Francophonie: l’heure de vérité sonnera à Kinshasa
Le prochain sommet de la Francophonie doit se tenir en République démocratique du Congo. Un défi qui permettra de mesurer la capacité de l’organisation à faire progresser le respect de la démocratie et des droits humains, comme elle s’y engage depuis 10 ans.
Réunis à Montreux pour leur 13e sommet, les chefs d’Etat et de gouvernements de l’Organisation de la Francophonie (OIF) doivent confirmer dimanche la tenue de leur prochain conclave à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC). Un pays ravagé par des années de guerre et de tueries de masse, comme l’a récemment documenté un rapport du Haut commissariat aux droits de l’homme, théâtre aussi de viols massifs, en particulier dans l’est du pays, et de harcèlements à l’encontre des défenseurs des droits humains qui aboutissent parfois à leur mise à mort, comme Floribert Chebeya, assassiné début juin à la périphérie de Kinshasa.
«Actuellement, les conditions ne sont pas remplies pour un tel sommet, si la Francophonie ne fait pas en sorte que la société civile de RDC puisse être impliquée dans ce sommet, comme elle l’est ici à Montreux, et s’il n’y a pas toute une série de mesures et un plan d’action en faveur de la défense et de la promotion des droits humains en RDC», juge Daniel Bolomey.
Traduire les paroles en actes
Et le secrétaire général de la section suisse d’Amnesty international d’insister: «Nous espérons que l’OIF saisira l’opportunité de ce prochain sommet à Kinshasa pour réaliser un certain nombre d’avancées en matière de défense des droits humains, notamment la protection de leurs défenseurs.»
A titre d’exemple, Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty estime indispensable que l’enquête sur la mort de Floribert Chebeya ne finisse pas dans les sables et que l’ancien chef de milice Bosco Ntanganda, accusé de nombreuses exactions lors de la 2e guerre du Congo, soit au moins relevé de ses fonctions de général au sein de l’armée congolaise.
Réponse d’Hugo Sada, délégué à la paix, à la démocratie et aux droits de l’Homme de l’OIF: «Nous verrons dimanche si les chefs d’Etat confirment le choix fait à Québec il y a 2 ans de tenir à Kinshasa le prochain sommet de la Francophonie. Ce sera alors un défi important pour notre organisation. Et nous ferons tout pour le relever dans les meilleures conditions.»
La Suisse engagée
La Suisse en particulier sera très directement concernée par un tel choix puisqu’elle préside ces deux prochaines années le sommet de la Francophonie, la plus haute instance de l’organisation.
«Même si c’est le pays hôte qui est le premier concerné par son organisation, la Suisse peut jouer un rôle important dans la bonne tenue du prochain sommet pour qu’il bénéficie des avancées enregistrées à Montreux», confirme Anissa Barrak, responsable de la communication de l’OIF.
Un rôle qu’appelle de ses vœux Daniel Bolomey: «Nous espérons et nous allons faire en sorte que la présidence suisse du sommet ces deux prochaines années soit une chance de réaliser des progrès notables dans la protection des droits humains en RDC. Et ce d’autant plus que la Suisse a mis en place un certain nombre de nouvelles conditions-cadre à Montreux. L’une des plus importantes est la restriction du périmètre de sécurité et l’ouverture du sommet à la société civile, aux associations et à la population.»
Pointer les violations
«Mais de telles avancées ne suffisent pas, ajoute le militant des droits humains. Il ne faudrait pas que les chefs d’Etat prennent prétexte de cette ouverture pour ne pas thématiser les problèmes en matière de démocratie et d’Etat de droit et pointer les manquements, que ce soit les coups d’Etats, les violations massives des droits humains ou l’impunité qui persiste.»
Et Daniel Bolomey d’enfoncer le clou: «Je rappelle qu’une grande partie des pays africains votent des résolutions au sein de l’Unité africaine pour ne pas adhérer à la Cour pénale internationale.»
A l’appui de ses dires, le responsable d’Amnesty international prend à témoin les engagements pris il y a 10 ans par l’OIF lors du sommet de Bamako, soit une déclaration adoptée par les Etats membres de la Francophonie, fondement des ambitions politiques de l’OIF, en particulier dans les domaines de la promotion de la démocratie et des droits humains.
Un bilan détaillé de Bamako
Ce samedi justement sera remis aux membres de l’OIF un rapport qui tire un bilan de leurs engagements pris en 2000 dans la capitale malienne.
Mis en forme par son département, Hugo Sada en donne les grandes lignes: «Le rapport va faire un bilan détaillé de la mise en œuvre de la déclaration de Bamako. Mais il a aussi pour objet de faire une évaluation des grandes tendances en matière d’Etat de droit, de démocratie et de droits de l’homme depuis 2000. Beaucoup de choses ont changé depuis l’adoption de cette déclaration, à commencer par l’environnement international.»
Et Hugo Sada de relever: «Le rapport fera aussi état des avancées qu’il ne faut pas ignorer, comme le font trop souvent les médias et les ONG. Ainsi, depuis 10 ans, nous avons constaté dans beaucoup de pays, notamment en Afrique subsaharienne mais aussi en Europe centrale, la mise en place effective d’institutions judiciaires et de protection des droits de l’homme qui peuvent maintenant jouer leur rôle. Un élément majeur dans la construction de l’Etat de droit.»
Quoi qu’il en soit, Hugo Sada assure que la déclaration finale du sommet de Montreux contiendra une résolution fixant des objectifs en matière de démocratie et de respect des droits de l’homme ainsi qu’une feuille de route pour renforcer leur mise en œuvre.
«Au-delà de (la) primauté accordée à la prévention telle qu’énoncée dans le chapitre V de la Déclaration de Bamako, les dispositions du même chapitre ont aussi envisagé des mécanismes de suivi particuliers prévoyant, selon la nature des infractions aux principes démocratiques et au respect des droits de l’Homme, des «mesures spécifiques».
On peut néanmoins relever que la vocation première de tous ces mécanismes repose, avant tout, sur l’accompagnement des États appartenant à l’espace francophone dans l’approfondissement et la consolidation de leur expérience démocratique.
L’esprit qui y prévaut privilégie davantage les actions tendant à «raccommoder les déchirures» qu’à stigmatiser les écarts. Ce choix, fondé sur le principe de solidarité qui caractérise le projet francophone, préexistait à l’adoption de la Déclaration de Bamako.»
Extrait du Rapport de l’OIF sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone, 10 ans après la déclaration de Bamako
«Bien sûr qu’il y a une contradiction interne au sein de la Francophonie entre son rôle de réseau d’influence sur la scène internationale et ses aspirations à promouvoir la démocratie et les droits humains en son sein.
Nous ne sommes pas particulièrement intéressés par l’agenda politique de la France ,notamment pour faire de la Francophonie un tremplin en vue des réunions du G8 ou du G20.
Pour nous, la Francophonie est un espace à la fois géographique et culturel qui permet de développer des activités en commun sur un axe Nord-Sud. Et ce dans le cadre d’une relation fraternelle que la Francophonie souhaite développer.
Pourquoi pas tirer parti de cet aspect positif de la Francophonie pour faire progresser le respect des droits humains au sein de la Francophonie?»
Daniel Bolomey, de la section suisse d’Amnesty International
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