes aides – l’ouverture d’une ambassade est une «conséquence logique», ajoute Mario Fehr. «Il ne suffit pas de reconnaître un Etat, il faut aussi assumer ses responsabilités.»
De plus, la Suisse exerce une grande influence dans la région, où elle a occupé relativement tôt une position de leader. «Or, insiste Mario Fehr, si on veut prendre des décisions, il faut avoir une ambassade.» Le Zurichois rappelle aussi que Micheline Calmy-Rey avait dit en 2005 déjà que la Suisse favorisait une indépendance formelle du Kosovo.
«La Serbie décide toute seule»
Pour Mario Fehr, la critique selon laquelle la Suise est en train de pousser la Serbie hors du giron européen est «totalement déplacée». «La Serbie décide toute seule où elle veut aller, dit-il. Si quelqu’un pousse Belgrade dans les bras de Moscou, ce sont les nationalistes serbes, pas les Suisses.»
L’engagement de la Suisse au Kosovo ne met pas non plus en péril la neutralité suisse, ajoute encore Mario Fehr. «La plupart des pays européens vont, tôt ou tard, reconnaître le Kosovo.» En outre, pour la Suisse, c’est le seul moyen de pouvoir s’engager pour la défense des minorités dans la région.
En mai prochain, la CPE de la Chambre basse se rendra au Kosovo, en Bosnie et en Serbie.
Du côté de la direction du Parti socialiste, le président Christian Levrat, qui a critiqué le récent voyage de Micheline Calmy-Rey en Iran, ne voit rien à redire à l’ouverture d’une ambassade à Pristina.
«La Suisse a besoin de bonnes relations sur place, note Christian Levrat. C’est très important, car la proportion de Kosovars en Suisse est très forte.»
swissinfo, Corinne Buchser
(Traduction de l’allemand: Ariane Gigon)
Micheline Calmy-Rey effectue des visites officielles de travail du 27 au 31 mars en Bosnie-Hezégovine, au Kosovo et en Macédoine.
A Pristina, la ministre suisse des Affaires étrangères rencontrera le Premier ministre Hashim Thaçi et le président Fatmir Sejdiu.
Micheline Calmy-Rey s’entretiendra en outre avec le représentant civil international Peter Feith ainsi qu’avec le chef de la mission de l’OSCE Tim Guldimann.
Micheline Calmy-Rey se rendra encore sur les lieux de programmes de coopération bilatérale suisse et rencontrera les militaires de la Swisscoy. Des «échanges de vues» sont aussi prévus avec des représentants des différentes communautés du Kosovo.
Quelque 270’000 personnes originaires de Bosnie-Hezégovine, du Kosovo et de Macédoine vivent en Suisse (environ 170’000 du Kosovo, dont 40’000 double-nationaux, environ 60’000 de Macédoine et environ 40’000 de Bosnie-Herzégovine).
Entre 170’000 et 190’000 Kosovars vivent en Suisse , soit 10% de la population du Kosovo.
La Suisse participe depuis 1999 aux troupes de maintien de la paix de l’ONU dans la région (KFOR). Quelques 200 soldats de la Swisscoy sont stationnés au Kosovo.
La Suisse compte parmi les plus importants pays donateurs du Kosovo. En 2008, la Direction du développement et de la coopération (DDC) et le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) veulent engager 13,8 millions de francs dans des programmes d’aide.
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