Farah Rumy, une combattante révélée par le Covid-19
L’accession de la socialiste Farah Rumy au Conseil national a été l’une des surprises des élections fédérales de 2023. La jeune femme s’est trouvée au bon endroit au bon moment, avec un thème de campagne qui tient toujours le monde politique en haleine.
Nous rencontrons Farah Rumy sur le Grenchenberg, une montagne culminant à 1400 mètres d’altitude, dans le massif du Jura, avec une vue spectaculaire sur le Plateau suisse. La députée socialiste a choisi ce lieu pour parler d’elle.
L’endroit revêt une importance particulière pour elle qui vit non loin, à Granges (Grenchen en allemand, dans le canton de Soleure). On peut en outre y faire une halte au restaurant Untergrenchenberg, connu pour son mille-feuilles – une spécialité de la maison qui a aussi un lien, nous le verrons, avec le travail politique de Farah Rumy.
Une ascension politique rapide
La surprise de son élection au Conseil national (la Chambre basse du Parlement) en octobre dernier a été grande, à commencer pour elle. A l’époque, elle n’était engagée que depuis trois ans aux conseils communal et bourgeoisial de Granges, ainsi qu’au Parlement soleurois.
Pour les jeunes politiciennes et politiciens suisses, il faut commencer au niveau local, puis passer par l’échelon cantonal, avant de mener une carrière politique nationale.
En octobre dernier, 56 nouveaux et nouvelles élu-es ont fait leur entrée sous la Coupole fédérale. L’UDC, Le Centre et le Parti socialiste, les trois partis qui ont le plus progressé lors des élections fédérales 2023, comptent le plus de nouveaux venus au Parlement.
À l’inverse, les Vert-e-s, grands perdants de ces élections, ne sont pas parvenus à amener du sang neuf à Berne. Dans cette série, swissinfo.ch dresse le portrait de neuf parlementaires qui font leurs premiers pas au sein du législatif fédéral.
Farah Rumy a fait ce parcours en accéléré. Tout a commencé lors de la pandémie de Covid-19. L’infirmière de formation a vécu de près les effets du coronavirus à l’hôpital et au laboratoire de cathétérisme cardiaque. Alors qu’il y est souvent question de vie ou de mort, des décisions et des interventions rapides sont requises.
Au terme d’une journée de travail de douze heures, elle-même à bout de forces, elle doit remonter le moral d’une collègue sur le point de s’effondrer physiquement. Elle se dit alors: «ça ne va pas!» Une phrase que Farah Rumy répète à plusieurs reprises au cours de notre entretien.
«Les dysfonctionnements du système de santé, qui existent depuis des années, sont apparus au grand jour pendant la crise du Covid-19. Et ce sont en premier lieu les soignant-es et les médecins qui en ont fait les frais», souligne-t-elle. Cette situation l’a poussée à s’engager, d’abord en faveur de l’initiative sur les soins infirmiers.
Si celle-ci a été déposée avant la pandémie, la volonté d’améliorer les conditions de travail du personnel soignant s’est toutefois accrue avec le Covid-19. La population suisse a soutenu le texte à 61% en votation le 28 novembre 2021. C’était la première fois qu’une initiative populaire issue des milieux syndicaux était acceptée.
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«Il ne fait aucun doute que cet engagement est à l’origine de mon succès électoral», déclare Farah Rumy. La jeune femme s’est néanmoins fait connaître à Granges et au-delà grâce à d’autres projets: une action contre le gaspillage alimentaireLien externe ou encore une initiative solidaireLien externe permettant aux particuliers d’écrire des lettres aux personnes âgées pour briser leur solitude dans les homes pendant la pandémie.
Ce n’est qu’après ce travail associatif et bénévole que Farah Rumy franchit le pas vers la politique institutionnelle, estimant que son objectif principal, l’amélioration des conditions dans le secteur de la santé, ne peut être véritablement atteint qu’au niveau national.
Pourquoi a-t-elle décidé d’adhérer au Parti socialiste (PS)? «J’ai rempli un questionnaire. Le graphique Smartspider représentait mon positionnement à travers deux partis: j’ai opté pour le PS», répond l’intéressée. La politique peut être parfois aussi simple que cela.
Les choses se sont toutefois corsées par la suite. Le budget de campagne de la candidate au Conseil national se montait à plusieurs centaines de francs.
A titre de comparaison, celui d’un Zurichois (qui n’a pas été élu) atteignait plus de 370’000 francs, le montant déclaré le plus élevé lors des élections fédérales de 2023. «L’argent à lui seul ne devrait pas être décisif en politique. Et encore moins lorsqu’il s’agit d’une représentation au Parlement», relève la jeune femme de 32 ans.
La question des racines
La couverture médiatique de sa victoire électorale lui a laissé un arrière-goût amer: «Souvent, il a été question en premier lieu de mes origines et non de mon bilan», déplore Farah Rumy. Elle est née à Colombo, au Sri Lanka. Son père a trouvé un emploi dans l’industrie horlogère à Granges. C’est ainsi que la famille est arrivée en Suisse. Farah Rumy avait six ans à l’époque.
Le fait que ses origines aient souvent été mises en avant est certes compréhensible, mais tout de même dérangeant, selon elle. «Je suis suisse avec des racines srilankaises. Point final», lance-t-elle.
