Eizenstat: une couverture en forme de provocation
Une croix gammée en lingots d'or superposée à la croix suisse: la couverture du livre de Stuart Eizenstat indigne Joseph Deiss, qui voudrait la faire interdire.
Mais le ministre suisse des Affaires étrangères aura de la peine à défendre sa cause.
Le chef de la diplomatie suisse est «indigné» par l’illustration du livre «Imperfect Justice» (justice imparfaite). Selon Livio Zanolari, porte-parole du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), Joseph Deiss estime qu’il s’agit d’une représentation calomnieuse du drapeau suisse.
L’ouvrage, préfacé par le philosophe français Elie Wiesel, doit être livré lundi aux librairies américaines. Stuart Eizenstat y retrace le destin de victimes survivantes de l’Holocauste et les négociations pour le versement de réparations.
Il aborde le rôle de la Suisse à l’égard de l’Allemagne du IIIe Reich. Contrairement à ce que laisse penser la couverture, le livre traite également de l’attitude d’autres pays pendant la Seconde Guerre mondiale.
Mais ce n’est pas tant le contenu de l’ouvrage qui choque que sa présentation.
Levée de boucliers généralisée
Le chef du DFAE a immédiatement réagi. Il a chargé vendredi l’ambassade de Suisse à Washington d’étudier si la publication de l’ouvrage sous cette forme peut être empêchée par une procédure en justice.
Le président de la Confédération Kaspar Villiger – actuellement en visite en Slovaquie – trouve la couverture du livre «d’un goût douteux». Mais cela ne vaut pas la peine de perdre du temps pour cette histoire, qui ne va pas conduire à une crise majeure, a-t-il encore ajouté.
Interrogés par la SonntagsZeitung, les responsables des partis gouvernementaux considèrent que cette couverture est insolente et porte un coup à l’image de la Suisse.
«La Suisse d’aujourd’hui n’est pas visée»
Toujours dans la SonntagsZeitung, M. Eizenstat a regretté la réaction suisse. Il a affirmé qu’il n’avait absolument pas voulu salir le drapeau suisse.
L’ancien sous-secrétaire d’Etat s’est justifié en assurant que la Suisse d’aujourd’hui n’était pas visée. L’image évoque le rôle de la Banque nationale suisse (BNS) à l’égard du régime nazi durant la Deuxième Guerre mondiale.
Dans la même interview, Stuart Eizenstat estime que cette couverture représente une interprétation correcte du fait que la BNS a été la principale acheteuse de l’or volé par les nazis.
Mais, lundi soir, dans une interview diffusée à la Télévision suisse romande (TSR), Stuart Eizenstat s’est dit prêt à revoir la couverture de son livre pour les éditions européennes.
Accord global
M. Eizenstat avait participé, en tant que vice-ministre des Affaires étrangères et ministre des Finances, aux négociations ayant abouti à l’accord global de 1,88 milliard de francs conclu en 1998 entre les banques suisses et les victimes de l’Holocauste.
Thomas Borer, cheville ouvrière de cet accord, a pour sa part critiqué l’attitude de Joseph Deiss dans les colonnes du Matin Dimanche.
«La Suisse ne peut pas attaquer par le biais de notre ambassade un diplomate qui n’est plus en fonction. Cela ne sert à rien, affirme l’ancien ambassadeur. Par contre, comme Stuart Eizenstat travaille pour un cabinet d’avocats américains qui défend aux Etats-Unis les intérêts d’une grande banque suisse, c’est sur ce terrain qu’il faut se battre.»
Il ajoute avoir appris à agir de la sorte au contact des négociateurs américains qui, eux, «ne se gênent pas».
Ziegler l’avait déjà fait
A noter que l’association du drapeau suisse, de la croix gammée et des lingots d’or ne constitue pas une première dans l’histoire de l’édition. En 1998, Jean Ziegler – grand pourfendeur du capitalisme helvétique s’il en est – sort « La Suisse, l’or et les morts », sous une couverture à laquelle celle du livre d’Eizenstat fait immédiatement penser.
L’ouvrage devient rapidement un best-seller. Son contenu, pourtant, ne fait guère dans la dentelle. L’ancien conseiller national socialiste y fustige une Suisse de collaborateurs et de receleurs, qui livrait des armes à Hitler et refoulait les réfugiés juifs pour pratiquement les livrer à la police nazie.
swissinfo avec les agences
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