Faut-il maîtriser le français pour être au Conseil fédéral?
![Markus Ritter](https://www.swissinfo.ch/content/wp-content/uploads/sites/13/2025/02/Bildschirmfoto-2025-02-12-um-20.59.03.png?ver=afa75831)
Deux hommes sont actuellement dans la course au Conseil fédéral. Avoir de bonnes connaissances en français fait partie de la fiche de poste, mais ils affichent de sérieuses lacunes en la matière. Est-ce grave?
À chaque fois que le conseiller fédéral Alain Berset passait du français à l’allemand, ses collègues au gouvernement comprenaient que cela lui tenait à cœur.
Alain Berset se distinguait par ses compétences linguistiques. D’autres membres du Conseil fédéral sont moins doués pour les langues, mais certains ont fait des progrès notables. C’est par exemple le cas de l’actuel ministre de l’Économie Guy Parmelin, également romand, dont les difficultés étaient manifestes en 2018, que ce soit en allemand ou en anglais – par exemple lorsqu’il avait sorti cette phrase chevrotante: «I can English understand, but je préfère répondre en français».
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En 2015, Gerhard Pfister avait affirmé dans le Tages-AnzeigerLien externe: «Pour devenir conseiller fédéral, il faut connaître les langues nationales. Et pour être un bon conseiller fédéral, il faut savoir parler anglais.» Une déclaration qui ne manque pas d’ironie.
Un français qui suscite les moqueries
En effet, dix ans plus tard, Gerhard Pfister est président du Centre. Et les deux candidats que le parti présente actuellement pour le Conseil fédéral ont des problèmes avec les langues étrangères: l’un ne parle pas anglais; l’autre a un niveau insuffisant en italien et possède à peine les compétences de base en français.
Le premier à s’être fait remarquer pour cette raison est Markus Ritter, connu en Suisse comme président de l’Union suisse des paysans. Markus Ritter admet lui-même que son anglais est médiocre, à peine suffisant pour commander une bière. En revanche, il qualifie son français de «très bon».
Les francophones sont d’un autre avis. En Suisse romande, ses talents linguistiques ont récemment suscité des moqueries après une apparition sur la chaîne publique romande RTS.
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«Donc ce mec veut devenir président de la Suisse, s’est esclaffé un humoriste sur TikTokLien externe. On dirait un caniche nonagénaire saint-gallois qui s’est pris le pied dans une porte!» «Le fait qu’il s’exprime si mal en français m’a choqué», admet également le politologue Sean Müller de l’Université de Lausanne.
En Suisse, quatre langues sont parlées officiellement: l’allemand, le français, l’italien et le romanche, dans cet ordre. L’allemand domine, et le français est la minorité dominante. «C’est une minorité loyale, qui vote souvent pour des solutions étatiques», explique Sean Müller.
La Suisse romande a donc un droit légitime à ce que les membres du gouvernement s’expriment en français. «Le fait qu’une ou un représentant de la majorité fasse l’effort de parler dans la langue de la minorité est un signe extrêmement important», estime Sean Müller. Il s’agit en fait de respect.
«L’italien est malheureusement un peu oublié»
En effet, dès le moment de leur élection, les membres du Conseil fédéral ne représentent plus leur parti ou leur région, mais l’ensemble de la Suisse dans toute sa diversité.
Sean Müller se souvient encore de ce regret exprimé par un président de parti tessinois en 2017, lors d’un débat sur la chaîne publique italienne RSILien externe: «Il y a des gens au Tessin qui n’ont jamais entendu un conseiller fédéral parler italien.» Il est difficile pour les Suisses alémaniques de se représenter ce que cela implique.
«L’italien est malheureusement un peu oublié par moments», constate Oswald Sigg, ancien porte-parole du Conseil fédéral et fin connaisseur des rouages du gouvernement suisse. Lui aussi estime qu’un ou une membre du Conseil fédéral «devrait s’exprimer dans les trois langues officielles et pouvoir les comprendre toutes».
Dans la vie quotidienne politique et administrative, le pays multilingue a trouvé un modus vivendi pragmatique: tout le monde parle sa propre langue. Et tout le monde devrait comprendre une autre langue nationale, au moins de manière passive. Cela vaut dans l’administration fédérale et au Parlement, qui font office de bains linguistiques.
Après l’élection, place aux cours de langue
«Au Parlement, on finit par apprendre automatiquement l’autre langue, car les séances des commissions ne sont pas traduites en simultané», explique la coach en communication Myriam Holzner.
Elle connaît aussi quelques parlementaires fraîchement élus qui ont entamé des cours de langue dès leur candidature posée ou après leur élection, afin de se préparer à travailler à Berne et pour la Suisse.
Forte de son expérience auprès de l’administration fédérale, Myriam Holzner ajoute: «Si l’on veut faire passer ou mettre en œuvre une mesure dans toutes les régions, il est extrêmement utile que la Confédération incarne réellement le multilinguisme de la Suisse.»
Elle précise qu’il ne s’agit pas seulement de la langue, mais aussi de la compréhension des autres cultures. Elle conclut: «Pour espérer avoir du succès dans tout le pays, les membres du Conseil fédéral doivent embrasser ses différentes cultures.»
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L’armée ou l’école des langues nationales
En Suisse, le système éducatif s’attache à ce que la population comprenne au moins une autre langue nationale. Mais cette ambition reste de l’ordre de la théorie pour beaucoup.
L’armée peut se révéler précieuse pour l’apprentissage des langues. Martin Pfister, le deuxième candidat proposé par le Centre pour l’élection au Conseil fédéral, en témoigne. Lui aussi a récemment eu du mal à s’exprimer devant les médias en français, après une longue période sans le pratiquer. «J’ai appris le français essentiellement à l’armée, il y a longtemps», a-t-il expliqué pour justifier ses lacunes.