De nombreux médias ont parlé d’un profil atypique. Or, celui-ci pourrait être considéré comme ordinaire. Farah Rumy vient d’une petite ville, comme une grande partie de la population en Suisse.
Elle est issue de l’immigration; c’est le cas de près de 40% des personnes résidant en Suisse. Elle a fait un apprentissage; il s’agit de la voie de formation la plus fréquente dans le pays. Aussi pourrait-on se demander en quoi Farah Rumy est perçue comme atypique.
«Le parcours de Farah Rumy a été semé d’embûches, comme celui de nombreuses personnes avec un passé migratoire», indique Shulojan Suntharalingam. Le jeune homme a fait de la politique avec elle au sein du PS Migrant-es du canton de SoleureLien externe.
Cette sous-organisation du PS s’engage à répondre aux préoccupations des personnes issues de l’immigration. «Les horaires de travail, les primes d’assurance maladie, les négociations salariales sont des thèmes éminemment politiques qui concernent la population entière de ce pays», fait remarquer Shulojan Suntharalingam.
L’élection de Farah Rumy au Parlement fédéral se révèle importante, ce dernier ne reflétant que peu la diversité de la population. «Avec elle, nous pouvons compter sur une voix crédible sous la Coupole. Farah Rumy est une politicienne pragmatique, capable de bâtir des ponts à Berne», estime Shulojan Suntharalingam. Et d’ajouter: «Elle n’a pas peur d’appeler un chat un chat. Mais elle est aussi prête à faire des compromis.»
Impliquée et motivée
Farah Rumy ne se contentera cependant pas de faire de la politique à Berne. Elle continuera à enseigner aux futur-es assistant-es en soins et santé communautaire (ASSC) dans une école professionnelle, car l’aspect pédagogique lui plaît.
Elle reste également active au niveau local, au sein de la bourgeoisie de GrangesLien externe notamment. La jeune femme est membre du Conseil bourgeoisial et responsable de l’octroi du droit de cité communal. Elle siège depuis trois ans au sein de la Commission de naturalisation.
«Tout ce qui a trait au social est son point fort», affirme le président de la bourgeoisie Eduard Sperisen, qui la trouve également très impliquée et motivée dans les autres dossiers. Lui-même est membre du Parti libéral-radical (PLR), de l’autre côté de l’échiquier politique, mais la collaboration avec Farah Rumy se passe bien.
Corporation de droit public, la bourgeoisie gère des affaires concrètes et un certain nombre de biens. Elle possède plusieurs immeubles, sa propre exploitation forestière et trois grandes auberges de montagne. Elle attribue des permis de construire ainsi que des parcelles agricoles affermées et doit également entretenir des routes de montagne. De nombreux communes suisses comptent encore une telle structure politique parallèle, un vestige du Moyen-Âge.
«Nous faisons de la politique axée sur les questions de fond, la carte de parti ne joue pas un grand rôle», précise Eduard Sperisen. Il se dit fier qu’une habitante de Granges représente le canton de Soleure au Parlement fédéral. «Sa carrière est fulgurante, il faut le reconnaître. Mais elle a beaucoup travaillé pour en arriver là.»
Farah Rumy a abandonné d’autres mandats, en raison de l’importante charge de travail au Parlement fédéral et à l’école professionnelle. Mais son engagement au sein de la bourgeoisie reste précieux pour elle. Et c’est là que l’on retrouve le mille-feuilles: une des questions fréquemment posées par le président de la Commission de naturalisation aux candidat-es est de savoir s’ils et elles connaissent la spécialité du Grenchenberg.
De telles questions au cours des entretiens en vue d’une naturalisation ne sont pas inhabituelles en Suisse, mais cette pratique suscite la critique et certaines organisations de la société civile appellent à la changer.
Nouvelle matière et revendications anciennes
Quels sont donc les objectifs de Farah Rumy au Conseil national? En tant que nouvelle élue, elle n’a pas obtenu le siège qu’elle souhaitait au sein de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique. Les sièges sont répartis selon le principe d’ancienneté. Elle est, en revanche, membre de la Commission de politique extérieure, un mandat qui exige beaucoup de travail pour se familiariser avec la matière complexe.
«C’est passionnant. En plus, je vois de nouvelles façons de m’engager, à travers la politique de santé dans les négociations entre la Suisse et l’Union européenne, ou le domaine de la migration de travail, qui est important dans le secteur des soins», observe Farah Rumy.
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Le travail ne manque pas. Le système de santé suisse est l’un des plus chers. Ces dernières années, les primes d’assurance maladie n’ont eu de cesse d’augmenter, représentant une lourde charge pour les familles à faible revenu.
«Le pouvoir d’achat reste un sujet de préoccupation important et il existe un grand potentiel d’optimisation dans le secteur de la santé», selon Farah Rumy. Elle pense à quelques remèdes possibles: le numérique, la réduction de la bureaucratie et des tarifs couvrant l’intégralité des coûts.
La création d’une caisse maladie unique en est un autre, d’après elle. Même si cette vieille revendication de la gauche n’a guère de chances d’aboutir actuellement, il est essentiel de poser les premiers jalons, pour Farah Rumy. Autre dossier important: «La mise en œuvre complète de l’initiative sur les soins infirmiers, c’est pour cela que j’ai été élue», conclut-elle.
Texte relu et vérifié par Balz Rigendinger, traduit de l’allemand par Zélie Schaller / ptur
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