![Martin Pfister et Markus Ritter.](https://www.swissinfo.ch/content/wp-content/uploads/sites/13/2025/02/645734889_highres.jpg?ver=d0613e8e)
Une règle non écrite indique que, pour faire carrière en Suisse, il faut parler allemandLien externe. Une autre précise que, pour accéder au Conseil fédéral, il faut maîtriser au moins deux langues nationales.
La Constitution ne dit rien sur la langue des membres du Conseil fédéral. «Il a cependant toujours été clair que le gouvernement suisse devait parler deux langues, et cela n’a jamais été remis en question», relève l’historien Urs Altermatt, auteur du «Lexique du Conseil fédéral».
Urs Altermatt voit dans le bilinguisme du Conseil fédéral «un facteur d’intégration important» et «décisif pour la cohésion du pays». En la matière, il existerait aussi une sorte de «formule magique» pour le gouvernement, qui compte sept membres: cinq germanophones, et deux personnes parlant une langue latine. «Exceptionnellement, il y a eu des périodes avec des ratios de six à un, ou de trois à quatre», ajoute l’historien.
Quand la conseillère fédérale francophone Elisabeth Baume-Schneider doit chercher un terme technique en allemand lors d’une conférence de presse, ou lorsque qu’une animatrice de la télévision alémanique lui souffle un mot qu’elle peine à trouver, cela ne la rend pas antipathique. Montrer que l’on peut aussi commettre des erreurs a le mérite de rendre accessible.
De plus hautes attentes
«Le simple fait qu’une ou un membre du Conseil fédéral ose et réussisse une apparition médiatique dans une langue étrangère est très bien perçu par la population», note Sean Müller. Participer à des débats houleux, en direct à la télévision est le nec plus ultra.
Le conseiller fédéral Albert Rösti a déjà marqué des points dans l’émission «Infrarouge» de la RTS, tout comme Elisabeth Baume-Schneider dans «Arena» sur la SRF. Personne n’attend la perfection linguistique, mais tout le monde salue l’effort.
Cependant, les attentes en matière de compétences linguistiques ont augmenté, en particulier pour l’anglais. «Avec la mondialisation, l’anglais est devenu la lingua franca et depuis 1989, la pression a également augmenté en Suisse pour que les membres du Conseil fédéral parlent anglais», observe Urs Altermatt. On se souvient encore de l’apparition du conseiller fédéral Ueli Maurer sur CNN en 2019.
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On a vu le président de la Confédération ne pas comprendre des questions simples lors d’une intervention en direct. On a aussi entendu un porte-parole lui souffler les réponses correctes en anglais.
«Why is this not in English?»
L’anglais est depuis longtemps une langue courante en Suisse. Lors d’une réunion de parents d’élèves d’école primaire à Zurich, un père immigré s’est levé et a demandé: «Why is this not in English?» («Pourquoi on ne parle pas en anglais?») La ville abrite de nombreuses entreprises internationales et attire des milliers de personnes expatriées.
«Dans les faits, nous sommes maintenant une Suisse à cinq langues avec l’anglais», constate le politologue Sean Müller. Cependant, l’anglais ne deviendra pas de sitôt une langue nationale officielle.
Tout comme les écoles de Zurich, l’Organisation des Suisses de l’Étranger refuse délibérément d’adopter l’anglais comme langue de communication interne. «Si l’on investit dans les langues étrangères, alors on doit le faire aussi dans les langues nationales», selon le principe appliqué à l’échelle nationale.
Actuellement, c’est la direction du Département de la défense qui est à repourvoir. Il s’agit à première vue d’un ministère où un conseiller fédéral ne maîtrisant pas l’anglais, à l’instar de Markus Ritter, pourrait être moins entravé. Naturellement tourné vers l’intérieur, ce ministère vient avec un nombre restreint de déplacements à l’étranger.
Cependant, chaque membre du Conseil fédéral doit s’attendre tôt ou tard à des conférences, des négociations et des événements internationaux, notamment lors de l’année de présidence de la Confédération.
Peut-on se dispenser des langues?
Pour le politologue Sean Müller, l’importance des langues étrangères au Département de la défense est bien illustrée par ce qui a été le plus grand succès de Viola Amherd, la ministre de la Défense sortante: cette dernière a réussi à convaincre la population d’acheter un nouvel avion de chasse.
«Il y avait des documents stratégiques concernant les groupes cibles, raconte le politologue. Dès le début, on a su qu’il fallait convaincre la Suisse romande et les femmes.» Ce qui a donné lieu à une campagne mettant en avant une jeune pilote de chasse romande; Viola Amherd, quant à elle, a fait le tour de la Suisse romande en parlant français.
Aujourd’hui, il ne serait plus possible d’accéder au Conseil fédéral sans parler un mot de français. Mais en 1973, Willy Ritschard y est parvenu. Dès son élection, le socialiste a commencé à étudier le français de manière acharnée.
Oswald Sigg, son collaborateur de l’époque, raconte: «Pendant chaque trajet en voiture à travers la Suisse, il était assis à l’arrière avec un manuel de français sur les genoux.» Willy Ritschard est entré dans l’histoire pour sa popularité record.
![Willy Ritschard](https://www.swissinfo.ch/content/wp-content/uploads/sites/13/2025/02/58017160_highres.jpg?ver=7376a177)
Markus Ritter s’est lui aussi mis à étudier le français. «Ce n’est pas possible d’en faire plus que ce que je fais», affirme-t-ilLien externe. Il ne lui reste plus beaucoup de temps, car les élections auront lieu le 12 mars.
Texte relu et vérifié par Marc Leutenegger, traduit de l’allemand par Pauline Turuban avec ChatGPT/op
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